L’Afrique en scènes

Souvent engagé, affranchi des conventions, l’art théâtral du continent ose le mélange des genres. La richesse de sa créativité en fait l’un des plus inspirés de l’heure.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

Le célèbre metteur en scène britannique Peter Brook, qui avait rendu hommage en 2005 à Amadou Hampâté Bâ à travers l’histoire de son maître, Tierno Bokar, dans le spectacle qui porte son nom, donnait en représentation, jusqu’au 12 janvier au Théâtre des Bouffes-du-Nord (Paris), Sizwe Banzi est mort des Sud-Africains Athol Fugard, John Kani et Winston Nsthona (voir J.A. n° 2400). Bien qu’écrite dans les années 1970 sous le régime de l’apartheid, par un Blanc et deux Noirs des townships, cette pièce fait écho aux problèmes des « sans-papiers » en France et ailleurs, parce qu’elle « touche, explique Peter Brook, au plus profond de l’humain et du politique ».
Souvent engagé, le théâtre est appréhendé en Afrique comme une « arme miraculeuse ». Organisant la résistance par l’humour, il accuse, dénonce les maux de la société et les vices des hommes politiques. Bien plus, il a été utilisé pour mobiliser les populations en faveur de la lutte pour l’indépendance, notamment au Botswana, au Mozambique et au Zimbabwe. Le théâtre sud-africain des townships est « né de l’expérience de personnes qui revenaient dans la ville, ayant été battues, humiliées, traitées plus bas que terre […] et racontaient à leurs frères les malheurs endurés le jour même », raconte Peter Brook. L’art dramatique passionne, fascine par sa longévité, ses métamorphoses. Nombre de romanciers africains comme Wole Soyinka, Cheikh Aliou Ndao ou encore Bernard B. Dadié se sont d’abord essayés au théâtre. À peine le dit-on sur le déclin qu’il renaît de ses cendres et offre à voir toute sa richesse et sa créativité. Véritable poétique de l’invention, il séduit tant il sait s’affranchir des conventions.
Ces dernières années, quelques créations et leurs auteurs sont parvenus à sortir du microcosme du théâtre africain pour bénéficier d’une reconnaissance internationale. En témoigne l’accueil réservé aux pièces de l’Ivoirien Koffi Kwahulé. En septembre dernier, Big Shoot, déjà jouée l’année dernière aux Pays-Bas, a été montée à Montréal. Misterioso-119 a été présentée à New York, à l’automne 2005, par le Lark Theater Company, et Bintou, l’année précédente, à Bruxelles.
Ce succès s’explique en grande partie par le mélange des genres, le choix de l’ouverture et de la rencontre par les dramaturges. De fait, sous l’influence de l’esthétique du Congolais Sony Labou Tansi, une véritable mutation s’est opérée. Il ne s’agit plus, contrairement aux pièces des années 1980, de chercher une spécificité africaine. Mais il est question de se penser citoyen du monde et de créer des formes hybrides à partir des héritages traditionnels et occidentaux. L’action de Carrefour, du Togolais Kossi Efoui, peut se dérouler n’importe où dans le monde. Cette Vieille Magie noire, de Koffi Kwahulé, provoque la rencontre de Faust et du jazz dans les milieux noirs américains de la boxe.
Une même pièce peut mêler les genres : théâtre classique de facture occidentale, conte, musique, danse, marionnettes, kotéba (satire sociale jouée de manière burlesque dans les villages mandingues de l’Afrique de l’Ouest)… Le temps de l’académisme des années 1950 de l’Afrique francophone ou du vaudeville des anciennes colonies britanniques est loin. Déconstruction des conventions littéraires, la nouvelle scénographie cherche à s’émanciper de tous les préjugés et s’amuse à déjouer les attentes du public, à provoquer et à dérouter le spectateur. Les repères sont brouillés, le sens éclaté. « Avant, explique Kwahulé, je cherchais une histoire, un thème, et j’écrivais. Aujourd’hui, avec des pièces comme Big Shoot, je ne sais pas, même après les avoir écrites, quels en sont les thèmes. »
Prisé par les élites, l’art de la scène est aussi un genre populaire. Ses formes multiples lui permettent de s’adresser à tous. Le théâtre dit de sensibilisation sert à mener des campagnes de prévention ou d’information et repose sur une tradition africaine de participation du public. Lors des dernières élections en République démocratique du Congo (RDC), pendant trois mois, du 10 avril au 10 juillet, des comédiens ont effectué une tournée dans les transports en commun de Kinshasa pour expliquer le processus électoral à travers divers sketches en lingala. Cette entreprise était soutenue par Caritas Tiers-Monde Genève et la Mission des Nations unies en RDC. Le théâtre de sensibilisation n’est pas un genre mineur. Bien souvent, les interprètes sont de véritables acteurs qui ne parviennent pas à vivre de leur passion et mettent leur talent au service d’ONG dont les moyens dépassent largement ceux des compagnies privées. En fait, peu sont de véritables professionnels. Pourtant, des troupes fleurissent sur tout le continent, même si elles ne voyagent guère et ont de petits budgets. Certaines parviennent néanmoins à se produire à l’étranger, comme la troupe sénégalaise Bou-Saana qui a présenté au Sénégal, en Gambie, en Guinée-Bissau et en France une adaptation du roman d’Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé (prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens 2000).
Malgré la faiblesse des politiques culturelles des États, les structures permettant de faire connaître les acteurs, les metteurs en scène et les dramaturges se multiplient. Mais leur fonctionnement reste souvent aléatoire. Depuis une dizaine d’années, les rencontres théâtrales en Afrique subsaharienne foisonnent. Presque tous les pays organisent un ou plusieurs festivals internationaux comme celui du Théâtre des réalités de Bamako, le Festival international du théâtre du Bénin (Fitheb) ou encore les Récréâtrales burkinabè. La plupart sont financés par des organismes internationaux, comme l’Organisation internationale de la Francophonie, ou par des ONG. Une telle profusion s’explique par la popularité de cet art, mais aussi par son faible coût pour les organisateurs. Il est, pour des raisons économiques évidentes mais aussi techniques et matérielles, plus facile à faire vivre que le cinéma. Chaque festival vise à promouvoir les uvres ou les artistes africains, et à les intégrer à des circuits internationaux. C’est là l’objectif du Marché des arts du spectacle africain (Masa) de Côte d’Ivoire. Ces rendez-vous sont autant d’occasions de provoquer un dialogue entre les différentes traditions et de témoigner de la vitalité de la création africaine.

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