Impressions soleil couchant

Pékin, Istanbul, Samarkand… Le monde n’est plus le même vu de la fenêtre d’un train.

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 2 minutes.

« Expert en frousses », il redoute d’être pris en otage par un commando tchétchène lors d’un séjour à Moscou ou qu’on lui serve, à Oulan-Bator, un civet de marmotte, vecteur de la peste dans cette étrange contrée. Mais une fois lancé, plus rien n’arrête ce narrateur pusillanime. C’est bien connu : rien de tel pour surmonter ses peurs et son hypocondrie que de partir affronter le vaste monde. Donc, il visite et revisite : flâne dans le Prague de Franz Kafka – l’un de ses écrivains de prédilection -, scrute les métamorphoses de la Russie postsoviétique, se perd au pays des idéogrammes ou déambule dans le nouveau Berlin dès la chute du Mur.
Mais de Samarkand à Sarajevo et d’Istanbul aux Alpes suisses, le rituel est partout le même : le voyage se fait en train de nuit. À des années-lumière de la cohue et des heures d’affluence… L’obscurité et la lenteur, qui changent la perception du monde, sont le dernier refuge et le seul remède de ce narrateur insomniaque, de ce « nomade du temps, aussi malheureux dans les horaires modernes qu’un gitan assigné à résidence », qui ne « supporte pas la manière dont le temps est réglé en coupe par l’ethnie dominante, les Dormeurs ». On frôle l’absurde en traversant des États que leurs habitants ne peuvent quitter, telle la Bulgarie communiste d’antan. On flirte avec la relativité du temps et les fuseaux horaires sans jamais dérailler, à la frontière du rêve et de la réalité, du sommeil et de l’éveil.
Éric Faye, auteur de nouvelles (Je suis le gardien du phare, prix des Deux-Magots) et de romans (Croisière en mer des pluies, La Durée d’une vie sans toi), excelle dans l’art de prendre des chemins de traverse pour redessiner son monde à lui, tout en demi-teintes, oscillant sans cesse entre évasion et introspection. D’où vient, chez l’écrivain, ce tropisme du voyage ? D’un grand-père jadis poseur de voies, aux confins de la Corrèze et de la Creuse ? Des souvenirs d’une enfance où « entendre un train au moment de s’endormir était signe de grand froid et de nuit étoilée » ? Une chose est sûre : l’auteur n’a pas renié le garçonnet somnambule qu’il fut, celui qui rêvait, du fond de sa province engourdie, d’horizons infinis et de littérature.

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