Mobilisation générale

L’Afrique, notamment au sud du Sahara, doit redoubler d’efforts pour atteindre les Objectifs du millénaire assignés aux secteurs de l’eau et de l’assainissement. Gouvernements et entreprises sont condamnés à s’entendre.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 8 minutes.

L’eau potable et l’assainissement pour tous font figure de priorité sur l’agenda international. Ils sont au cur des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), lesquels, dans leur cible n° 10, entendent diminuer de moitié d’ici à 2015 le nombre de personnes qui en sont actuellement privées, soit 350 millions en Afrique, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un chiffre corroboré par le Rapport régional africain publié dans le cadre du Forum mondial de l’eau, dont le dernier s’est tenu au Mexique en 2006. Un objectif ambitieux nécessitant des investissements que le Conseil mondial de l’eau (WWC) a situé, en mars 2006, entre 10 milliards et 30 milliards de dollars par an (voir www.worldwatercouncil.org). Les dix prochaines années sont donc décisives pour s’attaquer à un problème dont les conséquences indirectes, notamment sanitaires, imposent un traitement d’urgence. Car si à l’échelle planétaire 2,4 milliards d’individus ont accédé à l’eau potable et 600 millions à l’assainissement au cours des vingt dernières années, 1,1 milliard n’y ont toujours pas accès, tandis que 3,5 millions d’enfants meurent chaque année des suites de maladies hydriques.
L’Afrique accuse le plus gros retard, en particulier dans les villes secondaires. Rares sont les États dont la couverture excède 50 % des populations urbaines. Seuls quelques pays, comme l’Algérie, le Maroc ou le Lesotho, affichent un taux supérieur à 80 %. D’autres comme le Sénégal, le Gabon ou la Côte d’Ivoire s’en approchent. La mauvaise répartition de la ressource suivant les zones géographiques, conjuguée à l’insuffisance des infrastructures face à une urbanisation galopante, soulève donc de formidables défis. Des enjeux d’autant plus cruciaux que, plus que tout autre, le continent sera beaucoup plus vulnérable aux mutations climatiques en cours, comme le souligne un récent rapport du Secrétariat des Nations unies pour le changement climatique rédigé au lendemain du Sommet de Nairobi, en novembre 2006. Pour coller aux OMD, il faudrait plus que doubler les financements – toutes origines confondues -, ce qui est loin d’être le cas, bien que l’implication de la communauté internationale ne soit pas négligeable. Au Nigeria, 10 milliards de dollars sont nécessaires pour desservir 80 % de la population d’ici à 2020. Seulement 42 % des ménages d’une agglomération comme Nairobi, au Kenya, sont couverts. En Côte d’Ivoire, pays où le secteur est montré en exemple, les besoins sont évalués à 450 millions d’euros d’ici à 2025, soit une enveloppe annuelle de 20 millions. En République démocratique du Congo (RDC), où l’accès à l’eau potable touche 66 % de la population en ville, mais seulement 16 % en milieu rural, la production s’élève à 120 millions de m3, soit 17 litres d’eau par jour et par personne, contre 140 litres pour les populations des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). À titre de comparaison, la consommation – très exagérée – de Las Vegas, aux États-Unis, est de 1 000 litres par jour et par habitant
C’est dire l’enjeu de la réalisation de la cible n° 10. Au rythme actuel, les OMD seront effectifs juste avant 2080. Contrairement à d’autres secteurs prioritaires comme l’éducation, la mise en valeur de la ressource « eau » suppose de lourds engagements, à la fois financiers et humains. Extension de réseau, raccordement, forages, généralisation des bornes-fontaines, stations d’épuration et de traitement, système de contrôle des infrastructures budgétivores que les États ne peuvent assumer à eux seuls. L’ampleur des fonds nécessaires, ajoutée à la multiplication des acteurs publics, à de mauvais schémas directeurs, au manque de personnels qualifiés, à un parc de compteurs obsolètes, à la fraude ou encore à une forte déperdition au long des circuits de distribution, a longtemps expliqué les faibles performances du secteur en Afrique. Ce qui a souvent conduit les pouvoirs publics à préférer, notamment dans les zones rurales, faire appel aux acteurs de la coopération internationale et aux ONG. Dans ces zones, la politique de généralisation des forages et des points collectifs d’approvisionnement, très en vogue dans les années 1970 et 1980, a montré toute sa pertinence et remporte un certain succès. Les projets initiés dans le cadre des OMD ne manquent pas et s’appuient sur ce développement, l’hydraulique villageoise posant en définitive moins de problèmes que l’évolution de la demande urbaine. Le plus ambitieux demeure l’Initiative pour l’accès à l’eau et à l’assainissement en milieu rural (IAEAR) de la Banque africaine de développement (BAD), qui vise 80 % de couverture des populations rurales, soit plus de 277 millions de personnes, d’ici à 2015. Un investissement de 15 milliards de dollars dont 30 % sont déjà collectés via le Fonds africain de développement (FAD). La moitié des fonds proviendra des agences de développement multilatérales ou bilatérales, le reste (20 %) incombant aux États.
Il en va autrement dans les capitales et les centres urbains secondaires, qui, bien que dotés en infrastructures, sont confrontés à l’accroissement de populations venues grossir les périphéries. Plus que la disponibilité de la ressource, la problématique réside ici dans sa gestion. « Le financement est essentiel, souligne Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE. Mais le renforcement des capacités l’est davantage. Il existe aujourd’hui une crise de l’eau, qui résulte d’une si mauvaise gestion que des milliards de personnes en souffrent gravement. L’eau est une question locale qui doit être traitée localement. Mais les municipalités manquent de compétences techniques nécessaires à la faisabilité des projets. » C’est que, dans des pays où tout fait figure de priorité, le traitement des eaux usées et l’extension des réseaux ont longtemps été relégués au second plan en raison de dividendes politiques somme toute très faibles. Ne dit-on pas couramment d’un tuyau de raccordement enfoui en sous-sol qu’il se voit moins qu’une route ? Les pouvoirs publics africains ont souvent préféré brader la politique de l’eau sur l’autel de slogans fumeux, qui, à l’instar d’une distribution gratuite pour tous, ne se sont jamais concrétisés
C’est dire si les réformes institutionnelles, l’amélioration des systèmes de financement et le renforcement des capacités des États dans cette gestion détermineront la réalisation des OMD, l’extension des villes constituant de ce point de vue un véritable challenge mais aussi un casse-tête. Partant de ce constat et d’une plus grande sensibilisation des gouvernements aux enjeux de demain, des avancées ont été obtenues. La première d’entre elles est la création du Conseil des ministres africains de l’eau (AMCOW) soutenu par la BAD. De ce conseil est née, en 2004, la Facilité africaine de l’eau (FAE, voir sur le site www.africanwaterfacility.org). L’Association africaine de l’eau (AAE), qui fédère depuis vingt-cinq ans les principaux acteurs, a joué un rôle moteur dans la mobilisation de l’ensemble des acteurs privés et publics pour créer un environnement propice à l’investissement et une gestion intégrée. Au niveau national, des ministères dédiés à la ressource ont été créés, comme le Department of Water Affairs and Forestry sud-africain, avec parfois un rang de ministère d’État. C’est notamment le cas au Burkina Faso. Parallèlement, des Codes de l’eau et des Stratégies d’approvisionnement en eau potable sur le modèle du National Water Act sud-africain ont été adoptés. Les bailleurs de fonds tels que l’AFD, la BOAD, l’agence allemande KFW ou encore la BAD y sont étroitement associés. Le Plan d’action gouvernementale adopté en 2004 au Nigeria est représentatif de cette coopération multiforme. Dans la foulée des privatisations de sociétés d’eau, des instances de régulation ont été installées pour maîtriser les prix. Au final, même la perception des consommateurs semble avoir évolué. « Les ménages africains sont de plus en plus sensibles à la privatisation de la ressource et au raccordement au réseau. Entre un opérateur public qui déleste régulièrement et un opérateur qui peut assurer un approvisionnement régulier, ils n’hésitent plus, même si le prix est plus élevé », affirme un expert. En outre, les annulations de dette dans le cadre des multiples initiatives (IADM, PPTE) permettent de dégager de nouvelles ressources pour ce secteur prioritaire.
Au niveau rural, l’arrivée de nouveaux instruments financiers a permis une meilleure gestion décentralisée, notamment par une plus grande implication des collectivités locales sur le modèle des Water Services Boards du Kenya. Une fois responsabilisées, les populations, souvent regroupées sous forme d’associations ou de comités, gèrent la distribution de l’eau en la confiant à un fontainier avec le souci de maintenir une exploitation financière viable de l’installation. Une gestion participative qui a progressivement été transposée aux villes sous d’autres formes. La vente de l’eau par un fournisseur via le gérant d’une borne-fontaine en est l’une des multiples illustrations.
Des évolutions donc, mais qui n’auraient guère été possibles sans l’implication du secteur privé dont l’expertise dans la modernisation des secteurs de pays comme la Tunisie ou l’Algérie n’est plus à démontrer. La régulation à distance, la gestion autonomisée, l’enregistrement des débits et des fuites sont même devenus des normes au Maroc. Au sud du Sahara, la déliquescence des infrastructures a littéralement imposé ce type d’opérateurs, souvent les seuls à pouvoir assumer le risque économique de l’exploitation et du traitement de la ressource. Du Sénégal à l’Afrique du Sud en passant par le Ghana, l’eau est entrée dans des cycles de privatisation non sans soulever de vives polémiques après avoir connu certaines déconvenues avant tout animées, selon les industriels, par des considérations politiques, les sociétés publiques devant passer les unes après les autres sous les Fourches caudines du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Effectués le plus souvent sous la forme d’une concession étalée sur une période de quinze, vingt, voire trente ans au cours de laquelle l’opérateur doit entretenir et moderniser le réseau suivant un cahier des charges précis, ces processus ont permis à l’État de garder la propriété des infrastructures et la responsabilité de certains investissements. En Afrique francophone, les groupes Suez, Vinci, Veolia ou Saur se sont taillé la part du lion.
Ces privatisations ne suffisent pas à elles seules mais elles ont eu, pour certaines, le mérite de voler au secours de sociétés publiques surendettées incapables de remplir leur mission première. « Le recours au secteur privé ou aux communautés locales pour assurer la permanence des services est un moyen efficace pour améliorer les performances. Et face aux échecs des privatisations dans certains pays, un consensus s’est dégagé pour promouvoir un véritable partenariat public-privé », reconnaît d’ailleurs la Banque mondiale, ardent promoteur de ce processus au sud du Sahara. Les zones périurbaines africaines sont les enjeux de demain, qui supposent une mobilisation plus forte pour réunir les conditions de la réalisation des OMD. Cela ne se fera pas sans les opérateurs privés ni les communautés locales, encore moins les bailleurs de fonds internationaux, qui participent activement à la multitude de projets actuellement en cours dans ce secteur stratégique. De tous ces acteurs, les gouvernements restent de loin les plus importants. Et à la Banque mondiale d’avertir : « La maîtrise globale des politiques de l’eau leur appartient. Une bonne gouvernance est essentielle pour protéger les intérêts des consommateurs. » En 2015, quand sonnera l’heure des comptes, l’absence de volonté politique ou l’amateurisme de certains d’entre eux risquent, en effet, de peser de tout leur poids pour expliquer que la cible n° 10 des OMD n’a pas été atteinte.

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