Diplomatie de l’autruche

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

« Les affaires étrangères, il s’en moque éperdument. La preuve ? La Guinée n’a aucun poste dans la commission de neuf membres que la Cedeao vient de créer », lance un ancien collaborateur de Lansana Conté. De fait, le président guinéen aime bien jouer les absents sur la scène internationale. Il n’a jamais goûté les voyages (voir encadré p. 42), même quand il était en bonne santé. Et quand il apparaissait à un sommet, il avait une forte tendance à la somnolence. Ce qu’on pense de lui, il s’en fiche. Et les pressions internationales, il abhorre.
Un jour d’octobre 2000, la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright vient plaider la libération de l’opposant Alpha Condé. Il se tourne vers l’un de ses ministres et lui dit en soussou : « Si cette p croit pouvoir me faire changer d’avis »
Depuis son arrivée au pouvoir, en 1984, Lansana Conté cultive l’image d’un chef d’État indifférent aux affaires du monde, un rien méprisant pour ses homologues globe-trotters. L’image est soignée, mais la réalité est plus compliquée.
Le vrai Lansana Conté s’est dévoilé en 1991, à Yamoussoukro, lors d’un sommet des chefs d’État de la Cedeao consacré au Liberia. À cette date, le président guinéen pleurait la mort de son ami Samuel Doe. Or la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso soutenaient le rebelle Charles Taylor. Conté s’est lâché. « Il a accusé Félix Houphouët-Boigny de tous les crimes, se souvient un diplomate présent dans la salle. Il lui a mis sur le dos tous les bouleversements de la sous-région. La chute de Nkrumah, les complots contre Sékou Touré, l’assassinat de Sankara et, bien sûr, le soulèvement au Liberia. Il n’a pas épargné Compaoré non plus. » C’est depuis cette époque que le président guinéen ne supporte plus son homologue burkinabè.
En fait, la politique régionale de la Guinée a longtemps été gouvernée par un principe simple : tout sauf Charles Taylor. En décembre 2000, le chef de l’État libérien a téléguidé une attaque sur deux villes guinéennes, Guékédou et Kissidougou, à 500 km à l’est de Conakry. Dès lors, la Guinée a armé massivement les rebelles libériens du Lurd (Liberians United for Reconciliation and Democracy). Jusqu’à la chute de Taylor en août 2003. Et Conté a la rancune tenace. Aujourd’hui encore, il poursuit le prisonnier Taylor de sa haine : « C’est un pauvre type que les Blancs ont manipulé contre son peuple. Il doit être fusillé. » Et il nourrit toujours une forte méfiance à l’égard de Compaoré. « C’est même la raison de son rapprochement avec l’actuel président ivoirien, confie un diplomate guinéen. Conté est persuadé que les Forces nouvelles sont dans la main du Burkina. Alors, à tout prendre, il préfère Gbagbo. »
En Afrique de l’Ouest, Lansana Conté n’a pas que des ennemis. Il a aussi un ami sûr : le président bissauguinéen João Bernardo Vieira. Dans les années 1970, l’ex-officier de Sékou Touré et l’ex-compagnon de maquis d’Amilcar Cabral ont combattu ensemble l’armée coloniale portugaise. En juin 1998, le général Conté a envoyé un contingent guinéen de 1 200 hommes à la rescousse de « Nino » Vieira contre les putschistes du général Ansumane Mané, mort depuis. En avril 2005, c’est à bord d’un hélicoptère de l’armée guinéenne que Nino Vieira est rentré à Bissau, après six ans d’exil.
Si « l’étranger proche » intéresse beaucoup Lansana Conté, il est vrai que « l’étranger lointain » le laisse de marbre. Aujourd’hui, il ne bouge même plus, sinon pour aller se faire soigner au Maroc ou en Suisse. La France, il s’en méfie. Depuis toujours. Dans son esprit, le « non » à de Gaulle reste l’acte fondateur. Ses rapports avec Jacques Chirac sont cordiaux, sans plus. La visite du président français à Conakry en juillet 1999 n’y a rien changé. Quand un ministre lui suggère de téléphoner à Chirac pour débloquer des fonds, il répond : « Mais pourquoi je vais l’appeler ? Je n’ai rien à lui dire. »
Une fois pourtant, une seule fois, Lansana Conté s’est penché sur les grandes affaires du monde. C’était en mars 2003. Les États-Unis tentaient de faire valider leur aventure irakienne par l’ONU, et la Guinée, alors membre non permanent, présidait le Conseil de sécurité. Les premiers jours, il a fait l’autruche. « Le monde entier voulait lui parler. Il refusait de prendre George Bush, Tony Blair ou Jacques Chirac au téléphone », se souvient un de ses collaborateurs. Un moment, il s’est même emporté contre ses conseillers : « C’est vous qui m’avez mis dans le pétrin ! » Puis, quand il a vu le parti qu’il pouvait en tirer en termes d’image, il s’est positionné contre la guerre. En recevant le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires africaines, Walter Kansteiner, à Conakry, il lui a lancé, goguenard : « Mais pourquoi reprochez-vous à Saddam Hussein d’avoir des armes de destruction massive ? Vous avez des armes encore plus meurtrières que les siennes ! » Conté « le paysan » a fini par se piquer au jeu des grands de ce monde. C’est aussi pour cela qu’il aime le pouvoir.

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