Crise anglophone au Cameroun : une rentrée scolaire sous haute tension

L’assassinat et l’enlèvement de responsables d’établissement dans la zone anglophone ont suscité la panique au sein de la communauté éducative. De nombreux acteurs accusent le gouvernement de ne pas tenir sa promesse d’assurer leur sécurité.

Dans une rue de Bamenda, au Cameroun anglophone (photo d’illustration). © Rbairdpcam/CC/Flickr

Dans une rue de Bamenda, au Cameroun anglophone (photo d’illustration). © Rbairdpcam/CC/Flickr

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 6 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Ndue Derrick, le principal du collège presbytérien pour filles de Bafut (région du Nord-Ouest), porte encore les stigmates des mutilations subies lors de la rentrée scolaire, le mardi 4 septembre. Kidnappé la veille sur son lieu de travail, il a été retrouvé dans un état d’inconscience 24 heures plus tard, le corps couvert de traces de torture. « Ses doigts avaient été coupés, une de ses jambes broyée. Il a eu beaucoup de chance », confie à Jeune Afrique l’un des hommes qui l’ont retrouvé abandonné dans la brousse, avant de le conduire dans une formation hospitalière. La victime est sortie de son coma trois jours plus tard.

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Rentrée scolaire et villes mortes

Ce rapt n’est que l’un des nombreux incidents qui ont émaillé la rentrée scolaire dans les régions anglophones du Cameroun. Au sein du même établissement, des sources concordantes indiquent que six élèves ont également été kidnappés. Au moins deux d’entres eux ont été relâchés quelques heures plus tard, tous bien portants.

Le poste de gendarmerie de cette localité et celui de Bambili, une ville voisine, ont aussi connu des attaques, plongeant les populations dans un climat de peur.

Mon enfant ira en classe, mais quand ça sera plus calme

À Buea (Sud-Ouest), les rues étaient quasi-désertes lundi, jour de « ville morte ». Les parents interrogés évoquaient tous la crainte des violences comme étant la raison de cette situation, surtout après les coups de feu entendus le week-end précédent. « Quel parent peut accepter que son enfant aille à l’école dans ces circonstances ? Mon enfant ira en classe, mais quand ça sera plus calme », confiait à Jeune Afrique Clarisse Epouney, un parent d’élève.

À Mile 16 (Buea), des affrontements entre de présumés combattants séparatistes et des militaires camerounais avaient fait fuir les rares transporteurs présents à la gare routière, rendant difficiles les déplacements des habitants. Dans un communiqué rendu public le mercredi 5 septembre, le porte-parole du gouvernement Issa Tchiroma Bakary rapportait aussi l’assassinat du directeur d’une école à Bamali, l’attaque du lycée de Melim à Kumbo (Nord-Ouest), ainsi qu’une autre survenue au collège Saint Joseph de Buea (Sud-Ouest).

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L’hôtel de la ministre de l’Éducation attaqué

Les violences se sont poursuivies mardi 4 septembre, avec une attaque contre l’hôtel dans lequel logeait la ministre de l’Éducation de base, Youssouf Adidja Alim. Cette dernière s’apprêtait à poursuivre sa tournée entamée la veille dans les établissements de la ville de Bamenda, lorsque des hommes armés non identifiés ont fait irruption dans le complexe hôtelier. Ils ont rapidement été repoussés par des militaires en faction devant le bâtiment.

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Une chasse à l’homme s’en est suivie dans les artères de Bamenda, marquée par des coups de feu. « Ils sont d’abord passés devant le bâtiment de la Mideno [Mission de développement du Nord-Ouest, ndlr], puis se sont dirigés vers Kwen. C’est finalement à Foncha Junction qu’ils les ont arrêtés », raconte un habitant, sous couvert d’anonymat. Le bilan de cette attaque fait état de cinq personnes tuées parmi les assaillants, d’après des témoins oculaires. Un pick-up et des armes ont également été saisis.

Fermeture provisoire des établissements scolaires

Au lendemain de ces incidents, le Syndicat des enseignants des établissements de l’Église presbytérienne (Peattu) s’est réuni, en présence de ses responsables religieux. Pendant plusieurs heures, les représentants de la corporation ont débattu de la question d’une fermeture provisoire de toutes les écoles presbytériennes des régions anglophones, jusqu’à l’apaisement de la situation. Principal argument avancé : le gouvernement n’aurait pas tenu sa promesse d’assurer la sécurité des élèves et des enseignants à l’occasion de cette rentrée.

Une promesse pourtant réitérée par la ministre de l’Éducation de base à Bamenda, peu de temps après l’attaque manquée de son hôtel. Elle a ainsi rassuré ses collaborateurs locaux sur les dispositions sécuritaires prises, poursuivant sa visite malgré les incidents. Les négociations continuent avec les responsables de l’Église presbytérienne, afin de les convaincre de revenir sur leur décision.

Si aucune accalmie n’intervient dans les prochaines semaines, les effectifs des écoles du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, déjà considérablement amoindris depuis le début de la crise, pourraient enregistrer de nouvelles défections. Dans ces deux régions anglophones, où fait rage depuis plusieurs mois un conflit armé qui oppose l’armée à des séparatistes, ces derniers ont décrété un boycott des écoles. Considérant que le système scolaire francophone marginalise les étudiants anglophones, certains avaient déclaré sur les réseaux sociaux qu’ils ne garantissaient pas « la sécurité des enfants » qui retourneraient étudier.

Dans la nuit de mardi à mercredi, deux civils ont par ailleurs été tués et cinq militaires blessés, dans une embuscade tendue dans la commune septentrionale de Kolofata, cible régulière de Boko Haram.

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