[Tribune] Uri Avnery, mort d’un héros postsioniste
Militant pacifiste, défenseurs des droits des Arabes et « éternel opposant », Uri Avnery est mort le 20 août 2018 à l’âge de 98 ans. Raphaël Mergui, notamment co-auteur de « Israel’s ayatollahs », un ouvrage sur l’extrême droite israélienne, revient sur le parcours de cette figure contestataire.
Ému par le décès, à Tel-Aviv, de son ami Uri Avnery, à l’âge de 94 ans, Walid Joumblatt, le leader druze libanais, s’est laissé aller à une allégorie mystique : « Mort le 20 août, à la veille d’Aïd-el-Adha, Uri Avnery a été sacrifié sur l’autel de l’extrémisme [juif]. » Plus conventionnel, Mahmoud Abbas a envoyé pas moins de cinq de ses ministres se recueillir sur la dépouille du militant pacifiste israélien.
Dans son pays, Uri Avnery était à la fois haï et respecté. Le président de l’État d’Israël, Reuven Rivlin, a déclaré : « Uri Avnery a le statut spécial d’éternel opposant. Ses batailles pour la liberté d’expression ont contribué à forger le jeune État d’Israël. » Pour l’historien Tom Segev, il fait partie des dix Israéliens qui ont le plus contribué à forger l’identité de leur pays.
Ce prototype parfait du sabra fit de la défense des droits des Arabes la grande affaire de sa vie
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Côté haine, sa propre mère ne fut pas en reste. Avant de mourir, elle ne lui légua pas le moindre shekel, lui reprochant « d’avoir préféré rendre visite à l’assassin Arafat plutôt que de s’occuper de sa mère. » Un rabbin s’est réjoui qu’il ait choisi de se faire incinérer car, ainsi, « il n’aura pas souillé la terre sainte d’Israël »…
Ce prototype parfait du sabra – ce nouvel homme sans peur et sans complexe – fit de la défense des droits des Arabes la grande affaire de sa vie. Quitte à ferrailler avec tous les gouvernements d’Israël, n’hésitant pas, entre autres, à révéler les activités de pilleur de sites archéologiques de l’icône sioniste Moshe Dayan.
Le jeune Uri Avnery – alors Helmut Ostermann – fuit l’Allemagne nazie en 1933 pour la Palestine. Son passage par l’Irgoun de Menahem Begin – il participe alors à des attentats contre les Arabes et les soldats britanniques – et son engagement dans la guerre d’indépendance de 1948 lui font, paradoxalement, prendre conscience de l’intangibilité de l’existence d’un peuple palestinien et de la nécessaire coexistence de deux États sémites indépendants mais fraternels. Il exclut, toutefois, toute idée d’État binational.
De 1950 à 1993, il dirige l’hebdomadaire à grand succès HaOlam HaZeh. C’est alors un curieux objet journalistique mêlant politique, sexe et rumeurs. La défense des droits des Palestiniens et les scandales politiques voisinent avec des photos de femmes dénudées. Lu en cachette sous les bancs d’école, il déniaise politiquement (et sexuellement) une génération d’adolescents israéliens.
Mon cœur est avec la population de Gaza. Je désire lui demander pardon…
Uri Avnery siégera également une dizaine d’années à la Knesset. Il dénonce, en octobre 1953, le massacre de 69 villageois jordaniens. Des soldats israéliens, auteurs de ce forfait, lui fracturent les deux bras. En 1955, une bombe explose au siège de son journal. Quand il me reçoit à son domicile à Tel-Aviv, en 1982, il me parle sans jamais quitter des yeux le colt posé sur son bureau. La mort est devenue sa plus fidèle compagne.
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En 1982, dans Beyrouth assiégé par Tsahal, Arafat demande à rencontrer Avnery. C’est probablement le premier Israélien dont il ait serré la main. Le coup de foudre est immédiat. Les deux hommes ne cesseront plus de se voir pour disputer de longues parties d’échecs.
En 2003, Avnery sert de « bouclier » à son ami à Ramallah, encerclé par les troupes de Sharon. Uri Avnery franchit une dernière ligne rouge quand il se lie d’amitié avec Mahmoud al-Zahar, ancien ministre des Affaires étrangères du Hamas. Il adresse ces mots émouvants aux Gazaouis après la « Marche du retour » du 15 mai dernier : « Mon cœur est avec la population de Gaza. Je désire lui demander pardon… »
Penseur original, Uri Avnery a fait peu d’émules dans son pays. Il a conservé de son adhésion passée à l’éphémère Union cananéenne – de Canaan, la Terre promise par Dieu aux Hébreux à leur sortie d’Égypte – le postulat que les Israéliens, et non les juifs, étaient les héritiers des Hébreux. Il écrit : « Y a-t-il une nation israélienne ? À coup sûr, oui. Y a-t-il une nation juive ? Bien sûr que non. » Et de qualifier logiquement la loi « Israël, État-nation du peuple juif » de « semi-fasciste ». Postsioniste, ce héros du Proche-Orient disparaît sans laisser d’héritiers.
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