Le devoir de partager

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Les grandes religions incitent leurs adeptes à la bienfaisance et à la charité : si vous êtes riche, ou seulement à l’aise, votre religion et la morale qu’elle induit vous recommandent de prélever sur votre fortune ou, à tout le moins, sur vos revenus pour donner à ceux et celles qui sont dans le besoin. Il vous est demandé de marquer ainsi votre solidarité avec vos coreligionnaires ou même, plus largement, vos semblables.
Pour ce qui le concerne, l’islam, dont je connais les règles, a fait de ce devoir de solidarité, qu’il a appelé zakat, un des cinq piliers de la foi, une obligation essentielle : vous n’êtes pas un vrai musulman ou une vraie musulmane si, disposant de plus que le nécessaire, vous ne répartissez pas au moins 10 % de vos revenus entre les pauvres de votre environnement.

Parce qu’il se heurte à l’égoïsme consubstantiel à la nature humaine, cet élément de la doctrine n’est, hélas ! pas respecté autant qu’il devrait l’être. Pour beaucoup trop de ceux qui se disent musulmans, plus on est riche, moins on se sent astreint au devoir de se séparer chaque année d’une fraction de sa richesse pour la transférer aux plus démunis…
Les millionnaires en pétrodollars, qui s’affirment (et se croient) musulmans, donnent à leurs coreligionnaires – et au monde – un exemple particulièrement éclatant de l’épaisseur du mur de l’argent : il isole la plupart d’entre eux, les rend sourds et aveugles à la détresse des pauvres.
Le comportement égoïste des riches n’est évidemment pas propre aux musulmans. On le retrouve chez les juifs, chez les chrétiens, chez les bouddhistes…
Mais la richesse n’engendre pas toujours et partout l’égoïsme, et les riches ne sont pas tous hermétiquement fermés à la compassion.
Paradoxalement, c’est aux États-Unis, pays du capitalisme triomphant, du roi dollar, des inégalités criantes entre riches et pauvres, que la philanthropie est le plus répandue. C’est même, là-bas, une industrie prospère…

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Selon le dictionnaire, le philanthrope est une personne généreuse, désintéressée, qui aime les autres et partage son argent avec eux.
Aux États-Unis, les philanthropes se comptent par milliers, car la philanthropie est encouragée par des exemptions fiscales incitatives.
Plusieurs dizaines d’Américains versent chaque année plus de 1 milliard de dollars chacun à des oeuvres caritatives, et ils sont plusieurs centaines à y consacrer chacun plus de 10 millions de dollars par an.
Ce que ces généreux donateurs déboursent est souvent supérieur aux 10 % du revenu prescrits par l’islam.
Je me suis intéressé aux cas des deux hommes les plus riches des États-Unis – et du monde -, Bill Gates (Microsoft) et Warren Buffet (Berkshire Hathaway), à leur attitude par rapport à l’argent et vis-à-vis de la philanthropie. Ce que j’ai appris devrait également intéresser chacun d’entre vous.

Est-ce un hasard ? Ces deux hommes se trouvent être les plus grands philanthropes des États-Unis, et de la planète !
Bill Gates et Warren Buffet sont devenus amis bien qu’ils ne travaillent pas dans le même secteur d’activité et ne soient pas de la même génération : le premier a 50 ans et beaucoup de temps devant lui (en principe), tandis que le second, âgé de 75 ans, sait qu’il est au terme de sa vie active.
Aucun des deux n’a hérité de parents riches : leur fortune, près de 100 milliards de dollars à eux deux*, ils l’ont constituée par eux-mêmes, en deux décennies pour l’un et quatre pour l’autre, à force de travail et de chance.
Ils vivent très confortablement, bien sûr, et disposent de tout ce dont un homme ou une femme moderne vivant dans un pays développé peut avoir besoin. Mais l’un et l’autre ne se sentent aucune attirance pour ce qu’ils appellent eux-mêmes le somptuaire, ce qui est fait pour paraître.
Ils continuent inlassablement à se cultiver et, à cet effet, lisent des livres sérieux : ceux qui enrichissent celui qui se donne la peine de les lire.

Laisseront-ils leur fortune à leurs enfants ? Tous deux répondent avec une évidente sincérité :
« Non. Au-delà d’un certain chiffre, ce serait une erreur… une petite fraction de ce que nous possédons suffira à en faire des riches : avec 1 % de notre fortune, nos enfants compteront parmi le 0,5 % des personnes les plus riches du monde… l’idée d’une richesse dynastique nous déplaît… »
Et c’est à partir de ce simple constat qu’ils ont décidé de « partager leur richesse avec le reste du monde ». Ils s’en expliquent ainsi :
« Si vous accumulez une partie de la richesse de la société, grâce à la chance et au talent, et si, ensuite, vous faites en sorte que la majeure partie de cette richesse aille aux déshérités, vous recyclez la richesse du haut vers le bas… Plus vous vous trouvez en haut dans l’échelle, plus vous êtes tenus de mettre votre fortune et votre intelligence au service des bonnes causes : 99 % de ce que nous avons ira à des oeuvres caritatives. »

L’un et l’autre vont jusqu’à s’insurger contre le système fiscal de leur pays dont ils constatent qu’il favorise trop les nantis. Voici ce qu’en dit Warren Buffet :
« Depuis quelques années, les riches de ce pays bénéficient d’énormes avantages fiscaux qui ne profitent pas aux moins fortunés. Franchement, je pense que Bill Gates et moi devrions être soumis à un impôt sur le revenu plus élevé. Je paie aujourd’hui sur la base d’un taux inférieur de moitié à ce que je payais il y a vingt-cinq ans, quand j’avais beaucoup moins d’argent. Notre pays prend vraiment soin des riches. »

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Bill Gates a pris la décision de consacrer à la philanthropie non seulement l’essentiel de sa fortune, mais la moitié de son temps. Il raconte :
« En 1998, je démarrais juste dans le caritatif. À cette époque, je trouvais compliqué de chercher à « faire de l’argent » et d’en donner en même temps. Je ne pensais pas pouvoir consacrer suffisamment de temps à l’action caritative. Mais mon père m’a encouragé, ma femme Melinda m’a imité… Tout s’est mis en place naturellement. Et j’arrive désormais à combiner les deux. »
La plus grande partie de l’argent de Bill Gates et la moitié de son temps sont donc consacrées à éradiquer le paludisme, qui sévit principalement en Afrique, à lutter contre le sida, contre l’analphabétisme, contre la pauvreté.
Qui dit mieux ?
Pourquoi les nantis des autres pays, en particulier ceux du Sud, qui côtoient la misère, ne font-ils pas le centième de ce que Bill Gates, Warren Buffet (et bien d’autres Américains) ont librement choisi d’accomplir ?

Un mot, pour finir, sur la « philosophie économique » de Bill Gates, car c’est le ressort principal de son action :
« Je regrette que les gens ne s’intéressent pas davantage à la théorie économique. Si quelqu’un pouvait décider que demain, en Inde, tout le monde sera aussi riche qu’en Amérique, l’économie s’en porterait-elle mieux ? Sans aucun doute.
Les États-Unis profiteraient-ils des produits et du travail réalisés là-bas ? Absolument. C’est une excellente chose que le monde entier devienne plus riche. Cela a été très positif dans le passé, et cela le sera dans l’avenir. »

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*Buffet, 40 milliards, et Gates, 51 milliards. Total : 91 milliards qui deviendront très vite 100, sauf accident.

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