Quand les prisons se vident

En six mois, près de 20 000 détenus ont bénéficié de mesures de grâce royale. Objectif : réduire la surpopulation carcérale…

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Au royaume chérifien, dix mille personnes viennent de recouvrer la liberté. Lors des cérémonies de commémoration du cinquantenaire de l’indépendance, Mohammed VI a en effet annoncé des mesures de grâce royale à l’égard de 10 000 détenus. La moitié d’entre eux ont bénéficié d’une relaxe ; l’autre moitié, de remises de peines. Quelques jours auparavant, à l’occasion de l’Aïd el-Fitr, ce sont plus de 1 100 détenus, dont 164 présumés islamistes condamnés dans le cadre des attentats terroristes de Casablanca (voir encadré), qui ont bénéficié de la grâce royale. En avril, déjà, le monarque avait décrété une grâce partielle ou totale pour 7 179 détenus. En quelques mois, ce sont ainsi près de 20 000 personnes qui ont été libérées.
Selon des sources gouvernementales, « ce train de grâce devrait permettre de réduire la surpopulation carcérale ». De fait, estimé à 60 000 personnes, le nombre de détenus atteint près du double des capacités réelles de l’administration pénitentiaire. Un surpeuplement en grande partie responsable des conditions d’incarcération que subissent les détenus, dénoncées depuis 2001 par l’Observatoire marocain des prisons (OMP), une ONG indépendante. Dans son dernier rapport, publié en novembre 2004, l’OMP évaluait ainsi à 1,52 m2 l’espace imparti aux prisonniers – un chiffre confirmé par le ministre de la Justice Mohamed Bouzoubâa – et à 5 dirhams par jour le coût d’un détenu (nourriture, hébergement, soins médicaux). Difficile dans de telles conditions « de mettre à profit la période de détention pour obtenir, dans toute la mesure possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux mais capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins » comme le stipule la 57e règle minima des Nations unies pour le traitement des détenus (principale source de toute réglementation sur l’établissement pénitentiaire). D’autant plus difficile quand « le quotidien carcéral devient un espace de non-droit par excellence », ce que souligne l’étude « Plaintes et requêtes des prisonniers » du sociologue Jamal Khalil, réalisée pour le compte de l’OMP et publiée ce 22 novembre.
Reste que pour beaucoup la question du surpeuplement carcéral ne peut être réglée par les seules mesures de grâce royale, « sinon, cela revient à réduire la question à des problématiques de quantité », prévient Youssef Madad, secrétaire général adjoint de l’OMP. Or les vrais problèmes se situent en amont, dans le choix de la politique pénale et dans son application.
« Nos parquets laissent une marge de manoeuvre trop importante à la police, ils ne contrôlent pas suffisamment son travail », explique Me Jamaï, vieil habitué des prétoires et secrétaire général de l’OMP. Que dire des magistrats du parquet qui évitent de respecter certaines règles de procédure : remise en liberté pour les peines légères, demande de caution pour les libertés provisoires, proposition d’arbitrage ou toute autre mesure visant à limiter les incarcérations. Sans parler du manque de moyens humains et financiers de l’institution judiciaire. « Actuellement, des centaines de personnes sont jugées à chaque audience. Après quatre à six heures de débats, les magistrats se retirent pour délibérer et statuent le jour même », témoigne l’avocat. S’ajoute à cela un recours trop fréquent à la détention provisoire.
Pour preuve, la récente circulaire de Mohamed Bouzoubâa en date du 11 novembre et transmise aux différents parquets du royaume. Le ministre de la Justice les y incite à une rationalisation de la détention provisoire et à la recherche d’alternatives, dont le contrôle judiciaire, les procédures de réconciliation et les garanties personnelles et financières. Cette circulaire appelle également les parquets à éviter de conférer un caractère pénal aux affaires d’ordre civil et à mieux orienter les plaignants vers les procédures adéquates.
« Dans le code de procédure pénale, le ministre de la Justice est responsable de la politique pénale. Or nous avons des remèdes, des révisions de texte ont été opérées, mais il n’y a pas de vision claire », explique Me Jamaï. Qui poursuit : « Actuellement, une cellule au ministère, composée de magistrats pénalistes, réfléchit à une révision de notre droit pénal. Mais un tel projet ne peut se faire dans l’opacité, de manière isolée, sans la participation effective des juges et des avocats et sans qu’il y ait un débat élargi à toutes les parties intéressées. » Ce que semble confirmer ce magistrat qui participe aux travaux de la cellule : « Actuellement, il est impossible d’avoir un débat sur le principe de la peine de mort. Je peux comprendre que l’on soit contre son abolition, je ne peux accepter que l’on soit contre le débat. »
En attendant les réformes judiciaires tant annoncées, les mesures de grâce restent des initiatives isolées. Me Jamaï avertit : « Les grâces sont des solutions boiteuses. Rappelez-vous, après l’intronisation de Mohammed VI, des milliers de détenus avaient été graciés. Moins d’une semaine plus tard, 30 % à 40 % d’entre eux étaient déjà revenus derrière les barreaux. »

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