Ils rêvaient d’un autre monde

Près de soixante mille altermondialistes réunis à Nairobi, du 20 au 25 janvier. Un beau succès qui n’éclipse pas d’inquiétantes contradictions.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Les altermondialistes ont fini par planter leur chapiteau en Afrique. Responsables d’ONG, militants syndicaux ou associatifs, leaders paysans Au total, quelque 57 000 personnes ont, du 20 au 25 janvier, participé à Nairobi (Kenya) au 7e Forum social mondial (FSM). Au milieu de cette foule d’anonymes, quelques « vedettes » parmi lesquelles les Prix Nobel de la paix Wangari Maathai et Desmond Tutu, ainsi que l’ancien président zambien Kenneth Kaunda.
Depuis le sommet de Porto Alegre (Brésil), en 2001, la recette n’a pas vraiment changé. Il s’agit toujours de dénoncer les formes actuelles de la mondialisation et de convaincre les opinions qu’ « un autre monde est possible ». Les slogans affichés dans un stade Arap-Moi transformé en tribune antilibérale étaient, à eux seuls, tout un programme : « Donnons une voix aux sans-voix » ou « Le pouvoir au peuple »
Sous des toiles blanches dressées sur les gradins, un bon millier d’« ateliers » ont été organisés. Les thèmes ? Toujours les mêmes : l’annulation de la dette, l’accès à la terre, la défense de l’agriculture traditionnelle, le refus du libre-échange, le droit des femmes, la lutte contre le sida, le réchauffement climatique Un peu fourre-tout, bien sûr, mais on sait que ces débats ont fini par produire des résultats, qu’il s’agisse de certaines annulations de dettes ou de l’engagement des grandes puissances à doubler leur aide à l’Afrique d’ici à 2010. De contre-sommets en manifestations, les altermondialistes ont contraint la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) à revoir, au moins partiellement, leur copie. Quant aux négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elles s’enlisent en raison du refus d’un certain nombre de pays, notamment africains, de céder sur le dossier du coton et des subventions agricoles. Pour divisé qu’il soit entre radicaux et modérés, le bloc altermondialiste n’en a pas moins imposé son agenda. Il a aussi favorisé l’émergence d’une société civile dans les pays du Sud. « C’est la première fois que les animateurs de mouvements sociaux en Afrique représentent la majorité des participants », s’est félicité l’un des organisateurs, Taoufik Ben Abdallah.
L’année dernière, le rendez-vous avait été éclaté entre Bamako (Mali), Caracas (Venezuela) et Karachi (Pakistan), ce qui avait sans doute amoindri la mobilisation. « Nous sommes dans une dynamique, le Forum nous a offert une visibilité ; depuis, les associations du continent font preuve d’une plus grande maturité », se réjouit Laoual Sayabou, coordonnateur au Niger du Réseau des ONG de développement et des associations de défense des droits de l’homme et de la démocratie (RODADDHD). Progressivement, la société civile africaine se renforce et élargit sa base militante. Du même coup, elle s’émancipe de la tutelle des ONG du Nord et conquiert son autonomie face aux pouvoirs en place.
Pourtant, le FSM 2007 a montré quelques faiblesses. Cent mille participants étaient attendus alors que de nombreux habitants venus des quartiers déshérités de Nairobi ont dénoncé avec virulence « un forum sur l’égalité qui exclut les pauvres ». Il fallait acquitter 50 shillings (0,50 euro) pour rentrer dans le stade. « Ce n’est pas en faisant parader les pauvres et les enfants des rues qu’on changera le monde », a estimé Oduor Ong’Wen, un membre du comité d’organisation. Les résidents de Kibera, l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique, qui ont vu défiler chez eux cinq mille personnes lors de l’ouverture des « festivités » ont dû apprécier ! Quant au droit d’inscription, il se voulait équitable : 110 dollars pour les États-Unis et l’Europe, 28 dollars pour l’Asie et l’Amérique latine et 7 dollars pour l’Afrique. Le budget global de l’événement, dont le montant n’a pas été communiqué, reposait pour une large part sur ces contributions.
Plus profondément, la mouvance altermondialiste est sans doute à la croisée des chemins. Beaucoup, à Nairobi, ont parlé d’« essoufflement » et regretté que certains de leurs thèmes de prédilection soient aujourd’hui récupérés par le Forum économique de Davos (voir encadré). Se voulant un espace de réflexion et non de décision, une force de mobilisation et non d’action, le FSM peine à trouver sa voie. « Il peut devenir un véritable contre-pouvoir à condition de muscler son plaidoyer », estime Laoual Sayabou. Des groupes plus radicaux comme No Vox ou Stop the War ont d’ores et déjà annoncé des manifestations en marge du sommet du G8, au mois de juin, en Allemagne. Quant au comité international du FSM, que chapeaute le Brésilien Chico Withaker, il se donne le temps de la réflexion. Le prochain Forum a été repoussé à 2009. Et la ville où il se tiendra n’a pas encore été choisie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires