Les diamants de l’après-guerre

Avec la sortie du film Blood Diamond, le scandale des gemmes destinées à financer les conflits en Afrique revient en haut de l’affiche. Si la situation globale s’améliore, certains pays, comme la Côte d’Ivoire, sont toujours la proie des trafiquants.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Des mercenaires qui s’enrichissent avec la cynique équation « armes contre diamants » au plus fort d’une guerre civile, l’histoire africaine en fournit de nombreux exemples. Le réalisateur de Blood Diamond – « Le Diamant du sang », qui sort en France le 31 janvier – a choisi la Sierra Leone en proie à la lutte armée du Front révolutionnaire uni (RUF) pour camper les aventures de l’un de ces antihéros. Mais Edward Zwick aurait tout aussi bien pu filmer Leonardo DiCaprio – la star hollywoodienne a prêté ses traits de « beau gosse » au trafiquant fictif Danny Archer – au Liberia de la même époque, dans l’Angola déchiré par les combats entre l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) de Jonas Savimbi et les forces gouvernementales, dans la RD Congo de Laurent-Désiré Kabila. Et même dans le nord de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui, où les pierres précieuses, interdites à l’exportation, s’échangent sous le manteau avant de quitter le pays (voir pages suivantes).

Blood Diamond exhume des récentes archives du continent l’histoire d’un trafic pervers qui, à une époque où sévissent de multiples guerres civiles – les années 1990 et le début des années 2000 -, permet aux belligérants de s’armer et aux affrontements de perdurer. La simplicité du système est déconcertante. Dans un pays en conflit, les combattants ont besoin d’armes. En Angola, en Sierra Leone, au Liberia ou en RD Congo, ils disposent d’une ressource inestimable : le diamant brut (avant qu’il ne soit taillé). À Anvers comme à Tel-Aviv, les gemmes africaines, et particulièrement celles de la province du Luanda Norte (dans le nord de l’Angola), se négocient au prix fort. On les recherche pour leur pureté, parfois pour leur taille imposante. Mises au jour par des milliers de petits « creuseurs » à la solde de chefs de guerre ou par de grands industriels du secteur prêts au compromis pour contrôler une zone diamantifère, les pierres deviennent alors une précieuse monnaie d’échange pour acquérir ladite artillerie. Ensuite, une pyramide à plusieurs étages s’échafaude : des trafiquants, parfois tout droit venus de Belgique, d’Inde ou de Russie, qui traquent les joyaux et jouent les intermédiaires ; des pays voisins qui font office de zones de blanchiment ; en bout de chaîne, des diamantaires à Anvers, Bombay ou Londres qui feignent de ne pas savoir ou ne savent réellement pas d’où viennent les pierres. Assis sur un continent qui produit 65 % des diamants bruts du monde, l’édifice est solide, bien agencé. Et, surtout, il rapporte gros.

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Entre 1992 et 1998, l’Unita de Jonas Savimbi – qui, au plus fort de sa puissance, contrôlait 70 % des zones diamantifères angolaises – aurait ainsi gagné 3,7 milliards de dollars. À la fin des années 1960, la Sierra Leone exporte officiellement 2 millions de carats par an, contre quelques poussières (225 000 carats) trente années plus tard, conséquence de l’embargo. Les rebelles soutenus le chef de guerre Charles Taylor, les milices et les contrebandiers d’un jour ont probablement empoché la différence. Selon diverses estimations, les diamants de la guerre représentent, au milieu des années 1990, de 7 % à 14 % du commerce mondial de diamants bruts.
En décembre 1998, Global Witness publie un rapport sur ce trafic meurtrier. Le document épingle sans ambages les industriels – et particulièrement le conglomérat sud-africain De Beers, qui contrôle près de 60 % du commerce mondial des diamants bruts -, qui se montrent plus soucieux de la valeur des pierres que de leurs conditions d’extraction. En Occident, on s’émeut à l’idée que la gemme, symbole de nobles sentiments, puisse être souillée. À l’ONU, on établit un lien entre conflit et ressources naturelles.
Près de dix ans plus tard, des progrès considérables ont été accomplis. À l’heure actuelle, les diamants de la guerre représenteraient moins de 5 % du commerce mondial. Et même 1 %, aux dires des industriels. Mais puisqu’il s’agit de contrebande, aucune donnée définitive ne peut être fournie.

Avec la fin des conflits dans les zones diamantifères, le processus de Kimberley (PK), du nom de la ville minière sud-africaine où il a vu le jour, est la principale explication de cette amélioration. En 2000, États, industriels et société civile décident de s’unir pour fixer des règles au commerce des diamants bruts. Après trois années de négociations, le PK entre en vigueur le 1er janvier 2003. Son principe est clair : pour être commercialisé, un diamant doit être accompagné d’un certificat attestant qu’il ne provient pas d’une zone de conflit. Ainsi, le PK est la seule et unique voie légale pour la commercialisation des diamants bruts. Aujourd’hui, 71 pays y adhèrent : des producteurs, dont le Botswana et l’Afrique du Sud, mais aussi la Sierra Leone et le Liberia (qui reste soumis à un embargo reconduit pour un an en décembre) ; des pays intermédiaires, à l’exception de la Zambie et du Mali ; et des consommateurs de diamants taillés, dont le premier d’entre tous, les États-Unis. Chaque pays est tenu de mettre en uvre un arsenal juridique qui garantisse le contrôle des pierres et de fournir des statistiques sur ses importations et ses exportations. Le puzzle mondial est ensuite reconstitué pour mesurer les déperditions au cours du voyage à multiples escales entre le producteur et le consommateur (voir encadré ci-contre).

À en croire les chiffres, le PK est efficace. En Sierra Leone, les exportations officielles de diamants bruts sont passées de 26 millions de dollars en 2001 à 142 millions en 2005. Rien qu’en 2003, première année du PK, les exportations de RD Congo ont augmenté de 62 %. Autrement dit, le commerce parallèle est progressivement réintégré au circuit légal. Pourtant, les ONG, notamment Global Witness et Partenariat Afrique Canada, nourrissent de vives inquiétudes. Les diamants alimentent la rébellion ivoirienne avec la complicité du Ghana voisin. Des pierres seraient également écoulées à partir du Liberia, qui ne peut officiellement pas exporter en raison de l’embargo. Bizarre : les États-Unis déclarent importer plus de diamants sud-africains que Pretoria déclare en exporter vers Washington. Comment vérifier que les certificats correspondent bien aux lots enfermés dans les conteneurs scellés ? Le contrôle est aléatoire, il suffit de la complicité de fonctionnaires locaux pour obtenir de faux documents et, dans les pays en reconstruction, la mise en uvre d’un système de contrôle n’est pas prioritaire. Surtout, le PK manque de moyens pour sanctionner les coupables.

En novembre 2006, lors d’un examen triennal à Gaborone, au Botswana, la complicité du Ghana dans l’exportation des diamants ivoiriens est expressément avérée. Mais le pays n’est pas exclu, comme le fut, en 2004, le Congo-Brazzaville pour avoir laissé transiter des pierres dont il ne pouvait certifier l’origine. « Il faut encourager un État qui renforce ses contrôles internes, avance Valérie Laisney Launay, d’Amnesty International. En revanche, lorsque les règles ne sont manifestement pas respectées, il est urgent de prendre des mesures pouvant aller jusqu’à la suspension du statut de membre. » Les mesures prises à l’encontre d’Accra en novembre ont donné un second souffle au PK. « À Gaborone, les membres ont fait preuve d’une fermeté encourageante, même si les décisions prises restent en deçà de nos attentes », assure Valérie Laisney Launay, avant de reconnaître que le PK est « à la fois indispensable et insatisfaisant aujourd’hui ». Et pour cause : il ne porte que sur les diamants bruts. Dès lors qu’elle est taillée, la pierre n’est plus de son ressort.
Coup médiatique inespéré pour les militants du « diamant responsable », le film d’Edward Zwick promet d’attirer l’attention sur le périple de la pierre une fois sortie du PK. Apparu sur les écrans nord-américains à la fin de 2006 – époque où se réalise l’essentiel des ventes annuelles de diamants taillés -, le long-métrage a terrorisé la filière, qui, pour le contrer, a lancé une offensive médiatique et créé diamondfacts.org. Le site Internet énumère les bienfaits du diamant : « l’industrie du diamant fait vivre 10 millions de personnes dans le monde », « les revenus du diamant permettent aux enfants du Botswana d’être scolarisés après l’âge de 13 ans », « 99 % du commerce mondial du diamant brut est contrôlé par le processus de Kimberley » Comme l’or noir, le diamant peut apporter le meilleur et le pire.

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