[Tribune] Le Sahel à la reconquête de sa place dans le monde
L’exploit de l’Empereur du Mali, Mansa Bakari II, n’était pas seulement d’avoir traversé l’Atlantique près de 200 ans avant Christophe Colomb…
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Ibrahim Thiaw
Secrétaire général adjoint des Nations unies et Secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD)
Publié le 5 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.
Quoique spectaculaire fut son voyage, le plus extraordinaire chez Mansa Bakari II n’est pas qu’il s’impose comme l’un des plus grands navigateurs marins alors qu’il venait des bords du fleuve Niger, en plein hinterland sahélien. Le plus remarquable est qu’il abdiqua de son trône en 1311 alors qu’il était probablement l’homme le plus riche du monde, pour affronter les péripéties de l’océan à partir de la côte sénégambienne de son empire. Le goût de la découverte prenait le dessus sur les conforts du Palais. Il débarquait en 1312, vraisemblablement à Recife, au Brésil.
Était-ce peut-être le goût de la conquête ? Bakari voulait-il marquer l’histoire de l’Empire du Mali autant que celui du Ghana ? En effet, deux siècles avant l’expédition du Mansa vers l’Ouest, l’empire du Ghana se joignait à une grande expédition vers le Nord, celle des Almoravides qui, entre autres, aboutit à l’occupation d’une partie de l’Espagne quatre siècles durant. Bakari, comme son frère, Kankan Moussa qui reprit le trône, avait été élevé dans cette grande effervescence socio-politique. Mansa Moussa lui, pris la route orientale, en direction de l’Égypte et de la Mecque pour effectuer un pèlerinage, à ce jour resté célèbre par son faste.
Combien d’exploits comme ceux des Almoravides ou des empires du Ghana, du Mali et du Songhoy se sont enfouis dans les ténèbres de l’histoire moderne ? Combien de faits héroïques ont été ré-écrits, parfois dévalorisés, voire occultés par des « spécialistes »?
Souvent, les spécialistes du Sahel mettent plus l’accent sur le négatif, occultant les énormes potentialités de la région. Il ne s’agit point de masquer les difficultés. Ni d’éclipser les défis institutionnels, économiques, écologiques et sécuritaires. Certes, des efforts importants restent à faire pour améliorer la gouvernance. De là à dépeindre toute une région avec des couleurs sombres… Il est plus juste, plus honnête et plus respectueux, nous semble-t-il, d’adopter un discours plus équilibré, reconnaissant certes les défis, mais tablant également sur les potentialités. Alors, pourquoi ne pas tenter de transformer les défis en opportunités ?
La chute des prix des énergies solaire et éolienne est une chance inouïe pour le Sahel
Se fondant sur les grandes potentialités à même de créer les conditions de paix et de prospérité dans la région, le Plan de soutien de l’ONU au Sahel, a pris le pari de voir le verre à moitié plein. Parlons d’énergie : si le taux d’électrification n’est en moyenne que de 31% – presqu’exclusivement grâce aux centres urbains – les énergies renouvelables ouvrent une opportunité unique. Le Sahel ne manque en effet point de soleil ni de vent. La chute des prix des énergies solaire et éolienne est une chance inouïe pour le Sahel. Il faut la saisir. Pas seulement pour l’éclairage, mais bien pour un développement inclusif. À l’exemple de Ross Bethio (Sénégal), ou de Birni Konni (Niger), où les braves femmes agricultrices devraient avoir des moyens de pompage solaire pour l’irrigation de leurs parcelles, ou des foyers propres pour la cuisine. Et le soleil ardent de Bol, au Tchad devrait être la source, non plus de la destruction du lait, des légumes et des fruits, mais bien du froid pour leur conservation. Quand il vente des jours entiers à Boulanouar (Mauritanie), cela provoque les mêmes nuisances dues aux poussières de sable. En revanche, l’énergie éolienne captée fournirait les moyens d’accroître la chaîne des valeurs du poisson ou de la viande, générant ainsi de multiples emplois pour les jeunes à la recherche d’une amélioration de leurs conditions de vie.
Plus de deux tiers de la population sahélienne a moins de vingt-cinq ans. Donner des perspectives viables et fiables aux jeunes, par une valorisation des ressources naturelles qui se trouvent en abondance dans la région, constitue le meilleur gage pour la paix, la stabilité et la lutte contre les migrations irrégulières, périlleuses et dangereuses à la fois pour les pays de source, les pays de transit et les pays de destination. Le Sahel est aux portes de l’Europe et à un saut des États-Unis. Cette proximité géographique, historique et culturelle font de ces dix pays, avec leurs 300 millions d’habitants (le double d’ici 2050 et le quadruple à la fin du siècle), des partenaires clés.
Les pays et entreprises partenaires doivent cesser de voir le Sahel comme une terre d’extraction
Le Sahel est un marché à conquérir et à saisir. Le voir exclusivement sous l’angle et le prisme sécuritaires serait une forme de myopie économique… et politique. L’Afrique – ;le Sahel en premier – doit s’industrialiser. Transformer sur place ses matières premières et créer de la valeur ajoutée, des emplois, des petites et moyennes entreprises. Les pays et entreprises partenaires doivent cesser de voir le Sahel comme une terre d’extraction. Le moment est venu – et la fenêtre d’opportunités se renferme inexorablement – de procéder à une révision des schémas économiques et de promouvoir des investissements et des partenariats publics-privés win-win, basés sur le long terme et non plus seulement sur le profit à court terme.
Si au Moyen-Age, le Sahel, acteur militaire et économique de premier plan, changea le cours de l’histoire européenne – en envoyant des contingents conquérir le Sud de l’Espagne et en fournissant l’or requis pour financer la croissance économique du monde, pourquoi donc, continue-t-on à enseigner aux jeunes sahéliens que Christophe Colomb découvrait l’Amérique ? Manifestement, rendre aux jeunes sahéliens leur vraie histoire, c’est leur restituer leur dignité et leur fierté. Enseigner aux jeunes leur vraie histoire, c’est leur donner de solides repères pour leur éviter de se laisser entraîner dans des histoires néfastes. C’est ainsi un des meilleurs remparts contre des idéologies fanatiques et autres mouvements d’extrémisme violent. Ne dit-on pas que « quiconque ne sait d’où il vient ne peut savoir où il va »?
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