Parfum de crise

Vanille, ylang-ylang, girofle… Malgré l’instabilité des prix, ces trois plantes fournissent l’essentiel des recettes.

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Quand on pénètre chez CVP-Biocom (Comores Vanille et Plantes-Biocom) à Mbeni, une petite bourgade située sur la côte nord-est de Ngazidja, chaque bâtiment dégage un parfum enivrant. Ici, c’est l’odeur sirupeuse de la vanille qui exhale de grandes caisses en bois. Plus loin, c’est l’ineffable fragrance de l’ylang-ylang, la fleur des fleurs à la robe couleur or ambré, qui s’échappe des alambics. Un peu plus loin encore, c’est l’arôme poivré des clous de girofle qui vous picote les narines.
Peut-on imaginer que derrière ces grisantes senteurs « exotiques », qui ont valu à l’archipel son surnom d’Îles aux parfums, se cache l’essentiel de la richesse économique de l’Union ? Pourtant, c’est bien sur ces trois cultures de rente (dédiées à l’exportation) que reposent 95 % des recettes d’exportation du pays. Soit quelque 5,5 milliards de FC en 2004. C’est dire toute l’attention que le gouvernement porte à ces filières, qui sont une source importante de devises et assurent une grande part des revenus des paysans. Du coup, un projet d’appui leur est consacré.
Parmi les exportateurs et producteurs du pays, CVP-Biocom occupe une bonne place. Pour Hassani Assoumani, qui dirige l’entreprise avec ses deux frères, l’activité n’est pas de tout repos. Car il faut compter avec les limites d’une production essentiellement paysanne et de la transformation principalement artisanale. Sans oublier les contraintes de transport qui compliquent l’accès aux récoltes. Car chaque île s’est spécialisée dans une culture spécifique. Anjouan est la reine de l’ylang-ylang, tandis que Grande-Comore produit surtout de la vanille et Mohéli des clous de girofle. Le tout dans un environnement international marqué par des cours mondiaux extrêmement mouvants et une concurrence de plus en plus vive.
En moyenne, CVP-Biocom exporte quelque 600 tonnes de clous de girofle par an, « principalement vers Hong Kong, Singapour et le Maroc », précise Assoumani. Soit un cinquième de la production comorienne. Favorisée par un marché en expansion – ce qui a encouragé les producteurs à entretenir les plantations -, la production comorienne de clous de girofle est en constante augmentation depuis quelques années. De 2 000 tonnes en 2000, elle s’est établie à 3 200 tonnes l’an dernier. Malgré une baisse des cours en 2003, la valeur des exportations a augmenté de 75 % en un an (2,8 milliards de FC en 2004, contre 1,6 milliard en 2003), grâce à la vigueur de la demande extérieure et à une meilleure gestion des stocks qui a permis l’exportation de 90 % de la production. Pour maintenir ces bons résultats, la restructuration de la filière se poursuit. Si la demande internationale se maintient à un bon niveau – 95 % de la production mondiale de clous de girofle est utilisée pour la fabrication des « kreteks », des cigarettes indonésiennes -, les Comores pourraient conserver leur cinquième rang mondial, derrière l’Indonésie, Madagascar, la Tanzanie et le Sri Lanka. Gare toutefois aux nouveaux concurrents latino-américains qui commencent à s’imposer dans cette filière.
Sur le créneau de l’ylang-ylang, CVP-Biocom est en bonne position. Avec sa dizaine d’alambics à gaz – une technologie qui assure une meilleure qualité du produit -, c’est l’une des rares distilleries modernes du pays. Et avec 25 tonnes d’essences exportées chaque année, destinées en priorité à l’industrie de la parfumerie, l’entreprise est le premier exportateur comorien d’huiles essentielles d’ylang-ylang. Outre ses quatre hectares de plantations, CVP s’approvisionne en fleurs et essences auprès des producteurs anjouanais. « C’est un marché difficile, car la demande mondiale a baissé, du fait de la concurrence des essences synthétiques. Les prix sont donc peu attractifs », souligne Assoumani. Si l’on ajoute à ce tableau morose la vétusté des installations de distillation, qui sont surtout familiales, et le manque de promotion et de marketing sur les marchés extérieurs, on comprend pourquoi la production comorienne a baissé depuis 2000. Après un niveau record de 40 tonnes en 2001, celle-ci a chuté à seulement 12 tonnes en 2003. Mais, l’installation d’une nouvelle distillerie et le renouvellement des plants au nord de Grande-Comore ont permis de porter la production à 35 tonnes en 2004. Si l’Union des Comores demeure le premier producteur mondial d’ylang-ylang, le volume récolté n’a toutefois pas encore retrouvé son niveau de 2000. En outre, en raison d’une diminution des cours mondiaux, les recettes d’exportation tirées de ce produit ont légèrement baissé, pour s’établir à 848 millions de FC en 2004, contre 901 millions en 2003. Plus que jamais, la poursuite de la restructuration de la filière s’impose, afin d’augmenter la productivité, via notamment le renouvellement des plantations et la modernisation des infrastructures.
De toutes les cultures de rente, c’est toutefois la vanille qui connaît aujourd’hui le plus de difficultés. Pourtant, les Comores, longtemps deuxième producteur mondial, derrière Madagascar, ont fait un effort pour moderniser la filière, avec l’appui notamment de l’Union européenne. « Nous avons introduit de nouvelles lianes et encouragé les paysans à se spécialiser, les uns dans la production de liane et les autres dans celle de vanille », précise le secrétaire général de l’Agriculture. « Aujourd’hui, cette filière est l’une des mieux structurées, et sa production répond aux normes internationales. »
Mais tous ces efforts ont été compromis par la chute de la demande mondiale de vanille naturelle, au profit de la vanille de synthèse. Alors que, dans le même temps, l’offre mondiale connaissait une hausse. Il est vrai que, dopés par des cours élevés, l’Ouganda, la Chine, l’Indonésie et Madagascar ont fortement augmenté les surfaces cultivées. Du fait de la surproduction, les prix se sont effondrés, passant de 400 euros le kilo de vanille préparée, contre 100 euros en 2004. Du coup, la production comorienne, qui s’élevait à 140 tonnes en 2002, est tombée à 60 tonnes en 2004, et les stocks invendus s’accumulent.
Pour les Comores, la baisse des cours cumulée à celle de la production s’est traduite par une chute catastrophique des recettes d’exportation dont la valeur est passée de 9,1 milliards à 1,8 milliard de FC entre 2003 et 2004. De premier poste des exportations, la vanille a été reléguée au second rang. Pour les paysans, la situation est dramatique, les prix ayant été revus à la baisse. De respectivement 10 000 FC et 90 000 FC le kilo, ils sont tombés à 3 900 FC pour la vanille verte et à 22 775 FC pour la vanille préparée. Et, en 2005, la situation ne s’est pas améliorée.

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