[Hommage] Randy Weston, « 92 ans de quête africaine »

Le pianiste new-yorkais Randy Weston est décédé le 1er septembre dernier à l’âge de 92 ans. Joe Farmer, journaliste à RFI, revient sur l’esthétique et l’attachement inéluctable à l’Afrique de ce géant du jazz.

Randy Weston, en 2011, sur la scène du New Mexico Jazz Festival. © Paul Slaughter

Randy Weston, en 2011, sur la scène du New Mexico Jazz Festival. © Paul Slaughter

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  • Joe Farmer

    Joe Farmer est journaliste. Depuis 2002, il présente et produit l’émission « L’Épopée des musiques noires » sur RFI.

Publié le 5 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Bien qu’il ait été profondément inspiré par la musicalité de ses aînés, Duke Ellington, Count Basie, Nat King Cole et Thelonious Monk, le jeu du pianiste Randy Weston ne traduisait pas seulement le swing américain. Il prenait sa source dans les cultures africaines que ce géant du XXe siècle voulait comprendre, apprivoiser, maîtriser. Humblement et patiemment, il fit l’apprentissage des rites et codes d’un continent dont, gamin, il ne percevait que l’écho lointain.

C’est au tournant des années 1960, lors d’un voyage à Lagos au Nigeria, qu’une force spirituelle irrésistible le convainc de chercher les racines de son identité d’homme noir. Ce premier choc existentiel le pousse à s’installer sur la terre de ses ancêtres. Il choisira le Maroc en 1967.

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Fasciné par les lancinantes transes mystiques des Gnawas de Tanger, il nourrira sa créativité de cette source sonore qui lui est alors totalement étrangère. Ainsi, pendant plus de 50 ans, Randy Weston façonnera un vocabulaire hybride pétri de blues et de rythmes hérités des traditions africaines.

Il n’était donc pas surprenant de le voir régulièrement sur scène dialoguer avec des artistes venus d’horizons africains très divers mais dont il partageait l’essence musicale et la matrice patrimoniale. L’un des points d’orgue de cette quête infinie fut le concert donné au théâtre antique de Vienne, en France, le 4 juillet 2016. Randy Weston fêtait alors son 90ème anniversaire ! Outre le plaisir de voir ce fringant nonagénaire se produire devant 7 000 spectateurs charmés par sa délicate virtuosité, l’apparition de quelques invités prestigieux transforma cette prestation de grande classe en une célébration débridée de l’âme africaine.

Il voulait remonter le cours de l’histoire et démontrer que l’humanité toute entière était africaine

Le pianiste malien Cheick Tidiane Seck, le maître de la kora sénégalais Ablaye Cissoko et le jeune maestro du Oud égyptien Mohamed Abozekry apportaient subitement la tonalité panafricaine que Randy Weston appelait de ses vœux depuis si longtemps. Totalement transporté par ses longues envolées lyriques, Randy Weston faillit oublier de présenter ses hôtes au public déjà conquis.

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Après quelques ajustements de rigueur, la fervente et mélodieuse conversation débuta sous les acclamations de la foule ébahie. Que se disait Randy Weston à cet instant précis ? S’agissait-il d’un aboutissement ? Touchait-il du doigt cette réalité africaine qu’il voulait éprouver ? Son sourire ravi et ses mains agiles semblaient attester d’un contentement certain.

Pour autant, Randy Weston ne se satisfaisait jamais d’un moment de grâce. Son ultime vœu était plus grand, plus universel. Il voulait remonter le cours de l’histoire et démontrer que l’humanité toute entière était africaine.

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Pour cela, il se lança, au crépuscule de sa vie, dans un projet pharaonique : narrer en musique l’épopée des nubiens… Cette antique civilisation d’éleveurs installés aux confins du Soudan et de l’Égypte ancienne. Il composa, à la demande de la fondation Guggenheim à New York, une suite pour grand orchestre en cinq mouvements intitulée logiquement « African Nubian Suite ». Il s’inspira du livre Ancient Future du journaliste et auteur américain, Wayne Chandler, pour réaffirmer l’origine africaine de chaque être sur cette planète.

Cheikh Anta Diop m’a ouvert les yeux. Il m’a dit qui j’étais réellement

Il suivit également les préceptes de son mentor, Cheikh Anta Diop, qu’il rencontra en 1985 à Dakar. Les enseignements de ce fameux anthropologue et historien sénégalais contribuèrent grandement aux travaux encyclopédiques et artistiques de Randy Weston.

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En marge de son concert à Vienne en juillet 2016, Randy Weston avait tenu, au micro de RFI, à saluer celui qui guida ses pas vers la vérité originelle : « Cheikh Anta Diop m’a ouvert les yeux. Il m’a dit qui j’étais réellement. Il voulait que je sois fier d’être un africain. Il savait combien il était difficile d’affirmer son identité dans une Amérique où être noir était une honte. Le rôle du musicien est, à ce titre, primordial. C’est le rôle du passeur. Ce que nous ont donné les anciens nous a rendus plus forts. À nous aujourd’hui de faire cet effort de transmission. À nous d’inculquer le respect, la spiritualité, la révérence à l’égard des ancêtres, l’amour… Par conséquent, comme nous sommes tous des habitants d’une même planète, quel que soit le nom que nous portons, nous devons nous comporter en être humain. Voilà un fait que personne ne peut contester ».

Là où il se trouve aujourd’hui, Randy Weston a sûrement acquis des certitudes, certainement trouvé les réponses à toutes les interrogations qui ont animées son existence ici-bas et sans lesquelles il n’aurait peut-être pas fait scintiller de si belle manière un jazz dont la sève africaine restera inaltérable…

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