Pour qu’Israël vive, l’État de Palestine doit naître
Depuis Damas, le leader du Hamas a fait sensation en déclarant, le 10 janvier, que « l’existence de l’État d’Israël est un fait établi. Il y aura à l’avenir un État nommé Israël. Mais ce qui compte et pose problème c’est l’absence de création d’un État palestinien. Tant que celui-ci n’existera pas, il est impossible de parler d’une reconnaissance et d’une acceptation d’Israël. »
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette déclaration de Khaled Mechaal prouve qu’il est parfaitement au courant des débats en cours en Israël autour du sionisme et du « post-sionisme ». Des débats qui tournent autour d’une question essentielle : l’État d’Israël peut-il être considéré comme réellement achevé et établi tant que ses frontières n’ont pas fait l’objet d’une délimitation définitive, acceptée par ses voisins, notamment par les Palestiniens à la condition que ceux-ci soient dotés également d’un cadre étatique ? À partir de cela, Mechaal a compris que l’existence simultanée de deux États, l’un israélien, l’autre palestinien, dotés de frontières définitives, mettrait fin au sionisme. D’autant que les débats ouverts par la crise morale que traverse le pays depuis les deux Intifada et la seconde guerre du Liban ont singulièrement modifié la pertinence des thèses « post-sionistes » véhiculées par les « nouveaux historiens » (Tom Seguev, Benny Morris, Ilan Pappe).
Pour eux, le sionisme politique, fondé par Theodor Herzl lors du congrès de Bâle en 1897, avait pour but de doter le peuple juif d’un foyer national, puis d’un État libre et souverain. Il serait donc devenu « caduc », voire réalisé, après le partage de la Palestine décidé par l’ONU le 29 novembre 1947 et la proclamation, le 14 mai 1948, de l’indépendance de l’État d’Israël. Ayant atteint son objectif, le sionisme n’aurait désormais plus d’objet. Israël serait un État comme les autres dont l’identité spécifique tendrait à se diluer, au fur et à mesure de l’évolution politique, économique et sociale du pays. Ces « nouveaux historiens », tous de gauche et pacifistes, soulignent la nécessité de la création d’un État palestinien afin de réparer une erreur historique. Ils notent que le départ massif de centaines de milliers de Palestiniens, conséquence de mesures d’expulsions collectives menées par la Haganah, entache le sionisme et la création de l’État d’Israël d’une sorte de péché originel. Ils militent donc pour la création d’un État palestinien à Gaza et en Cisjordanie comme le prévoit le plan de partage de 1947.
Ces idéologues en viennent à s’aligner sur le même rejet du sionisme véhiculé par les religieux ultraorthodoxes pour lesquels l’instauration, avant l’arrivée du Messie, d’un État juif constituait une violation des commandements divins. Pour eux, seul un Eretz Israel mythique a un sens. Cet État théocratique n’a rien à voir avec l’État d’Israël laïc et moderne. L’existence et la pérennité de celui-ci dépendent étroitement de la cohabitation avec ses voisins, les États arabes ou l’État palestinien en cours de constitution sur des territoires contrôlés par l’Autorité palestinienne dotés de frontières sûres et reconnues.
Force est de constater que la normalisation de la présence israélienne au Proche-Orient est loin d’être achevée. L’État d’Israël a signé des accords avec l’Égypte et la Jordanie qui se sont accompagnés d’une délimitation des frontières. Il reste à mettre en uvre des accords similaires avec la Syrie et le Liban, avec lesquels les rapports sont codifiés soit par les conventions d’armistice de Rhodes en 1949 (cas du Liban), soit par les accords de cessez-le-feu sous l’égide de l’ONU en 1967 et 1973 (cas de la Syrie). Rappelons qu’un pays comme l’Irak, qui a participé à la guerre de 1948, n’a pas, lui, signé les accords de Rhodes. En outre, Israël n’est toujours pas reconnu par de nombreux pays arabo-musulmans et par d’autres membres de l’ONU.
C’est en tenant compte de ce fait que l’initiative de paix saoudienne de 2003, récemment relancée par le roi Abdallah, conditionne la reconnaissance explicite de l’existence d’Israël par le monde arabo-musulman à l’établissement définitif des frontières, en principe sur la ligne du 5 juin 1967, et à la création d’un État palestinien viable avec, pour capitale, la partie orientale de Jérusalem.
L’immense majorité des Israéliens en ont conscience et savent que le rêve sioniste ne deviendra une réalité tangible qu’après la signature d’un accord global avec le monde arabe et avec les Palestiniens. La définition des frontières est inséparable de la réalisation irréversible du sionisme classique, aux côtés d’un État palestinien, comme le soulignent les dirigeants du mouvement pacifiste israélien, de David Grossman à Amos Oz en passant par Yossi Beilin, le promoteur de l’accord de Genève avec le Palestinien Yasser Abed Rabbo.
Dans cette optique, l’ancien sionisme, dont l’ambition ultime était le rassemblement théorique de la diaspora, n’aura plus de sens. La disparition de celle-ci est peu probable, compte tenu de la répartition géographique des Juifs dans le monde et de leur intégration dans des sociétés appartenant presque toutes au monde occidental développé et démocratique.
Israël doit s’intégrer dans son environnement proche-oriental et être accepté par lui. Car aussi développé, grâce à sa maîtrise des nouvelles technologies, et démocratique soit-il, il ne pourra sortir de son isolement tant qu’il ne disposera pas de frontières reconnues par la communauté internationale. Cela implique la restitution à la Syrie et au Liban des territoires occupés en 1967 et la création d’un État palestinien.
Une telle solution exige l’abandon de l’unilatéralisme et la fixation des frontières définitives entre Israël et ses voisins. Il faut souhaiter qu’un tel projet se réalise rapidement, car Israël ne pourra passer au « post-sionisme » sans que soit créé, à ses côtés, un État de Palestine libre et souverain. Alors et alors seulement, le « post-sionisme » sera une réalité « idéologique » que nul ne pourra nier.
* Homme d’affaires, figure du judaïsme marocain, fondateur du Centre de recherche sur les juifs du Maroc et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.
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