Pleurez, musulmanes !

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

La condition des femmes musulmanes ne laisse plus l’Occident indifférent. Non pas l’Occident orientaliste d’antan, fasciné par le mystère des Orientales et s’introduisant dans leur harem sur la pointe des pieds, mais l’Occident de l’après-11 Septembre, convaincu qu’Allah est un misogyne et que ses fatmas sont des martyres. Les éditeurs s’engagent. Les maisons françaises, en particulier, ouvrent le bal des pleurs et des confessions à la mode.
Des titres clés ? Brûlée vive de Souad, Mutilée de Khady, Mariée de force de Leïla (tous trois parus aux éditions Oh !), La Femme lapidée de Freidoune Sahebjam (éd. Grasset), Défigurée de Rania al Baz (Michel Lafon), Ma vie d’esclave de Mende Nazer (L’Archipel)… Ce n’est pas le musée des horreurs, c’est le sort des musulmanes tel que le donnent à lire les publications actuelles. Et savez-vous qui sauve toujours et immanquablement ces dames ? L’Occident. Sitôt les pieds en Europe ou en Amérique, où elles vont porter les sévices de leur passé, comme les saints leur aura, elles deviennent libres, courageuses, épanouies, et se transforment en porte-parole de leurs coreligionnaires – comme si un tel combat n’existait pas dans le monde musulman -, le plus souvent flanquées de nègres blancs qui leur tiennent la plume et le mouchoir dans la même main.

La leçon : pleurez, pleurez, musulmanes, et l’Occident vous écoutera. Témoignez que vous êtes opprimées par vos barbus de maris, et vous aurez les faveurs du lectorat. Pariez sur le scandale et vous gagnerez la notoriété. Par contre, ne vous avisez pas de défendre l’islam, car vous passerez pour des intégristes même si vous êtes des athées, marchandez intelligemment le déni des vôtres, sinon vous croupirez dans l’indifférence et le mépris. C’est que le public, nous dit-on, veut être ému et non édifié, il préfère les documents chocs même s’ils ne durent que le temps d’une larme et se complaît dans le malheur des musulmanes, comme si les femmes des autres traditions avaient vécu de tout temps dans un paradis d’émancipation.
Certes, personne ne prétendra qu’il fait toujours bon vivre en terre d’islam. Ni que le droit des femmes y est une priorité. Comme il n’échappera à personne, non plus, que ce musée des horreurs est un fonds de commerce juteux et une manne pour les éditeurs. Ce qui frappe dans ces publications, c’est qu’elles ont toutes un dénominateur commun : l’islam. Et un but : prouver qu’il est l’ennemi des femmes. Est-ce le meilleur moyen de démentir le choc des cultures que de désigner les musulmanes comme des vedettes du martyr et leurs frères et maris comme des machos, exciseurs et esclavagistes patentés ?
Nous sommes en droit de demander : à quand une fille de Mahomet qui s’amuse, fait l’amour, se fâche et se réconcilie avec les siens sans que l’on envoie toute une religion et ses fidèles au diable ? À quand une édition qui s’appellerait « Au bonheur des musulmanes » ? On rétorquera : comme les journalistes, les éditeurs ne s’intéressent qu’aux destins qui ratent… Et pourquoi sont-ils oublieux des exigences littéraires dès qu’il s’agit de mettre sur papier des témoignages qui enfoncent l’islam ?

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Dans le contexte actuel, la priorité est, certes, pour les pays musulmans de se pencher réellement sur cette grande discorde que constitue la condition des femmes et de reconnaître que nul projet de modernité ne peut se conjuguer sans leur émancipation. Mais il importe aussi que l’Occident, pourtant réputé rationnel, ne verse plus dans l’hystérie dès qu’il s’agit de l’islam et qu’il retrouve l’esprit de nuance face à cette religion : les musulmanes ne sont pas les damnées de la terre. Elles ne sont pas les seules victimes de discrimination et de violence – ce qui n’excuse en rien leurs bourreaux. Il ne faut point se fier aux apparences, car si ces femmes n’offrent pas toujours les signes extérieurs de la libération, telle qu’elle est conçue par l’Occident, elles sont libres, possèdent un talent de vie et une aptitude au bonheur extraordinaires.
À preuve, lisez L’Amande de Nedjma (Plon, 2003). Un récit jubilatoire, sur la crête du scandale, sans jamais y tomber, féroce vis-à-vis des Arabes sans cesser de les aimer. Sauf que, aux dernières nouvelles, L’Amande est un best-seller partout dans le monde, excepté en France, qui lui préfère Kif Kif demain et les chicayas de Ni putes ni soumises.
Bien sûr, ce roman est interdit dans les pays arabes, où il circule sous le manteau. Mais ça, on ne manquera pas de nous le faire savoir…

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