Indépendance de la Mauritanie

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Il est minuit. Le teint basané, la barbe noire finement taillée, un homme de 37 ans habillé à l’occidentale monte sur une estrade aménagée dans un hangar moyennement éclairé. Mokhtar Ould Daddah, ex-Premier ministre promu deux jours plus tôt par le Parlement local chef d’État, semble fier et sûr de lui. En ce 28 novembre 1960, qui coïncide avec le deuxième anniversaire de l’accession de la Mauritanie à l’autonomie interne, il proclame, de sa voix douce et profonde, « l’indépendance totale » de son pays, occupé depuis cinquante-huit ans par la France.
À chaque pause de son discours, un tonnerre d’applaudissements rompt le silence de la petite localité de Nouakchott, capitale improvisée de l’État naissant. Aux premières loges de l’auditoire, le Premier ministre français Michel Debré, et la quasi-totalité des chefs d’État issus de la Communauté franco-africaine instituée en 1958, en particulier l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Gabonais Léon M’Ba et le Nigérien Hamani Diori.

Deux délégués étrangers attirent manifestement les regards des dignitaires maures. Il s’agit de Mohamed Masmoudi, ministre tunisien de l’Information, et d’Abdallah Farhat, directeur de cabinet du président Habib Bourguiba, père de l’indépendance tunisienne, venus représenter « le Combattant suprême ». Ils sont les deux seuls « frères arabes » à avoir pris part à la cérémonie. Tous les autres membres de la Ligue arabe l’ont boudée, exprimant ainsi leur solidarité avec le Maroc, qui revendique la Mauritanie comme « partie intégrante » de son territoire. Une thèse défendue, dès 1955, par le parti de l’Istiqlal d’Allal el-Fassi et reprise officiellement à son compte, trois ans plus tard, par le roi Mohammed V. Hassan II, alors prince héritier, n’y souscrivait pas. « Ce n’est pas de notre intérêt que des caïds marocains administrent la Mauritanie. Ce que nous souhaitons, c’est une sorte d’association d’État à État », déclare-t-il au quotidien Le Monde du 9 juin 1960.
L’ambiance est fiévreuse. Les principaux « unionistes » mauritaniens installés au Maroc – Horma Ould Babana, ex-député à l’Assemblée nationale française ; Mohamed Fall Ould Oumeir, émir des Trarza ; Dey Ould Sidi Baba et Mohamed El Mokhtar Ould Bah, anciens ministres dans le premier cabinet d’Ould Daddah – se relaient aux micros de la radio de Rabat pour dénoncer le nouvel État « fantoche » créé pour « perpétuer la domination coloniale ». Certains de leurs partisans avaient, une vingtaine de jours plus tôt, assassiné, à Nouakchott même, le très antimarocain député d’Atar, Abdallahi Ould Obeïd, et failli abattre, à Kiffa, un officier français.
Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir combattu l’option indépendantiste. Des Négro-Mauritaniens lui avaient, un temps, préféré une adhésion à l’éphémère fédération ayant regroupé le Mali et le Sénégal voisins tandis que certaines féodalités maures ne voulaient pas quitter le giron de la France. « Contre vents et marées » (titre de ses mémoires), Mokhtar Ould Daddah a fini pourtant par imposer son projet politique : édifier, sur ce territoire immense (plus d’un million de kilomètres carrés) peuplé d’Arabo-Berbères et de Négro-Africains, un État-nation qui serait « à la fois l’Afrique noire et l’Afrique du Nord ». Autrement dit, « un trait d’union entre les deux, une synthèse de l’Afrique ».

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Sur le plan diplomatique, la Mauritanie indépendante va aller de succès en succès. Le pays sera admis à l’ONU en octobre 1961 avant de devenir, moins de deux ans plus tard, membre fondateur de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Le Maroc le reconnaîtra en 1969 et parrainera sa candidature à la Ligue arabe en 1973. D’adversaires, Nouakchott et Rabat deviennent alliés. Alliance traduite aux premières années du conflit du Sahara occidental quand les deux capitales, après avoir libéré et s’être partagé cette ex-colonie espagnole, font front commun face aux guérilleros du Polisario soutenus par l’Algérie.
Le volontarisme républicain de Mokhtar Ould Daddah ne survivra pas à sa chute en 1978. Les militaires qui lui succèdent ne tardent pas à dénoncer « le virus de la modernité » répandu par son régime et à remettre en selle les chefferies traditionnelles.
Une chose est sûre cependant : quarante-cinq ans après le 28 novembre 1960, l’État mauritanien existe toujours. Rares sont ceux qui lui prédisaient, ce jour-là, une pareille longévité.

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