[Tribune] L’héritage de courage et de cœur de Kofi Annan
Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida, revient sur les combats portés par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU décédé le 18 août 2018 à l’âge de 80 ans, qui sera inhumé le 13 septembre à Accra.
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Michel Sidibé
Directeur exécutif de l’Onusida, Michel Sidibé préside également le Partenariat H6.
Publié le 7 septembre 2018 Lecture : 5 minutes.
Une étoile de l’Afrique s’est éteinte. Kofi Annan, africain de cœur et citoyen global, symbolisait le meilleur de l’humain. Pour beaucoup d’entre nous, Kofi Annan a été un mentor qui nous a démontré que tout est possible si nous rêvions en grand. Un homme de courage, de conviction et de compassion, c’était un diplomate raffiné, un homme politique engagé, doté d’une vision ambitieuse pour transformer le rôle des Nations unies dans le monde et placer l’humain au centre de toutes les politiques.
Mettre fin à la conspiration du silence
Au tournant du siècle, Kofi Annan, déplorant le nombre de vies volées au continent africain par l’épidémie de sida, a appelé à « mettre fin à la conspiration du silence ». Il s’est rendu auprès des victimes du sida pour voir et comprendre les réalités de l’épidémie. Lors du Sommet d’Abuja en 2001, il qualifie le sida comme « notre plus grand défi en matière de développement » pour le continent africain et décide de faire de cette bataille sa priorité personnelle.
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Il était conscient de l’effet dévastateur de la discrimination et la stigmatisation sur l’accès aux soins. Il a parlé des droits des travailleurs et travailleuses du sexe, des homosexuels et des autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, des consommateurs de drogues et des personnes transgenres. Il était convaincu du rôle clé des femmes et des filles pour renverser la tendance, si seulement la société leur donnait l’autonomie et le pouvoir de le faire. Il a plaidé pour de meilleures lois et davantage de sièges pour les femmes à la table des décisions. Il a célébré la diversité et nous a toujours encouragé à mettre fin à la peur et l’intolérance qui alimentent les violations des droits de l’homme.
Plus qu’une crise sanitaire, un désastre mondial
Kofi Annan est l’un des premiers à comprendre que l’épidémie de sida est bien plus qu’une crise sanitaire localisée et ponctuelle. Il a usé de tous ces atouts diplomatiques et de sa détermination pour convaincre de nombreux dirigeants du monde que ce désastre humain, dont les Africains payaient le tribut le plus lourd, affecterait le monde entier—dans des dimensions politique, économique, sécuritaire, de droits humains et de développement. Il les a mis au défi d’être celui qui dira « le sida s’arrête avec moi ».
Dès 2000, il use de son autorité pour donner une place proéminente au sida dans les objectifs du millénaire pour le développement. Cette étape décisive a permis d’attirer l’attention sur l’urgence de la riposte au sida et de l’élever au niveau de priorité politique. Les OMD permettent aussi de prioriser l’allocation des ressources nationales et internationales vers ceux qui en ont le plus besoin.
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Sous sa direction, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté en 2000 la résolution 1308, identifiant le sida comme une menace pour la sécurité mondiale. En 2001, la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur le VIH/sida s’est tenue—la toute première réunion des Nations unies avec les dirigeants mondiaux sur une problématique de santé.
Kofi Annan voulait avant tout que l’humain soit au centre de toutes les politiques
Prenant action également en interne, Kofi Annan a publié une Politique sur le VIH/sida sur le lieu de travail dans un Bulletin du Secrétaire général afin de fournir un environnement favorable à tous ses employés onusiens, quel que soit leur statut sérologique. Cet engagement s’est poursuivi au travers du soutien qu’il a apporté aux employés qui vivent avec le VIH pour lancer UN Plus en 2005, un groupe mondial d’employés vivant avec le VIH qui fonctionne aujourd’hui avec plus de 200 membres à travers l’ensemble des Nations unies.
Responsabilité partagée, solidarité collective
Kofi Annan voulait avant tout que l’humain soit au centre de toutes les politiques. Son interprétation de la Chartre des Nations unies a permis de mettre en avant la doctrine de la « responsabilité de protéger » pour défendre les droits des personnes. Il a entamé sa « révolution tranquille pour réformer l’ONU » en mettant en œuvre sa volonté sans précédent d’engager la société civile et les communautés, à commencer par l’examen des progrès de l’ONUSIDA au sein de l’Assemblée générale des Nations unies.
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Pour atteindre les objectifs fixés en matière de santé, Kofi Annan a appelé à la solidarité globale de tous les partenaires de développement et notamment, un « coffre de guerre » pour le sida, la tuberculose et le paludisme. Cet appel et son plaidoyer avec les dirigeants mondiaux—comme lors du sommet des dirigeants africains, où il appelle à de nouveaux financements pour lutter contre l’épidémie de VIH/sida qui ravage les pays d’Afrique subsaharienne—ont conduit à la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Nous ne pouvons pas le trahir. Nous devons continuer à assumer notre « responsabilité à protéger »
Sa recherche d’équité et de justice a amené Kofi Annan à agir pour faire baisser les prix des médicaments antirétroviraux. Il a rencontré les dirigeants des plus grandes sociétés pharmaceutiques à plusieurs reprises pour discuter de l’accès aux traitements du VIH dans les pays en développement, en particulier en Afrique subsaharienne. Qui aurait pu croire en 2001 que le coût des médicaments antirétroviraux susceptibles de sauver des vies tomberait en 2018 à 60 dollars par personne et par an. En 2000, à peine 685 000 personnes avaient accès aux antirétroviraux. Aujourd’hui, quelque 21 millions de personnes suivent un traitement contre le VIH.
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Kofi Annan a continué de renforcer l’inclusion du secteur privé dans les débats globaux, comme illustré par la création de la Coalition mondiale des entreprises sur le sida, par Richard C. Holbrook en réponse à son appel. Kofi Annan s’est également tourné vers les médias pour jouer leur rôle, comme l’Initiative mondiale des médias contre le sida pour sensibiliser le public au sida et remédier ainsi au manque de connaissances et d’informations liées au sida.
Un combat perpétuel et un héritage admirable
Après avoir quitté ses fonctions onusiennes, Kofi Annan continue à soutenir des initiatives visant à un développement inclusif du continent africain. En tant que Président du Panel pour des progrès en Afrique, il a passé dix ans à travailler à des recommandations pour accélérer la transformation de l’Afrique et assurer la réalisation des objectifs de développement durable. Il a souhaité également faire avancer la lutte contre le trafic et la consommation croissante de drogues illicites en Afrique de l’ouest, en conviant, au travers de sa Fondation, la Commission ouest-africaine sur la drogue.
À travers l’ensemble de sa carrière et ses engagement personnels, Kofi Annan s’est investi pour bâtir un monde plus équitable, plus juste et plus sûr. Nous ne pouvons pas le trahir. Nous devons continuer à assumer notre « responsabilité à protéger », essentielle à la justice sociale et la sécurité humaine, partout et pour tous. Ce que nous tenons pour acquis aujourd’hui n’aurait pas vu le jour sans sa ténacité, sa vision, son humanité. Son héritage nous survivra tous.
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