La transition en danger

Réunification laborieuse de l’armée, résurgence de sentiments régionalistes, polémique sur les fonds électoraux…

Publié le 29 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Plus le temps passe, plus la communauté internationale s’impatiente. « Il est impératif que le calendrier soit respecté et que les élections soient terminées au 30 juin 2006 », a lancé le diplomate français Jean-Marc de la Sablière le 7 novembre dernier à Kinshasa. À la tête d’une mission du Conseil de sécurité de l’ONU, il venait de rencontrer successivement l’opposant Étienne Tshisekedi, les quatre vice-présidents et le président Joseph Kabila.
Pourquoi cet empressement ? D’abord, parce que les bailleurs de fonds sont fatigués de payer. La transition congolaise coûte cher. Plus de 1 milliard de dollars par an pour l’entretien des 17 000 Casques bleus de la Monuc, la plus importante mission de maintien la paix de l’ONU dans le monde. Et 400 millions de dollars pour le financement du processus électoral. Près de 22 millions d’électeurs enregistrés sur un fichier informatique, c’est bien. Mais il faut y mettre le prix.
Alors faut-il voter au plus vite ? Pas si simple. « Pour que les élections puissent se tenir, il faut la paix et la sécurité », vient de reconnaître à Kinshasa le ministre belge de la Coopération Armand de Decker. Or, à l’heure qu’il est, les anciens rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et du Mouvement de libération du Congo (MLC) ne sont toujours pas intégrés dans une armée réunifiée. Sans parler des miliciens de l’Ituri ou des combattants Maï-Maï du Katanga et de l’est du pays.
Officiellement, le « brassage » des diverses troupes est bien entamé. Six brigades intégrées auraient été mises sur pied. Mais, en réalité, seules trois d’entre elles sont opérationnelles. Et les « soldats brassés » sont si mal nourris et soignés que la maladie fait des ravages dans leurs rangs. À Bunia, en Ituri, la nouvelle unité est surnommée « la brigade choléra ». Si les élections sont mal préparées, ces bandes armées se mettront au service des déçus de la transition. Aujourd’hui justement, les frustrations s’accumulent au Congo.
Dans les régions, tout tourne autour d’une question. Comment sera partagé le pouvoir après les élections ? Beaucoup rêvent d’un État fédéral. Pas seulement les extrémistes katangais de l’Union des nationalistes fédéralistes du Congo (Unafec), qui tiennent des propos xénophobes contre les Kasaïens. À Lubumbashi, le Katangais de la rue souhaite que les immenses ressources minières de sa province ne soient plus confisquées par l’État central. De même, à Mbuji-Mayi, la capitale du diamant congolais, le Kasaïen vote pour le fédéralisme. L’Église catholique locale a même publié une lettre pastorale en ce sens. Dans les deux provinces du Kivu et au Bacongo, beaucoup partagent ce point de vue. Or le projet de Constitution soumis à référendum le 18 décembre prochain prévoit un État unitaire. Décentralisé, mais unitaire. Frustrations en perspective…
À l’échelle nationale, les déceptions risquent d’être encore plus grandes. Plus les élections approchent, plus les Congolais dénoncent les écarts de richesse entre les candidats. « Tout pour les partis du 1+4, rien pour les autres », dit un Kinois désabusé. De fait, beaucoup s’interrogent sur l’origine des fonds électoraux que sont en train de se constituer les partis du président Kabila et des quatre vice-présidents. À Kinshasa, il ne se passe plus une semaine sans que n’éclate un nouveau scandale financier. Depuis deux ans, on budgétisait la paie de 300 000 soldats… On vient de s’apercevoir que près de la moitié d’entre eux étaient des militaires fantômes ! Mieux encore, l’argent destiné aux 170 000 vrais soldats est détourné en chemin par une batterie d’intermédiaires civils et militaires. Un tonneau des Danaïdes.
Et les escrocs ont encore de beaux jours devant eux. Tous les partis, qui occupent des places dans les organes de transition, ont quelque chose à se reprocher. Ici un ministre, là un directeur de société d’État… Les brebis galeuses sont nombreuses au Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD) de Joseph Kabila, au MLC de Jean-Pierre Bemba et dans les autres partis de la transition. Leurs malversations financières sont couvertes. Surtout, ces formations politiques se tiennent toutes. Si l’une d’entre elles se met à table, elle essuiera de sévères représailles. C’est donc la loi du silence.
Face à ces machines électorales, les partis d’opposition risquent d’être laminés. Un seul peut leur tenir tête : l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), toujours très haute dans les sondages. Jusqu’au 30 juin dernier, le parti d’Étienne Tshisekedi a cru qu’il pouvait jouer la rue contre les organes de transition sur l’air du « 1+4 = 0 ». Mais le 30 juin, la répression a été efficace et quelquefois meurtrière. Près de vingt morts à Mbuji-Mayi, selon un rapport de l’Onu.
Aujourd’hui, l’UDPS change de tactique. Elle se dit prête à rallier le processus électoral si la transition est prolongée et si le fichier électoral est soigneusement révisé. Excepté le vice-président Azarias Ruberwa, du RCD, les acteurs de la transition font la sourde oreille. Ils savent qu’ils gagneront plus facilement les élections si le parti d’Étienne Tshisekedi n’y participe pas. En 2002, à Pretoria, les Congolais ont signé un accord « global et inclusif ». En 2006, les élections risquent au contraire de faire beaucoup d’exclus. Les lendemains d’élections promettent…
Du côté des bailleurs de fonds, on n’ignore pas ces risques de dérapage. Mais on ne veut pas toucher au calendrier ou à la méthode. De fait, au Burundi et au Liberia, le remède ONU-élections semble capable de guérir le malade. Mais le Congo n’a pas la même taille. À Kinshasa, un observateur commente : « Au Liberia, 15 000 Casques bleus peuvent sécuriser le pays après les élections. Mais ici, au Congo, est-ce que 17 000 Casques bleus suffiront ? »

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