AHS Sénégal dans la tourmente
Au coeur de l’affaire d’enrichissement illicite impliquant Karim Wade, la société d’acheminement a été placée sous administration judiciaire. Sa gestion, confiée à ADD-Value, est aujourd’hui très discutée.
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Sur l’aéroport international Léopold-Sédar-Senghor, les salariés d’Aviation Handling Services (AHS) continuent de s’activer autour des long-courriers et des vols régionaux. Mais tous savent que leur sort se joue peut-être loin du tarmac, à l’autre bout de la presqu’île du Cap-Vert, où se tient le procès pour enrichissement illicite de Karim Wade.
Car depuis 2013, les actionnaires d’AHS – Ibrahim Aboukhalil (dit Bibo Bourgi), son frère Karim et leur associé Pape Mamadou Pouye – sont soupçonnés par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) d’avoir servi de prête-noms au fils de l’ancien président sénégalais. Ce dernier est suspecté d’être le véritable propriétaire de la société. Résultat, l’entreprise a été mise sous administration judiciaire et sa gestion confiée à la société ADD-Value Finance, qui a mandaté pour cette tâche Abdoulaye Sylla.
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Opacité
À l’heure où les magistrats s’efforcent de valider leur théorie, il est difficile d’obtenir des informations fiables sur la situation économique d’AHS. Si l’administrateur provisoire est tenu d’ »établir un rapport d’activité mensuel » à l’intention de la justice, les avocats des actionnaires de référence s’inquiètent de n’avoir « aucune visibilité ». « Abdoulaye Sylla gère la société en toute opacité, estime l’un d’eux. De hauts responsables qui avaient été détachés par Menzies Aviation, le partenaire stratégique d’AHS, ont été mis au placard à son arrivée, et le commissaire aux comptes s’est plaint de ne pas avoir pu exercer pleinement sa mission lors des exercices 2012 et 2013. »
Il est vrai que le groupe Menzies Aviation, l’un des poids lourds mondiaux du secteur du handling, avait été la clé du succès d’AHS au Sénégal et de son développement à travers l’Afrique. « Menzies apportait son expertise à AHS, et, en contrepartie, le groupe avait détaché à Dakar des membres de son équipe pour contrôler le bon déroulement des opérations », rappelle la même source.
Un réseau ouest-africain dans l’impasse
Le partenariat entre AHS et Menzies Aviation, débuté en 2003 au Sénégal, a rapidement été étendu à d’autres pays. À la faveur des appels d’offres ou du rachat d’entreprises, AHS s’est implanté en Guinée équatoriale, au Niger, au Bénin, au Ghana, en Centrafrique, en Guinée-Bissau et même en Jordanie.
Toutes ces sociétés sont contrôlées par Pape Mamadou Pouye et Ibrahim Aboukhalil au travers de Menzies Middle East and Africa. Cependant, leurs déboires judiciaires ne leur permettent plus d’assumer un rôle actif dans la gestion de ces sociétés. Interrogé par Jeune Afrique, le bureau de Menzies Aviation en Afrique du Sud confirme que les entreprises AHS continuent leurs activités en dehors du Sénégal.
Seul AHS Niger et AHS Bissau ont cessé d’exister, la première à la suite d’un désaccord avec les autorités, la seconde parce que le trafic de l’aéroport de Bissau ne permettait pas de couvrir les coûts d’exploitation.
Malgré nos demandes, aucun responsable d’AHS ou de Menzies n’a souhaité communiquer d’informations sur l’état de santé des différentes implantations.
Dans son dernier rapport d’activité, daté d’avril 2014 et portant sur l’exercice 2013, Abdoulaye Sylla indique que Menzies Aviation aurait « rompu unilatéralement le contrat d’assistance le 25 juin 2013 » avec AHS. Selon l’entourage de Bibo Bourgi, ce départ serait lié à la purge déclenchée en interne par l’administrateur provisoire afin d’asseoir son contrôle, écartant les principaux dirigeants de la société au risque d’aller au clash.
De fait, Abdoulaye Sylla mentionne dans son rapport « la cessation des rémunérations du directeur général et du directeur des opérations », « la démission de trois chefs de service » et « quelques licenciements ». Une vague de départs qui aura eu, selon lui, le mérite de permettre de réduire les charges salariales de 11 % entre 2012 et 2013 en dépit d’une revalorisation des salaires.
Sceptiques
Toujours selon le rapport d’Abdoulaye Sylla – sollicité via l’un de ses collaborateurs, l’intéressé n’a pas souhaité répondre aux questions de Jeune Afrique -, la mise sous administration provisoire aurait permis à la société de faire passer son chiffre d’affaires de 5,4 milliards de F CFA (8,2 millions d’euros) à plus de 6 milliards, faisant un bond de 12 %. « 2013 affiche un résultat qui augmente de 225 % par rapport à 2012 », conclut l’administrateur provisoire.
« Pour le nombre de compagnies, notre concurrent Senegal Handling Services a une légère avance, mais AHS assure plus de vols », indique une source interne, ajoutant que l’activité de maintenance aéronautique, désormais assurée par AHS, lui permet d’espérer conforter son développement.
Cette analyse rassurante laisse pourtant sceptique l’entourage des frères Aboukhalil. « Le poste de charges « prestation de services extérieurs » a connu une augmentation fulgurante de 39 % et les créances dues aux fournisseurs ont également atteint un niveau extrêmement alarmant », s’inquiète l’un de leurs avocats, ajoutant que « les compagnies aériennes n’aiment pas l’incertitude et, surtout, ont besoin d’interlocuteurs fiables et spécialisés dans le secteur ». Mais après avoir déposé sans succès une requête visant à récuser la société ADD-Value Finance et Abdoulaye Sylla, ces derniers ne peuvent qu’attendre l’issue du procès Karim Wade pour savoir à quelle sauce AHS Sénégal sera mangée.
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