Recherche Premier ministre désespérément…

Les efforts d’Olusegun Obasanjo, de Mamadou Tandja et de Thabo Mbeki n’y ont rien fait : le chef de gouvernement « acceptable par toutes les parties » reste introuvable.

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 8 minutes.

Prévue pour le 31 octobre, reportée au 15 novembre, puis au 22, la nomination d’un Premier ministre ivoirien « acceptable par toutes les parties » a de nouveau été différée. Le passage à Abidjan, le 22 novembre, du président en exercice de l’Union africaine (UA) Olusegun Obasanjo, de son alter ego de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) Mamadou Tandja, et du médiateur dans la crise ivoirienne Thabo Mbeki n’y a rien fait. Au terme d’une journée de consultation marathon avec le chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo, les partis d’opposition et les représentants de la rébellion des Forces nouvelles (FN), Obasanjo a dû se rendre à l’évidence et décider de reculer pour mieux sauter : « Nous allons nous donner un peu de temps pour changer de méthodologie et espérons être de retour d’ici à dix jours.
Un énième report qui entretient le feuilleton sur le choix de l’homme chargé de mener le pays à des élections transparentes d’ici au 31 octobre 2006. Au plus tard.
Tout a commencé le 6 octobre, quand le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, réuni à Addis-Abeba dans la foulée d’un sommet de la Cedeao, prend deux décisions : la prolongation d’un an du mandat de Gbagbo (qui arrivait à expiration le 30 octobre) à la tête du pays et la nomination d’un « nouveau Premier ministre aux pouvoirs étendus ». Alors que les protagonistes de la crise s’emploient à infléchir la résolution 1633 du 21 octobre du Conseil de sécurité de l’ONU, qui doit entériner les décisions de l’UA, Gbagbo dépêche auprès d’Obasanjo la directrice adjointe de son cabinet, Sarata Ottro Zirignon Touré, et le président du Conseil économique et social, Laurent Dona Fologo. Entre autres, ces derniers exposent à leur hôte le profil du futur chef du gouvernement de réconciliation nationale tel que le voit Gbagbo.
De son côté, l’opposition au régime, réunie au sein du G7, s’organise pour arracher le contrôle d’un poste qu’elle juge déterminant pour la mise en oeuvre des accords de paix et la conduite d’un processus électoral équitable. Un accord secret est conclu le 18 octobre : en échange du soutien par leurs alliés du G7 de la candidature unique de leur leader, Guillaume Soro, au poste de Premier ministre, les FN acceptent de céder la présidence de la Commission électorale indépendante (CEI) à une personnalité désignée par le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Ce gentlemen agreement ne sera pas tenu. Si le Rassemblement des républicains (RDR, d’Alassane Dramane Ouattara) joue le jeu jusqu’au bout, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, d’Henri Konan Bédié), qui évoque un accord verbal non contraignant entre Soro et son secrétaire général Alphonse Djédjé Mady, ne résiste pas à la tentation d’une candidature propre. Comme sous l’effet d’un jeu de dominos, les candidatures se multiplient au sein du G7.
Le 4 novembre, Obasanjo effectue une visite éclair à Abidjan, en repart avec une liste de seize personnalités, fruit des propositions des dix parties signataires des accords de Marcoussis. Y figurent le secrétaire général des FN, Guillaume Soro ; le leader du Parti ivoirien des travailleurs (PIT), Francis Wodié ; celui de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), Albert Mabri Toikeusse ; le président du groupe parlementaire du PDCI, Gaston Ouassénan Koné ; le ministre de la Défense René Amani ; le directeur général de la Décentralisation, Gervais Coulibaly ; l’ancien patron de la Société générale des banques de Côte d’Ivoire (SGBCI), Tiémoko Yadé Coulibaly ; le gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Charles Konan Banny… Mais également des personnalités de la société civile comme l’ancienne ministre et ex-doyen de la faculté de droit d’Abidjan Jacqueline Oble, ainsi que l’évêque de Yamoussoukro, Mgr Siméon Paul Ahouana, qui se retire de la course dès qu’il apprend sa présence parmi les postulants.
Sur la base de quatre critères (l’acceptabilité par tous, l’ordre de préférence des parties signataires, la compétence du candidat sur les questions militaires et de sécurité et son aptitude à conduire un processus électoral), Obasanjo et Mbeki procèdent à un premier tri. Après plusieurs va-et-vient entre Pretoria et Abuja, moult correctifs et ajustements, la liste passe de seize à quatre noms : Gaston Ouassénan Koné, Tiémoko Yadé Coulibaly, Jacqueline Oble et Gervais Coulibaly. À la dernière minute, Charles Konan Banny disparaît de leurs tablettes. Motif ? Ce Baoulé issu d’une grande famille militante du PDCI n’est pas acceptable par… Henri Konan Bédié. Et non par le chef de l’État, Laurent Gbagbo, qui, au téléphone, lui assure même être plutôt favorable à sa nomination.
Vue d’un bon oeil à Paris, à l’UA et dans les capitales des pays voisins de la Côte d’Ivoire, la candidature de Banny ne butte pas uniquement sur le tir de barrage de Bédié. La question de sa succession à la tête de la BCEAO constitue un autre écueil. La désignation d’un intérimaire pour un an est un moment envisagée, notamment par la France. Mais le choix de la nationalité de ce dernier pose problème, face, entre autres, au chef de l’État sénégalais Abdoulaye Wade, désireux, après avoir lâché la présidence de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), de voir la Banque dirigée par un de ses compatriotes.
Le 16 novembre, le ministre nigérian des Affaires étrangères Oluyemi Adeniji, coprésident du Groupe de travail international (GTI) sur la Côte d’Ivoire, débarque à Abidjan, muni de sa short list de quatre personnalités. Le même jour, il rencontre un Laurent Gbagbo suffisamment « travaillé » par ses pairs nigérian et sud-africain, presque disposé à accepter la nomination de Gaston Ouassénan Koné. Les rapports du chef de l’État avec ce général de gendarmerie de 70 ans, qui bénéficie de solides appuis en France (où il venait de séjourner quelques jours plus tôt) et à l’ONU, se sont, en effet, notoirement améliorés au cours de ces derniers mois.
Arrivé à Bouaké le 17 novembre, Oluyemi Adeniji se heurte à l’hostilité des FN réunies au grand complet à l’Hôtel du Centre, qui s’offusquent de la disparition du nom de leur leader de la short list, fustigent les critères de la présélection et posent comme préalable à toute discussion une définition claire des pouvoirs du futur Premier ministre. Un blocage auquel viendra s’ajouter un revirement dans la position de Gbagbo. Au cours du week-end des 19 et 20 novembre, une délégation du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir), conduite par son président Pascal Affi Nguessan, se rend au palais, exprime au maître des lieux ses vives réserves sur Ouassénan. Elle trouve une oreille attentive, d’autant que de nombreuses voix s’élèvent dans l’entourage présidentiel pour rappeler le rôle non éclairci du général dans la répression de la révolte des Bétés (l’ethnie du chef de l’État) à Gagnoa et à Daloa, dans les années 1970.
La machine se grippe à nouveau. Le Premier ministre sortant, Seydou Elimane Diarra, refait surface au début de la semaine du 21 novembre. Devant la difficulté à lui trouver un successeur, Obasanjo penche un instant pour un « Diarra bis » doté de tous les pouvoirs et soutenu par la communauté internationale. Pourquoi cet homme qui a plus d’une fois proposé sa démission se démène-t-il tant, aujourd’hui, pour rester ? « Si j’ai maintenu ma candidature, explique Diarra à Jeune Afrique/l’intelligent, c’est pour démontrer que la Côte d’Ivoire n’est pas un bantoustan sud-africain. » Comme pour relever ce qu’il prend pour un défi, Mbeki oppose son veto. Le chef de l’État sud-africain soupçonne l’ex-chef du gouvernement d’être responsable de la détérioration de ses rapports avec les FN et d’avoir distillé la rumeur autour de la prise d’intérêts des entreprises sud-africaines dans l’économie ivoirienne. Et n’arrive pas à lui pardonner ces agissements supposés ou réels.
Pour trouver un locataire à la primature, Obasanjo et Mbeki décident de se rendre à Abidjan, le 22 novembre. Ils demandent à Mamadou Tandja, président en exercice de la Cedeao, de se joindre à eux. Pour faire le déplacement d’Abidjan, celui-ci pose une condition : ses deux homologues doivent faire comprendre à Laurent Gbagbo qu’il demeure au pouvoir non pas en vertu de la Constitution ivoirienne, mais aux termes de la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Auprès de leur hôte, les trois chefs d’État insistent sur la nécessité de nommer un Premier ministre issu de l’opposition. Ils lui soumettent une liste réduite de quatre à deux noms, et lui demandent de choisir entre Gaston Ouassénan Koné et Tiémoko Yadé Coulibaly. Le plaidoyer d’Alassane Dramane Ouattara, reçu le 21 novembre à Pretoria par Mbeki et dans la matinée du 22 à Abuja par Obasanjo, semble avoir porté ses fruits. Semble seulement, car le chef de l’État ivoirien récuse les deux personnalités proposées. Il les trouve « politiquement marquées » et exprime sa crainte qu’un Premier ministre issu d’un parti ne cherche à lui livrer bataille plutôt que d’appliquer une feuille de route susceptible de mener jusqu’aux élections. Pour finir, il marque sa préférence pour un homme ou une femme issu de la société civile. Un refus poli, mais un refus quand même.
Obasanjo reprend son avion dans la soirée et retourne chez lui, à Abuja. Mbeki et Tandja passent la nuit à Abidjan. Mais le second peine à dissimuler sa déception. Il ne se rend pas au dîner offert par leur hôte et choisit de rester dans sa suite de l’hôtel Ivoire. Il n’a pas dû apprécier l’échange vif qui l’a opposé à Gbagbo, au cours du huis clos, quelques heures plus tôt. Il n’a surtout pas digéré cette réplique du numéro un ivoirien : « Si on continue à m’embêter, la Côte d’Ivoire pourrait se retirer de la Cedeao. »
Au terme de cette longue journée du 22 novembre, le G7 se réunit dans la résidence de Bédié, à Cocody, se réjouit de la position des trois chefs d’État favorable à un Premier ministre issu de l’opposition, décide de proposer Tiémoko Yadé Coulibaly au cas où la coalition serait sollicitée pour fournir un premier ministrable.
Alors que Ouassénan Koné semblait tenir la corde, ce revirement tient à deux raisons. Les FN, qui reprochent au PDCI d’avoir saboté, au sein du G7, la candidature unique de Soro, roulent pour le poulain du RDR. Il y a aussi le fait que le général, réputé incontrôlable par nature, ne rassure pas tout le monde dans l’opposition. Sa visite nocturne, mi-novembre, à la résidence du chef de l’État soulève soupçons et interrogations. Intrigué par le rapprochement subit entre Gbagbo et Koné, Bédié craint que celui-ci n’échappe à son emprise s’il enfile l’habit d’un Premier ministre fort. L’oiseau rare que tout le monde continue de chercher désespérément.

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