Officier et gentleman

Les 3 et 4 décembre, le chef de l’État malien accueille le Sommet Afrique-France consacré à la jeunesse. Entretien avec un démocrate formé à la rude école des casernes.

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 18 minutes.

Le palais de Koulouba sera bientôt centenaire. Construit en 1905-1906, à la même période que celui de Dakar, il fut le témoignage de l’ambition coloniale. Et il est devenu le siège de la présidence du Mali indépendant. Perché sur la colline, depuis la terrasse et les galeries, on peut voir en contrebas toute la ville de Bamako, collée au fleuve Niger, industrieuse et poussiéreuse, vivante et pauvre, ambitieuse et démunie à la fois. L’Hôtel de l’amitié a retrouvé son lustre d’antan. Les deux ponts enjambent l’eau, et la ville se développe toujours plus, alimentée par l’argent des quatre millions de Maliens qui vivent à l’étranger.
Koulouba est un palais tranquille. Les soldats et la sécurité se font discrets. Tout paraît en ordre. Pas de visiteurs inopportuns, pas d’armée de fonctionnaires ni conseillers aux airs satisfaits. L’endroit est confortable, affiche un petit quelque chose de majestueux, mais reste simple et sans ostentation. Un peu à l’image du Mali. Le président arrive, à l’heure pile. Une ponctualité de soldat, dit-il, en souriant, héritée de ses années de service. Le boubou, comme d’habitude, est impeccable.
À quelques jours de l’ouverture du XXIIIe Sommet Afrique-France (3 et 4 décembre), qui se tient à Bamako, Amadou Toumani Touré (ATT) a l’air en pleine forme. L’homme, de toute évidence, a pris de l’assurance. Il est plus à l’aise, plus naturel dans la fonction. Et son autorité paraît s’imposer à toute la classe politique. « Contrairement à ce que les gens pensent, la gestion du consensus exige beaucoup de débats et d’énergie démocratiques », commente ATT. Le président, m’avait-on dit, n’aime pas trop les interviews. Il parle peu, il préfère la discrétion et l’efficacité… Pourtant, au rez-de-chaussée du palais, au salon Mali, ATT répond aux questions de J.A.I. Un exercice dans lequel finalement, il n’est pas si mal à l’aise que cela…

Jeune Afrique/l’Intelligent : Le Mali va recevoir dans quelques jours le XXIIIe Sommet Afrique-France. Pourtant, le pays vit une période économique très difficile : sécheresse, criquets, extrême urgence alimentaire dans certaines régions, prix du pétrole Pensez-vous que l’opinion publique comprend les efforts déployés par l’État pour accueillir une telle rencontre ?
Amadou Toumani Touré : Nous avons une très haute idée du respect de la parole donnée. Malgré toutes les contraintes que vous soulevez, nous nous préparons à accueillir dignement les hôtes du Mali. Ce que l’opinion publique n’aurait pas compris serait, au contraire, de revenir sur l’engagement de notre pays. Un adage malien dit ceci : « La vache offre du lait bien que son organisme recèle plus de sang. » Juste pour réaffirmer que nous ne nous dérobons pas, malgré les difficultés. J’ajouterai que les réalisations dans le cadre de la tenue de ce Sommet Afrique-France feront partie, ensuite, du patrimoine de notre pays. Comme ce fut le cas après la Coupe d’Afrique des nations de football en 2002.
Par ailleurs, nous ne sommes pas restés immobiles face aux difficultés. L’État a déployé d’importants moyens pour faire face aux difficultés que vous évoquez. Je ne citerai que la gestion de la crise alimentaire, avec la mobilisation par le gouvernement et ses partenaires au développement de plus de 18 milliards de F CFA pour l’achat et la distribution gratuite de céréales dans les zones les plus touchées. De la même manière, des facilités d’importation ont été concédées aux commerçants céréaliers pour l’approvisionnement du pays.

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J.A.I. : On ressent quand même une extrême tension sociale, tragiquement illustrée par les quasi-émeutes qui ont suivi le match Mali-Togo, en mars dernier, ou par l’agitation récurrente à l’université ou à l’école
A.T.T. : J’ai déjà donné ma lecture des événements du 27 mars dernier. Ils illustrent d’abord la dimension sociétale extraordinaire que le sport, le football en particulier, revêt dans nos pays. D’autres ont géré des situations de tension extrême après leur élimination, décrétant même parfois le couvre-feu. Chez nous, les troubles du 27 mars ont d’abord été le reflet d’une grande déception et d’une immense frustration au vu de la valeur supposée de notre équipe nationale de football. L’absence d’un dispositif de maintien de l’ordre organisé et efficace a fait le reste.
Des services de maintien de l’ordre ont d’ailleurs plus joué sur la perspective d’une victoire que sur celle d’une défaite. J’explique ces événements, mais je n’ignore pas leur dimension sociale. C’est à l’État, au gouvernement, à la classe politique de s’investir en premier lieu pour trouver des solutions aux problèmes que rencontre la jeunesse. Et c’est ce que nous faisons sur le front de l’emploi, de l’éducation, de la promotion des loisirs. Ce sont les moyens qui limitent nos ambitions.

J.A.I. : Comment expliquez-vous l’extrême précarité de la situation économique du pays ?
A.T.T. : En particulier par une conjoncture particulièrement sévère. Le Mali a connu deux très mauvaises saisons des pluies en trois ans. Quand on sait le poids de l’agriculture dans l’économie nationale, on peut mesurer l’impact sur nos performances économiques. Dans le même temps, notre principal produit agricole d’exportation, le coton, a subi une baisse drastique de ses cours sur le marché mondial, avec pour conséquence des pertes importantes de recettes pour l’État. La flambée des prix des hydrocarbures a aussi été un facteur de contrainte. En juin 2002, le baril était à 20-22 dollars, aujourd’hui, il oscille entre 55 et 65 dollars. C’est une épreuve pour nos économies, et pour un pays sans littoral comme le Mali, le transport vient grever davantage les coûts. La crise ivoirienne, qui a éclaté trois mois après mon arrivée à la présidence, a fait voler en éclats toutes nos prévisions. Avant la crise, la Côte d’Ivoire était notre premier partenaire commercial et le port de transit de 70 % de nos importations et exportations. Le manque à gagner pour l’État se chiffre à plusieurs dizaines de milliards de F CFA par an, sans compter les pertes énormes subies par nos opérateurs économiques.

J.A.I. : L’horizon paraît particulièrement assombri
A.T.T. : Nous ne baissons pas les bras. Notre devoir est de répondre à l’urgence, mais aussi de continuer à travailler sur l’avenir, la croissance à long terme, le développement de notre pays. Nous continuons à investir dans les routes, les barrages, les infrastructures scolaires, universitaires, ainsi que dans l’agriculture. Malgré cette crise, nous avons procédé, en octobre 2002, à une augmentation des salaires et des pensions de retraite de l’ordre de 25 % à 30 %. Nous avons prolongé l’âge de la retraite, mensualisé le paiement des pensions, baissé de 21 % les tarifs de l’eau et de l’électricité, construit 1 500 logements sociaux, 850 autres logements sociaux sont en chantier. Malgré cette crise, nous pouvons être fiers, aussi, de maintenir un des meilleurs taux de croissance économique de la sous-région.

J.A.I. : Certains remettent en question la « démocratie consensuelle » que vous avez favorisée. Il n’y a plus d’opposition, tous les partis gèrent ensemble les affaires publiques et, du coup, les questions économiques ne seraient prises en charge par personne
A.T.T. : Le gouvernement fait son travail de gouvernement. Le président joue son rôle et travaille. Et il me semble que ma réponse à votre précédente question enlève toute pertinence à cette analyse

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J.A.I. : La perspective de la fin de votre premier mandat semble réveiller le microcosme politique. Les grands partis se déchirent pour savoir s’ils vont ou non présenter un candidat en 2007
A.T.T. : À ma connaissance, aucun grand parti ne se déchire autour de la question que vous soulevez. Et même si c’était le cas, peut-on parler de déchirements quand une formation démocratique débat en son sein ? Vous savez, je suis fier de la classe politique de notre pays. Je suis le premier témoin de la formidable cohésion nationale qui nous a permis de mieux affronter les crises économiques et les conséquences de la situation en Côte d’Ivoire. Les hommes politiques jouent leur rôle, mais personne n’agit de manière déloyale vis-à-vis de la nation et de ses intérêts. Je me doute bien que les échéances électorales risquent de bousculer notre coalition de gouvernement. Mais c’est normal. Les hommes politiques maliens n’ont pas signé avec moi un contrat à vie

J.A.I. : Certains de vos proches estiment que vous ne pouvez pas « durer » et imposer réellement votre autorité sans avoir votre propre parti. Et que, dans la situation actuelle, vous ressemblez plutôt à un chef d’État de la ive République française
A.T.T. : La Constitution malienne du 25 février 1992, me semble-t-il, s’inspire beaucoup plus de la Ve République française que de la IVe… Ici, au Mali, il n’y a pas d’ambiguïté sur la personne qui décide, dans le respect, évidemment, du jeu institutionnel. Le schéma classique pouvoir-opposition représente aussi un confort certain pour les analystes politiques. En ce qui me concerne, je suis, par nature et par conviction, toujours porté vers le dialogue et la concertation, en un mot le consensus. Je suis intimement persuadé de la nécessité pour notre pays d’associer le plus grand nombre à l’exercice des responsabilités.

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J.A.I. : Où en est votre réflexion sur l’éventualité d’un second mandat ?
A.T.T. : Vous avez vous-même longuement énuméré les défis que nous devons relever au quotidien. À chaque jour suffit sa peine Laissons du temps au temps et occupons-nous du présent.

J.A.I. : Revenons au Sommet Afrique-France. Pour vous, il s’agit d’une rencontre extrêmement importante. Le Mali sera-t-il prêt ? Certains s’inquiètent des capacités de logement à Bamako
A.T.T. : Le Mali sera prêt. Les infrastructures qui doivent abriter la conférence sont déjà achevées. Il s’agit d’un nouveau centre de conférences internationales et d’une salle polyvalente pour la presse. En ce qui concerne les capacités de logement, Bamako dispose d’un parc hôtelier très bien fourni. Toutes les dispositions sont prises, y compris en ce qui concerne les villas de très haut standing destinées à accueillir nos hôtes. C’est dire que les problèmes de logement sont maîtrisés, il n’y a pas d’inquiétude à avoir.

J.A.I. : Je parle de rencontre importante, parce que finalement ATT reste un personnage assez discret sur la scène continentale et internationale. Est-ce par tempérament ou par choix politique ?
A.T.T. : Franchement, nous n’avons pas besoin d’organiser un Sommet Afrique-France pour marquer une présence sur la scène continentale ou internationale. Le Mali fait entendre sa voix partout où cela est nécessaire. Nous sommes un pays écouté, sollicité, qui ne se dérobe jamais à chaque fois qu’il a la conviction d’être utile à une cause. Il ne s’agit pas d’une question de réputation personnelle par la grâce de Dieu, je n’ai rien à prouver dans ce domaine , mais de la défense des intérêts du Mali. Cela est un devoir sacré pour tout soldat, de surcroît lorsqu’il est président de la République. J’ai choisi de travailler dans la discrétion, avec le seul souci du résultat. Je m’implique dans la recherche de la paix, dans le cadre des opérations de l’ONU, de l’Union africaine ou de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR]. Aujourd’hui, les soldats maliens sont au Burundi, en République démocratique du Congo, en Sierra Leone, au Liberia, dans le Darfour, au Soudan, et en Haïti où des officiers de sécurité maliens participent à la formation de leurs collègues haïtiens.
Notre diplomatie s’honore aussi, tout naturellement, de la présence de deux de nos éminents fils, le président Alpha Oumar Konaré et l’ancien ministre Soumaïla Cissé, respectivement à la tête de la Commission de l’Union africaine et de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Et, sans vouloir insister, je voudrais aussi vous rappeler que par choix et par tempérament je me suis largement occupé des questions internationales à partir de 1992, au terme de la transition, jusqu’à mon investiture en juin 2002 : en Centrafrique, comme chacun le sait, également dans le cadre de la Commission de médiation dans la région des Grands Lacs, avec les présidents Jimmy Carter et Julius Nyerere. Je suis fier d’avoir également participé au premier panel international organisé par l’OUA pour déterminer les causes profondes de la tragédie survenue au Rwanda en 1994, et dont les conclusions, après deux ans de consultations et d’enquêtes s’intitulaient : « Rwanda, le génocide qu’on aurait pu éviter ».

J.A.I. : Concernant le Sommet, la France vous a-t-elle soutenu, en particulier dans le domaine financier ?
A.T.T. : La France est un pays ami du Mali, un partenaire privilégié. En nous engageant à abriter le Sommet, nous comptions d’abord sur nos propres efforts. Par respect pour la France et pour nous-mêmes, nous avions décidé d’assumer du mieux possible nos responsabilités, et de ne pas fixer « d’enveloppe financière » pour l’appui français. Mais nous savions aussi que nous pouvons compter sur l’accompagnement du président Chirac et du gouvernement français, et sur leur apport multiforme à la bonne organisation du Sommet. Nous avons collaboré de manière idéale, et je renouvelle mes remerciements à l’État français pour son soutien.

J.A.I. : Que peut-on encore attendre de ce genre de grand-messe franco-africaine ? Quelles décisions concrètes pour les opinions publiques africaines ?
A.T.T. : Une rencontre entre chefs d’État, entre hauts responsables politiques est toujours utile et intéressante J’ai proposé à mes pairs que nous réfléchissions sur le thème de la jeunesse. Les questions liées à la jeunesse sont transversales à toute la région, à tout le continent.

J.A.I. : Peut-on encore réconcilier les jeunes Africains avec la politique ?
A.T.T. : Votre question me fait penser à celui qui disait que « si vous ne vous occupez pas de politique, la politique s’occupera de vous ». Cela pour dire aux jeunes Africains que même s’ils ne sont pas d’accord avec certains choix, ils n’ont pas le droit de ne pas s’intéresser à la vie de la cité. De toutes les façons, ils feront de la politique quand ce sera leur tour, dans le cadre de la relève générationnelle, de présider aux destinées de nos nations.

J.A.I. : Certains chefs d’État regrettent ce qu’ils perçoivent comme le retrait relatif de la France en Afrique. Ils militent pour un rôle plus accru de Paris dans les affaires continentales, en particulier pour équilibrer l’influence grandissante des Américains. On parle du Soudan, du golfe de Guinée, de São Tomé Quelle est votre opinion ?
A.T.T. : L’Afrique doit savoir ce qu’elle veut. Quand la France est trop présente, certains l’accusent de jouer les gendarmes sur le continent. Quand elle se recentre, d’autres déplorent son désengagement. Nous sommes, de toute façon, dans un monde en mouvement, en recomposition, et l’on ne saurait reprocher à un État, la France en l’occurrence, de redéfinir ses orientations stratégiques.

J.A.I. : L’émigration, vitale à l’économie de votre pays, est une des grandes questions du moment. Les portes de l’Europe se ferment à double tour. Dans ces conditions, pourquoi collaborer avec les Européens, pourquoi vouloir endiguer le flot ?
A.T.T. : Vous l’avez dit, l’apport des Maliens de l’extérieur est vital pour notre pays. Et nous leur en sommes infiniment reconnaissants. Émigrer, c’est avant tout une décision personnelle. Il n’est donc pas question de dresser des entraves devant ceux et celles qui décident de partir. Mais nous avons une responsabilité en tant qu’État, celle de protéger nos ressortissants. Leur sécurité nous préoccupe au plus haut point. Un dialogue entre pays de départ, pays de transit et pays d’accueil est devenu indispensable pour aborder la question de l’immigration, et aussi à tout le moins pour limiter les risques qui pèsent sur les candidats au départ, livrés souvent à des réseaux mafieux de passeurs sans foi ni loi.

J.A.I. : On parle de plusieurs hameaux de clandestins, côté malien, tout le long de la frontière avec l’Algérie, des véritables zones de non-droit (en particulier dans la commune de Tin-Zaouatine)
A.T.T. : Je vous précise qu’il y a deux localités qui portent le même nom de Tin-Zaouatine, une située en territoire malien, l’autre en Algérie. Cela dit, cette question recouvre différentes réalités, chacune particulièrement complexe. Tout d’abord, le Nord-Mali couvre une superficie de 650 000 km2. Et surveiller l’immense désert n’est pas une tâche facile. Nous travaillons en bonne intelligence avec tous les pays touchés par le phénomène, à savoir la Mauritanie, l’Algérie et le Niger. Les problèmes de sécurité que vous évoquez ont une dimension sous-régionale, les solutions doivent être du même ordre. Il faut aussi se rappeler que le pacte de paix conclu à l’issue de la rébellion touarègue stipulait la démilitarisation du Nord-Mali. Ce qui a été fait. Les unités les plus avancées ont été retirées. Il y a eu des conséquences évidentes sur le contrôle du territoire. Depuis, des efforts importants ont été entrepris pour sécuriser la région. Je souligne d’ailleurs que l’actuel commandant de cette zone militaire est un ancien chef de guerre touareg intégré dans l’armée malienne, et qu’il accomplit à la tête de ses hommes un remarquable travail.

J.A.I. : Peut-on raisonnablement espérer, dans un jour proche, offrir du travail et des perspectives, ici en Afrique, à tous ces migrants du désespoir ?
A.T.T. : Tous les gouvernements ont à cur d’offrir du travail et de meilleures perspectives aux jeunes. C’est aussi leur raison d’être. Le problème n’est pas seulement africain. Même les pays riches éprouvent beaucoup de difficultés à répondre aux attentes de leurs jeunes.
Au Mali, on cherche à sortir des sentiers battus, en explorant des voies nouvelles. L’État a mis en place une Agence nationale pour l’emploi des jeunes (APEJ) et un Fonds national pour l’emploi des jeunes. Les résultats enregistrés sont encourageants. Mais aucune politique économique et sociale n’arrêtera définitivement les migrations. La mobilité des hommes est aussi vieille que le monde. L’amélioration de la situation au plan national peut diminuer les flux migratoires, mais ils ne tariront point. C’est le contraire qui aurait étonné à l’heure de la mondialisation.

J.A.I. : Comment pourriez-vous qualifier l’état des relations bilatérales entre la France et le Mali, aujourd’hui ?
A.T.T. : Elles sont excellentes. La France prend une part importante dans le développement de notre pays. J’ai eu le privilège, trois mois après mon investiture en juin 2002, d’effectuer une visite officielle en France et de recevoir, en octobre 2003, le président Jacques Chirac au Mali, à Tombouctou. La tenue à Bamako du Sommet Afrique-France est un signe tangible de la qualité des liens entre les deux pays et des relations personnelles amicales que j’entretiens avec le chef de l’État français.

J.A.I. : Des députés français ont obtenu que soit reconnu par la loi « le rôle positif de la colonisation ». Pensez-vous que la colonisation ait pu vraiment avoir un tel effet positif ?
A.T.T. : Les députés français sont souverains concernant les législations qu’ils adoptent. De la même manière, le jugement que nous, Africains, avons de nos résistants nous engage et nous honore.

J.A.I. : Comment pourriez-vous définir les intérêts stratégiques, vitaux du Mali ?
A.T.T. : Le Mali a besoin de développement, de démocratie et de paix. Cette exigence nous impose, au plan interne, de renforcer notre système politique et la cohésion nationale. Et sur le plan sous-régional, d’inscrire nos actions en faveur de la stabilité et de la paix.
Vous savez, nous avons beaucoup à gagner dans le processus d’intégration. Nous avons beaucoup d’atouts pour en tirer profit : une position géographique centrale, un potentiel hydroagricole énorme et un peuple très entreprenant. La politique volontariste de désenclavement que nous avons engagée permettra à ces hommes et femmes de donner la pleine mesure de leurs capacités. Mais toute cette ambition ne peut se réaliser que dans un espace de paix.

J.A.I. : Certains observateurs vous ont reproché une forme de « laxisme » dans la gestion du dossier islamiste, en particulier dans le cas du GSPC, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, qui opérait dans le nord du pays…
A.T.T. : Il y a un peu plus de deux ans, le Mali, à la demande du gouvernement allemand, s’était engagé pour obtenir la libération des otages européens retenus dans le Sahara. Depuis le dénouement de cette douloureuse affaire, aucun groupe islamiste n’opère à partir du territoire malien.

J.A.I. : Des soldats américains, ou des éléments des services américains, sont-ils installés sur le territoire malien dans le cadre de l’initiative « Pan-Sahel » ?
A.T.T. : Le Mali n’abrite sur son territoire aucune base militaire étrangère, petite ou grande. Cependant, évidemment, nous entretenons une coopération militaire à la fois nécessaire et de qualité avec des pays amis comme la France, les États-Unis. L’initiative « Pan-Sahel » s’inscrit dans ce cadre.

J.A.I. : Le Mali fait partie, avec des pays comme le Sénégal, des « chouchous » de la diplomatie africaine de Washington. Ce statut « privilégié » a-t-il de réels avantages en termes d’aide au développement ?
A.T.T. : Nous nous réjouissons de la coopération exemplaire que nous entretenons avec de nombreux pays amis, au nombre desquels la France et les États-Unis. Je salue l’appui américain aux efforts de développement du Mali et ses bonnes perspectives à travers le Millenium Challenge Account [le compte du millénaire, NDLR]. Je dois y ajouter l’Allemagne et le Canada qui ont inscrit le Mali parmi les pays de concentration de leur coopération. L’Union européenne n’est pas en reste. Et notre pays a été, après, l’Éthiopie, le deuxième bénéficiaire du IXe FED au sud du Sahara. La liste de nos partenaires et amis, et c’est souhaitable, n’est pas exhaustive

J.A.I. : La crise en Côte d’Ivoire bouleverse tous les équilibres régionaux. Sur ce dossier, pourtant très important, on vous a peu entendu. Pourquoi ?
A.T.T. : Je vous ai parlé de discrétion tout à l’heure. Je pourrais parler aussi de prudence. C’est une crise grave, les tensions sont souvent maximales. Nous avons de nombreux compatriotes sur place, qui résident en Côte d’Ivoire Le Mali ne peut pas rester insensible à une crise qui l’affecte aussi gravement, au plan économique et humain. Je rappelle simplement que c’est sur mon initiative personnelle que les présidents Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire et Blaise Compaoré du Burkina Faso se sont rencontrés, à deux reprises à Bamako. Et tous les observateurs s’accordent pour reconnaître que c’est la réunion de Bamako II qui a jeté les bases de l’accord obtenu, plus tard, à Accra III [les 29 et 30 juillet 2004, NDLR].

J.A.I. : Quelles sont vos relations avec Laurent Gbagbo ? On les dit plutôt fraîches
A.T.T. : Le président Gbagbo est un homme si chaleureux que cela relèverait de la gageure d’entretenir des relations « plutôt fraîches » avec lui. Je l’ai récemment félicité au soir de la qualification des Éléphants pour la Coupe du monde de football, en octobre.

J.A.I. : Avec ADO ?
A.T.T. : Alassane Dramane Ouattara est un aîné qui a beaucoup d’estime pour moi, et il sait que je le lui rends bien.

J.A.I. : Avec Henri Konan Bédié ?
A.T.T. : Je garde toujours le souvenir de sa courtoisie et de sa disponibilité à mon égard. Il m’a toujours reçu en audience, à mes différents passages à Abidjan, quand il était président de la République.

J.A.I. : Avez-vous des liens avec les rebelles de Bouaké, avec Guillaume Soro ? On dit que certains rebelles se sont réfugiés à Bamako, et que d’autres font des allers-retours fréquents
A.T.T. : Cette fois, dans le rôle de l’aîné, j’ai toujours prodigué des conseils, à chaque fois que mon avis a été sollicité, aux dirigeants des Forces nouvelles. Nous faisons partie de la Cedeao, la libre circulation des personnes est une réalité. Mais le Mali a été constamment clair sur son refus d’hommes en armes sur son sol. Ceux qui ont enfreint cette recommandation ont été désarmés et traduits devant la justice.

J.A.I. : Comment, d’après vous, peut-on réellement et durablement réconcilier « les » Côte d’Ivoire ?
A.T.T. : Je souhaite de tout cur cette réconciliation, et j’espère que le Mali pourra, à sa mesure, y contribuer. La paix n’arrive pas d’elle-même. Elle se prend, elle s’arrache. Nous avons eu aussi notre expérience d’un conflit entre frères, ici au Mali. Je parle de la question touarègue. Et je suis particulièrement fier de la manière dont le Mali a pu gérer cette crise grave. De la manière dont les combattants touaregs ont été fondus dans notre armée. Du fait qu’aujourd’hui des commandants touaregs, des anciens chefs de guerre, occupent des positions très importantes dans notre armée. Ils participent activement à notre défense et à notre sécurité. Le désarmement n’est pas une question « physique » en quelque sorte. C’est avant tout une question mentale.

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