Un abbé sur le continent

L’infatigable combattant contre l’injustice lègue à l’Afrique ses quatorze fondations Emmaüs.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Le 21 mai 2003, un violent tremblement de terre secoue le nord de l’Algérie. La catastrophe fait plus de 2 300 morts, 11 000 blessés et 160 000 sinistrés. Emmaüs, l’association de lutte contre l’exclusion fondée par l’abbé Pierre, décide de se mobiliser pour les victimes. Avec la Fondation de France, elle finance la construction de 85 maisons individuelles qui permettront le relogement d’une centaine de familles. À l’occasion de l’inauguration des nouvelles habitations en octobre 2004, l’abbé Pierre, déjà très affaibli, fait le déplacement jusqu’au village algérien de Dellys. Il a alors 92 ans.
Sa croisade contre la pauvreté, le célèbre ecclésiastique lyonnais, décédé le 22 janvier à Paris, l’a aussi menée en Afrique. Depuis sa création en 1949, Emmaüs n’a cessé d’élargir son champ d’action. Si l’hiver particulièrement rigoureux qui frappe la France en 1954 amène l’ancien résistant et député à lutter pour le droit au logement, c’est la pauvreté tout entière qu’il souhaite combattre. Au fil des années, les compagnons d’Emmaüs dépassent les frontières françaises. Et se rendent tout naturellement en Afrique. Aujourd’hui, sur les 41 pays où la fondation est présente, 14 sont africains.
Sur le continent, les associations, membres ou associées, travaillent pour lutter contre toutes les formes d’exclusion et mènent des actions dans les domaines de l’alphabétisation, la formation, la santé, le logement, la défense des droits de l’homme, l’économie solidaire, le microcrédit et la protection de l’environnement. Au Bénin, Emmaüs Afrique a lancé en 2006 un programme visant à favoriser l’accès à l’eau potable pour 25 000 personnes vivant dans la région de Cotonou. En même temps, il est également prévu de former les populations concernées à la gestion coopérative de l’eau. Par ailleurs, le traitement des ordures ménagères permet la création de quelques centaines d’emplois dans le pays.
Au Togo, la fondation de l’abbé Pierre a appris aux orphelins à s’autogérer en leur laissant l’organisation d’un atelier d’artisanat local. Une autre antenne, basée au Cameroun, s’est donné pour mission de relancer une exploitation avicole et porcine.
Parallèlement, l’association a su garder un lien étroit avec ses activités d’origine. La vente de meubles de récupération arrivant des pays développés sert aussi en Afrique à financer les communautés du continent. Mais bien au-delà de ces nombreuses initiatives, l’abbé Pierre restait convaincu de la nécessité d’agir en amont. ?En interpellant la classe politique.
Dans la droite ligne de la pensée et du tempérament de son fondateur, Emmaüs devient groupe de pression, comme en ce mois de juin 2006 où l’association lance une pétition exhortant le gouvernement français à ratifier la convention des Nations unies sur les droits des travailleurs migrants. L’abbé lui-même n’hésitait pas à utiliser les médias pour fustiger l’impéritie des hommes politiques, français ou africains. Dès lors que la gouvernance de certains pays était de nature à favoriser, à ses yeux, la pauvreté et l’exclusion du plus grand nombre, la verve de l’ecclésiastique pouvait se montrer dévastatrice. Le 4 avril 1996, alors qu’il évoque sur le plateau de France 2 l’afflux de nombreux réfugiés congolais sur le territoire français, il s’en prend vivement au chef de l’État zaïrois Mobutu Sese Seko. Effaré par les confidences de banquiers suisses concernant la fortune du dictateur africain, l’abbé Pierre le traite de « bandit » qui « mériterait d’être jugé à la Cour internationale de La Haye ».
Avec l’âge, le fondateur d’Emmaüs avait fini par laisser la gestion de l’organisation à ses collaborateurs. Mais n’a jamais réussi à rester longtemps loin des communautés défavorisées – où qu’elles se trouvent. Et parfois même au péril de sa vie. Le 16 novembre 2003, déjà nonagénaire, il tient à assister à l’assemblée générale d’Emmaüs International organisée à Ouagadougou au Burkina. Il en revient malade. L’abbé Pierre aujourd’hui disparu, Emmaüs témoigne de la formidable leçon de solidarité et de générosité que fut sa vie d’homme d’exception.

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