[Tribune] Présidentielle en RDC : pourquoi les rejets de candidatures par la Ceni sont juridiquement infondés
La Commission électorale congolaise a invalidé six candidatures à la présidentielle de décembre prochain. Mais les fondements juridiques à quatre des six rejets ne sont pas réunis, estime Botethi Beya Liandja, consultant indépendant qui participe à l’élaboration de rapports sur le processus électoral en RDC.
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Botethi Beya Liandja
Expert en stratégie et en management public. Diplômé en administration d’élections, il contribue depuis 2006 à l’élaboration de rapports sur le processus électoral en RDC.
Publié le 3 septembre 2018 Lecture : 3 minutes.
Le processus d’alternance démocratique à la tête de la RDC est rentré dans une phase irréversible avec la publication le 24 août dernier par la Ceni, la commission électorale congolaise, de la liste des 19 candidats retenus pour l’élection présidentielle du 23 décembre 2018. Ce scrutin devrait marquer la première transmission pacifique du pouvoir au sommet de l’État depuis l’indépendance du pays.
Pour valider ou invalider ces dossiers, la Ceni doit en principe examiner les pièces requises
Mais la Ceni fait face à des accusations de connivence avec le pouvoir, notamment depuis qu’elle a invalidé les dossiers de six candidats, et non des moindres : l’ancien vice-président de la République, Jean-Pierre Bemba, et trois anciens premiers ministres : Antoine Gizenga, Adolphe Muzito et Samy Badibanga.
Pour valider ou invalider ces dossiers, la Ceni doit en principe examiner les pièces requises. En cas de non-conformités ou de doute sur l’une d’elles, elle déclare la candidature irrecevable. Or, parmi les dossiers recalés, seuls ceux de Jean-Paul Moka et d’Antoine Gizenga contiennent des anomalies dans leurs éléments de composition : défaut de paiement pour le premier et de signature pour le second. Dans les quatre autres cas, ce sont des éléments externes aux dossiers et à la loi électorale qui sont venus influencer la décision de la Céni.
Deux candidats, Marie-Josée Ifoku et Samy Badibanga, qui avaient perdu leur nationalité congolaise suite à l’acquisition d’une nationalité étrangère, l’ont depuis retrouvée. Bien qu’il s’agisse d’une récupération de leur nationalité d’origine, la Ceni a estimé qu’ils détiennent plutôt une nationalité d’acquisition. Or, la loi congolaise stipule que, pour être candidat, il faut disposer de la nationalité congolaise d’origine. Cette manipulation rend d’office inéligible ces deux candidats. Derrière cette interprétation apparaît en filigrane le sort que le pouvoir réserverait à Moïse Katumbi, accusé de détenir une autre nationalité, s’il parvenait à déposer son dossier de candidature.
La Ceni a par ailleurs invalidé le dossier de Jean-Pierre Bemba à cause de sa condamnation pour subornation des témoins à la CPI, la Cour pénale internationale, bien que la loi électorale ne mentionne pas ce délit comme motif d’exclusion. De plus, son casier judiciaire ne devrait en principe pas contenir cette condamnation, car elle n’est pas définitive : une prochaine audience à la CPI est fixée au 17 septembre prochain. Il y a donc eu une erreur matérielle dans l’établissement de ce casier judiciaire pour laquelle la Ceni aurait dû demander l’arbitrage de la Cour constitutionnelle. Autre bizarrerie dans la procédure, la Ceni a intégré l’arrêt de la CPI correspondant alors que ce document ne fait pas partie des pièces requises dans le dossier.
Les six candidats recalés ont tous introduit un recours et la balle est dans le camp de la Cour constitutionnelle
Enfin, le cas d’Adolphe Muzito est un imbroglio juridique dont l’actuelle direction de la Céni est à l’origine. D’une part la loi électorale interdit à un parti d’avoir deux candidats dans une même circonscription électorale. D’autre part la jurisprudence de « dénonciation de candidature » permet au responsable légal d’un parti politique d’invalider la candidature d’un membre de son parti. Cette jurisprudence, née lors des élections des gouverneurs de province en août 2017, a été validé par la Cour constitutionnelle.
Le Parti lumumbiste unifié (Palu), l’ancien parti de Muzito, a donc dénoncé sa candidature. Pourtant, ce parti avait suspendu Muzito de sa formation et ce dernier se présentait sous les couleurs d’une autre formation. La Ceni a quand même décidé de valider cette délation. La situation est d’autant plus ubuesque que la candidature du chef du Palu, Antoine Gizenga, s’est elle-même retrouvée recalé pour défaut de qualité de la personne venue déposer son dossier. Gizenga ne s’est en effet pas lui-même déplacé et le déposant n’était pas titulaire d’un mandat en bonne et due forme. Les six candidats recalés ont tous introduit un recours et la balle est dans le camp de la Cour constitutionnelle. La publication de la liste définitive est fixée au 19 septembre 2018.
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