Sarkozy veut dégraisser le mammouth

Le candidat de la droite à l’élection présidentielle l’a promis : s’il l’emporte, il réduira le nombre de fonctionnaires. Pour le bien de tous.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

« Une révolution. » Le mot tant galvaudé par lequel Nicolas Sarkozy définit son programme est, pour une fois, justifié. La révolution ne tient pas seulement à ce qu’il annonce, mais dans l’audace de l’annoncer. C’est particulièrement vrai de la réforme de tous les dangers, cette sempiternelle réforme de l’État, condition politique et financière de toutes les autres. Elle est enfin promise et précisée par l’application de la seule méthode qui a fait ses preuves dans tous les autres pays, la réduction du nombre des fonctionnaires. Sarkozy s’engage à ne pas remplacer le départ à la retraite d’un agent sur deux, soit 40 % du total d’ici à 2020. L’économie sera considérable. Avec 6,5 millions de salariés, les trois fonctions publiques – nationale, territoriale et hospitalière – entretiennent 27 % de la population active, le double des effectifs enregistrés dans les pays modernes, pour une facture évaluée, avec le déficit des retraites, à 45 % du budget et 15 % du PIB. Record mondial qui fait de la France l’État le plus cher du monde et explique l’autre contre-performance nationale : une dette publique qui condamne chaque nouveau-né à payer tout au long de sa vie une part personnelle d’endettement estimée par les experts entre 18 000 et 33 000 euros. Lui et ses enfants, et peut-être ses petits-enfants, si la terrifiante glissade n’est pas enrayée.
Pour justifier l’habile formule de son programme, « les Français doivent en avoir pour leur argent », Sarkozy s’engage à consacrer la moitié de la productivité ainsi gagnée à l’amélioration du pouvoir d’achat des fonctionnaires, dont la régression a atteint jusqu’à 20 % depuis 1981. Cette contrepartie suffira-t-elle à empêcher les épreuves de force déclenchées par les syndicats de la fonction publique à chaque velléité de réforme de l’administration, et qui ont chaque fois fait capituler les gouvernements en place ? Il est permis d’en douter à l’expérience des conflits passés.
Raymond Barre a dû s’excuser d’avoir comparé les fonctionnaires à des « nantis », mot malheureusement juste – malheureux et juste à la fois – pour rappeler qu’ils sont les seuls travailleurs à bénéficier de la garantie de l’emploi. Alain Madelin a démissionné du ministère des Finances pour avoir prématurément annoncé la révision de leurs avantages de retraites. Son Premier ministre Alain Juppé a failli capoter pour avoir tenté un peu plus tard de la mettre en uvre. Il ne s’en est jamais relevé, et les socialistes ont gagné les législatives de 1997.
Les syndicats français présentent cette singularité d’être les moins représentatifs d’Europe en nombre d’adhérents et les plus puissants pour ce que François de Closet appelle « le pouvoir de nuisance » (Plus encore, Fayard-Plon éditeurs). Le fait d’être subventionnés comme les partis sur fonds publics les dispense de multiplier les cotisations. Leur totale emprise sur les services publics, en particulier les transports, leur permet en revanche de paralyser en quelques mots d’ordre les activités du pays. Si Alain Juppé a fini par renoncer à sa réforme au bout d’un mois de grèves, ce n’est pas seulement parce que l’opinion, dans son hostilité à un gouvernement de plus en plus impopulaire, soutenait en grande partie les grévistes. Mais parce qu’une délégation du patronat, inquiète des dégâts infligés aux entreprises, l’a mis en garde contre des conséquences plus dévastatrices pour l’économie que le maintien de quelques avantages acquis.
La gauche n’a pas été épargnée. Quand le ministre socialiste Christian Sautter a voulu réformer Bercy en 2000, le chef de Force ouvrière (FO) maison a dit « non » et c’est Sautter qui a sauté. Pour les syndicats, les fonctionnaires ne sont jamais en surnombre. Ils ne peuvent être que particulièrement sous-utilisés. Il convient alors de les « redéployer ». On en a aujourd’hui une nouvelle preuve avec les journées d’action organisées contre le projet du ministre de l’Éducation Gilles de Robien de réduire le nombre des enseignants en proportion de la baisse de certains effectifs scolaires.
Sarkozy sait donc à quels affrontements il s’expose en se targuant d’être « le seul homme politique » à vouloir transformer l’État obèse décrit et déploré par tous les experts en cet « État moderne » que prescrivait déjà en vain Pierre Mendès France. Le seul de son camp en tout cas. Tous les autres ont reculé devant le risque du « ça passe ou ça casse ». À plus forte raison, aujourd’hui, en campagne présidentielle. Un éminent collaborateur de Jacques Chirac confiait récemment encore : « Moins on en dit aux électeurs, mieux ça vaut. » Le président lui-même a toujours cultivé le flou sur la réforme de l’État, observant par exemple « qu’il ne faut pas moins d’État, mais mieux d’État », alors que le peuple fonctionnaire a connu une croissance de 24 % en vingt ans et continue de progresser de 0,6 % par an.
C’est bien là où Sarkozy se montre « révolutionnaire », dans la double logique d’une rupture poussée à l’extrême et d’une volonté de moralisation publique. Il estime qu’en disant la vérité aux électeurs, en leur expliquant la nécessité inéluctable de mesures présumées impopulaires mais approuvées dans tous les pays où elles ont prouvé à la longue leur bienfait, en les équilibrant par des avantages immédiats comme ces quatre points de baisse de prélèvements obligatoires « qui doivent rendre 68 milliards d’euros aux Français », il se donne la seule chance qu’enfin la réforme passe dans ce pays réputé irréformable.
Si l’élection récompense son pari, il disposera non seulement d’une autorité politique inégalée, mais d’une légitimité morale supérieure à toute autre, pour vaincre les oppositions, et imposer en souplesse les changements devenus la volonté de la nation. Ce n’est peut-être pas prudent, mais c’est simplement la démocratie.

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