Bush sur le sentier de la guerre ?

Au dialogue avec Téhéran, prôné par la commission Baker-Hamilton, le président américain semble avoir préféré, encore une fois, l’affrontement.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Il est clair aujourd’hui que le président George W. Bush a décidé d’affronter l’Iran, politiquement, économiquement et militairement, plutôt que d’engager des négociations avec lui, comme James Baker et Lee Hamilton le lui suggéraient dans le rapport du Groupe d’étude sur l’Irak.
Bush semble avoir été influencé par des conseillers pro-israéliens tels que Elliott Abrams, l’homme chargé du Moyen-Orient au Conseil de sécurité nationale, et par des stratèges en chambre des think-tanks néoconservateurs tels que l’American Enterprise Institute, qui réclament depuis longtemps un changement de régime à Téhéran.
Bien que les néocons washingtoniens aient connu de graves échecs, notamment à cause de la faillite catastrophique de leur stratégie de guerre en Irak, ils continuent manifestement à avoir une influence considérable à la Maison Blanche et dans l’entourage du vice-président Dick Cheney.
Lors d’une récente tournée au Moyen-Orient, la secrétaire d’État Condoleezza Rice a tenté de persuader les six membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), plus l’Égypte et la Jordanie, de s’allier avec les États-Unis contre l’Iran. Les grands États arabes comme l’Arabie saoudite et l’Égypte sont évidemment préoccupés par la montée en puissance de l’Iran et du chiisme militant, mais ils sont encore plus alarmés par l’éventualité d’une guerre israélo-américaine contre l’Iran, qui aurait inévitablement de très graves répercussions pour leur société.
L’objectif déclaré des États-Unis est d’endiguer l’Iran et de réduire son influence au Moyen-Orient. Mais le danger d’une telle politique est qu’elle pourrait entraîner une escalade des violences verbales et des sanctions jusqu’à des affrontements armés, et même à une guerre. Certains experts croient que si les États-Unis attaquaient l’Iran, Téhéran pourrait répliquer par des tirs de missiles contre les bases américaines en Irak et dans le Golfe, que le Hezbollah pourrait attaquer Israël et ce dernier envahir la Syrie, provoquant une guerre régionale généralisée, avec des conséquences dévastatrices.
Washington considère depuis longtemps l’Iran comme un adversaire, membre du fameux – ou de l’infâme – « axe du Mal ». Mais il semble que la décision ait été prise, ces dernières semaines, de durcir le ton avec le régime de Téhéran, qui, selon la formule de Dick Cheney, représente une « menace multidimensionnelle » pour les États-Unis et leurs alliés. Ces menaces, aux yeux des Américains, seraient les suivantes :
– L’Iran met en péril l’hégémonie des États-Unis dans la région du Golfe. Il veut mettre fin à la présence américaine et y substituer sa propre influence, fondée sur son idéologie islamiste révolutionnaire.
– Le programme nucléaire iranien – qui vise manifestement l’acquisition d’armes atomiques – constitue une menace pour Israël et pour les alliés arabes de l’Amérique. Si on ne le stoppe pas, il limitera la liberté d’action des États-Unis et d’Israël dans la région et fera basculer le rapport de force régional en faveur de l’Iran.
– Maître du détroit d’Ormuz, un Iran hostile serait en mesure d’interrompre la livraison du pétrole du Moyen-Orient au monde industriel.
– Des membres de la Garde révolutionnaire iranienne se sont infiltrés en Irak, où ils entraînent et arment les milices chiites qui tuent des soldats américains et empêchent la normalisation du pays.
– Via le Hezbollah et le Hamas, l’Iran cherche à renverser le Premier ministre libanais pro-occidental, Fouad Siniora, et le président modéré de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et à renforcer son influence sur la politique libanaise et dans le conflit israélo-palestinien.
– En Amérique latine, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad fait équipe avec les adversaires des États-Unis – le Vénézuélien Hugo Chávez, le Nicaraguayen Daniel Ortega, l’Équatorien Rafael Correa et le Bolivien Evo Moralès – dans un front commun contre l’impérialisme américain.
Pour faire face à cette menace multidimensionnelle, les États-Unis ont adopté une stratégie aux aspects multiples :
– ils cherchent à déséquilibrer le système bancaire iranien, ainsi que le financement de son commerce extérieur, en faisant pression sur les banques internationales pour qu’elles ne traitent plus avec l’Iran. Ils sont intervenus auprès de plusieurs groupes importants pour qu’ils cessent de commercer avec l’Iran ;
– ils ont déployé deux porte-avions, le Eisenhower et le Stennis, aux abords de la République islamique pour contrer les missiles et les navires iraniens, et envoyé des missiles de défense Patriot aux pays du CCG. Washington a également pris des dispositions pour empêcher l’Iran de bloquer les livraisons de pétrole du Golfe ;
– les troupes américaines ont arrêté cinq conseillers du consulat iranien d’Irbil, à 350 kilomètres au nord de Bagdad, en les accusant de financer et d’armer des insurgés irakiens. Le 10 janvier, Bush a déclaré : « Nous démasquerons et nous détruirons les réseaux qui arment et qui entraînent nos ennemis en Irak » ;
– les États-Unis se proposent aussi de renforcer les sanctions contre l’Iran s’il n’arrête pas les travaux d’enrichissement d’uranium au début de février, comme le requiert la résolution 1737 du 23 décembre du Conseil de sécurité de l’ONU ;
– les États-Unis n’ont pas accepté que l’Europe ait tellement atténué la résolution pour obtenir l’appui de la Russie et de la Chine que l’Iran pourrait se permettre de ne pas l’appliquer. Ils veulent une résolution beaucoup plus dure ou bien, si c’est impossible, une « coalition de volontaires » pour imposer à l’Iran des sanctions plus sévères.
Ces mesures ont fait craindre aux capitales européennes et au monde arabe que le président Bush se soit engagé sur le sentier de la guerre. En opposition directe avec la politique américaine, le président Jacques Chirac a plaidé pour le dialogue plutôt que l’affrontement avec l’Iran, ce que lui a vivement reproché Condoleezza Rice.
La situation n’est pas sans rappeler celle de 2003, lorsque la France s’était opposée à l’invasion de l’Irak, provoquant une grave crise diplomatique entre Paris et Washington. Chirac a l’intention d’envoyer un émissaire de haut niveau à Téhéran pour demander aux autorités iraniennes de serrer la bride au Hezbollah, afin de désamorcer la tension au Liban, pays auquel le président français est particulièrement attaché. Chirac se propose de collecter des fonds pour la reconstruction du Liban. Il est manifestement très désireux d’éviter que la crise régionale ne ruine les efforts qu’il déploie pour remettre le pays du Cèdre sur pied après les attaques israéliennes de l’été 2006, qui ont détruit l’infrastructure du pays, tué quelque 1 300 Libanais et mis l’économie à genoux.

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