Où sont les filles ?

Les autorités s’inquiètent : les bébés de sexe masculin sont proportionnellement trop nombreux.

Publié le 29 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

La démographie de la Chine ne fait plus peur. On craint surtout aujourd’hui sa puissance économique – fondée en grande partie, il est vrai, sur sa population. Si le pays compte 1,3 milliard d’habitants en 2005, contre moins de 600 millions il y a cinquante ans, il devrait plafonner à 1,45 milliard en 2030. Passé cette date, sa population commencera à diminuer. À un tel point qu’en 2050, l’Inde, avec 1,5 milliard d’habitants, en totalisera près de 150 millions de plus que la Chine.
Dès lors, le principal problème auquel les autorités seront bientôt confrontées est celui du vieillissement. C’est le sujet qu’aborde le numéro d’octobre de Population & Sociétés, le bulletin mensuel de l’Institut national [français] d’études démographiques (Ined). En vingt ans, le pourcentage des personnes âgées de 65 ans et plus est passé de 5 % à 7 %. Il devrait atteindre 16 % en 2030. Si l’espérance de vie à la naissance a fait un énorme bond depuis la révolution de 1949, passant de 40 ans à 71 ans en 2000 (69 ans pour les hommes, 72 ans pour les femmes), l’essentiel des progrès a été enregistré pendant les premières décennies de l’ère communiste. Depuis la privatisation progressive du secteur de la santé, dans les années 1980, la situation sanitaire du pays stagne, si elle ne recule pas.
C’est du côté de la natalité que l’évolution a été le plus spectaculaire. De 5,7 enfants par femme en moyenne en 1970, le taux de fécondité était tombé à moins de 3 en 1980. Lancée en 1979 sous Deng Xiaoping, la politique de l’enfant unique a précipité un mouvement que les bouleversements économiques et sociaux du pays suscitaient « naturellement ». Avec environ 1,7 enfant par femme, la fécondité est aujourd’hui en dessous du seuil de remplacement des générations (2,1 enfants).
Si le vieillissement et ses conséquences socio-économiques sont des données communes à la plupart des régions du monde – l’Afrique subsaharienne exceptée, où les taux de fécondité dépassent presque partout 5 enfants par femme -, la Chine connaît un autre problème démographique, spécifique aux pays d’Asie orientale : le déséquilibre entre les sexes. On sait que, dans tous les groupes humains, il naît entre 103 et 106 garçons pour 100 filles. Le taux de mortalité des hommes étant plus élevé que celui des femmes, celles-ci, au bout du compte, finissent par être plus nombreuses. Or, en Chine, le rapport de masculinité à la naissance était de 117 en 2000. Et la proportion de garçons de moins de 10 ans était d’environ 10 % supérieure au niveau normal.
Dans cette société fortement patrilinéaire, où la propriété se transmet de père en fils, il est essentiel d’avoir des descendants mâles. Quand la natalité était élevée, cela ne posait guère de problèmes. Tout a changé avec la chute de la fécondité. Avec 6 enfants en moyenne au début des années 1960, les femmes avaient 98 % de probabilité d’avoir au moins un fils. Avec moins de deux enfants aujourd’hui, cette probabilité est tombée à 75 %.
Cela explique que les parents s’en remettent de moins en moins à la nature et cherchent à déterminer le sexe de leur enfant. Il y a peu encore, les infanticides de petites filles n’étaient pas rares, comme dans toute l’Asie orientale. Cette pratique a beaucoup diminué avec le développement de l’échographie, qui permet de connaître – même si la méthode n’est pas infaillible – le sexe du bébé à naître. Aux meurtres des fillettes ont donc succédé les avortements sélectifs d’embryons féminins. Ce déséquilibre des naissances, que vient aggraver une surmortalité des petites filles due à une moindre attention à leur santé et à leur alimentation, ne va pas sans poser de graves problèmes. Dans son rapport sur « L’État de la population mondiale en 2005 », le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) s’alarme ainsi de la pénurie de femmes dans certains pays asiatiques. Il relève notamment un accroissement du trafic des jeunes filles, que celles-ci soient vendues comme épouses ou recrutées dans l’industrie du sexe.
Isabelle Attané, l’auteur de l’article publié par Population & Sociétés, rappelle que les autorités chinoises ont lancé en 2001 une campagne baptisée « Davantage de considérations pour les filles ». Leur objectif est de ramener le rapport de masculinité à la naissance à un niveau normal d’ici à 2010. Ce qui semble bien optimiste, si l’on considère que, dans la Corée du Sud voisine, le même rapport est encore de 110 garçons pour 100 filles. Le gouvernement de ce pays, qui présente de fortes similitudes sociologiques avec la Chine, n’a pourtant pas ménagé ses efforts depuis une vingtaine d’années pour promouvoir le statut des femmes.

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