Entrepreneurs d’outre-périph’

Portraits de trois lauréats de Talents des Cités, concours destiné à valoriser et à rendre visibles les initiatives des jeunes issus des banlieues.

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Esprit d’entreprise, citoyenneté, intégration, dialogue social et égalité des chances, autant de valeurs dont l’absence criante dans les banlieues de France a embrasé les esprits… et les rues ces dernières semaines. Talents des Cités, dont la quatrième édition s’est achevée le 19 novembre par la remise des prix aux lauréats dans l’enceinte du Sénat en présence de nombreuses personnalités, ambitionne justement de promouvoir ces beaux principes quelque peu négligés. Créé en 2002, Talents des Cités est un concours national organisé conjointement par le ministère français de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, et par le Sénat. Il s’adresse aux porteurs de projets et créateurs d’entreprise issus de quartiers particulièrement frappés par le chômage, ceux qui vivent dans la « sous-France », pour reprendre un terme forgé par la sénatrice Bariza Khiari, porte-parole du Sénat pour ce concours. Parmi les plus brillants lauréats des précédentes éditions, Aziz Senni, patron d’ATA France et auteur de L’Ascenseur social est en panne… j’ai pris l’escalier, paru récemment aux éditions de l’Archipel (voir J.A.I. n° 2340), et la jeune créatrice de mode d’origine malgache Sakina M’Sa. Sur les trente-neuf porteurs de projets primés cette année, nous avons choisi de rencontrer deux self-made-men et une self-made-woman en devenir qui viennent d’outre-périph’, et dont les trajectoires et les projets pourraient faire des émules.

Mustafa Yildiz, 25 ans, Yildiz entreprise, lauréat national (10 000 euros) et grand Lauréat (5 000 euros)

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Titulaire d’un CAP-BEP électrotechnique et d’un bac professionnel électronique, Mustafa Yildiz exerce le métier d’électrotechnicien depuis l’âge de 18 ans. Enfant, il rêvait de devenir médecin et avait de bons résultats dans les disciplines scientifiques, mais les conseillers d’orientation ont cru bon de l’envoyer dans la filière professionnelle.
S’il a décidé de monter sa propre affaire, c’est parce que ce jeune Français né à Bordeaux de parents turcs ne parvenait pas, en tant que salarié, à satisfaire ses ambitions professionnelles. « La difficulté pour une personne d’origine étrangère, explique le jeune entrepreneur doublement récompensé, n’est pas seulement de trouver un emploi mais aussi de gravir ensuite les échelons. Souvent, on stagne, notamment du fait des collègues qui voient d’un mauvais oeil qu’un « étranger » puisse être mieux qu’eux. Il faut toujours déployer des efforts considérables et toujours prouver qu’on est capable lorsqu’on porte un nom à consonance exotique. »
Voilà pourquoi, en janvier 2004, il crée dans sa région natale, l’Aquitaine, Yildiz, une entreprise spécialisée dans l’électricité. « Donner de la lumière aux gens » est toute l’ambition de cette société, qui compte aujourd’hui cinq salariés. Les principales embûches qui ont entravé ses démarches de créateur d’entreprise ? « Le manque d’informations et la difficulté d’accès aux crédits bancaires », déplore ce lauréat parrainé par le groupe Suez. Quel conseil donnerait-il aux jeunes des cités ? « Il faut absolument surmonter les barrières que l’on nous met en tout début de parcours, et après, toutes les portes s’ouvrent. » Parallèlement à son activité de chef d’entreprise, Mustafa Yildiz a créé une association de quartier qui propose des activités sportives et culturelles.

Louisa Benzaid, 33 ans, Le Family, mauréate nationale (8 500 euros) et prix de l’Innovation citoyenne (5 000 euros)

Après avoir décroché un BTS force de vente, Louisa Benzaid a d’abord été agent immobilier puis cadre dans une banque de 1994 à 2004. Son désir de devenir patronne vient de son double souhait de travailler dans un univers dont elle édicterait elle-même les valeurs et de grimper plus vite les échelons de la hiérarchie.
C’est ainsi que la jeune maman d’origine kabyle née en Lorraine a eu la riche idée de créer Le Family, un restaurant-salon de thé-glacier dans un quartier où les seuls cafés existant sont les lieux enfumés fréquentés essentiellement par des hommes.
« Ce qui me tient à coeur, c’est d’améliorer la qualité de vie des gens de mon quartier, qui disposent de moins de moyens que ceux que j’étais habituée à recevoir du temps où j’étais cadre dans une banque », précise la lauréate du prix de l’Innovation citoyenne, récompense attribuée pour la première fois cette année. On imagine que les dernières tensions dans les banlieues y sont pour quelque chose. Pour louisa, créer un tel lieu en centre-ville n’aurait eu aucun sens. « Car c’est à proximité de ces immeubles qu’un tel espace fait cruellement défaut, regrette-t-elle. Et les femmes, ayant peu de lieux pour se retrouver, sont vite confinées à la maison. »
Le Family, espace non fumeur comprenant également des aires de jeux pour enfants, devrait donc ouvrir ses portes courant 2006 dans un quartier de woippy, à proximité de Metz, actuellement en réhabilitation. Sa patronne, qui, petite, voulait devenir assistante sociale, entend en faire un lieu de détente et de mixité ouvert sept jours sur sept et où le personnel embauché sera strictement féminin. D’ici là, Louisa Benzaid, dont le projet est parrainé par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), aura donné naissance à son deuxième enfant, preuve que l’on peut allier maternité et esprit d’entreprise.

Mamadou Baley beye, 34 ans, AGii, lauréat national (8 500 euros)

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D’origine sénégalaise, Mamadou Baley Beye est arrivé en France en 1993 avec un bac en poche. Bien entendu, il pensait comme tant d’autres finir ses études et retourner au pays. La vie en a décidé autrement. Ce diplômé en sociologie des organisations a créé, en septembre 2005, une entreprise d’insertion de travail temporaire qui a pignon sur rue aux Mureaux, en région parisienne. S’il s’est résolu à créer sa propre entreprise, ce n’est pas parce qu’il avait du mal à décrocher un emploi. « Non, c’est pour pouvoir évoluer rapidement, poursuit-il. La barrière du curriculum vitae, j’ai appris à la contourner. » Comment ? « J’ai la chance de porter deux prénoms, Mamadou et Baley. Lorsque j’envoyais des candidatures, j’omettais de mentionner Mamadou. » Et bien entendu, ses potentiels recruteurs étaient surpris de voir un Subsaharien arriver le jour du rendez-vous, mais il a toujours su les convaincre de surmonter leurs propres préjugés. Aussi a-t-il occupé le poste de conseiller emploi, formation et insertion au Fongecif et à l’ANPE. « Les gens ont des clichés dans la tête mais ne sont pas forcément racistes. Pendant un entretien, on a une chance de tordre le coup aux stéréotypes. »
Fier d’avoir trouvé un moyen d’esquiver la discrimination à l’embauche, Mamadou Beye voudrait en faire profiter d’autres. Parrainée par la fondation Vinci, AGii, son agence d’intérim, fonctionnera comme une agence de travail temporaire, mais aura en outre une forte vocation sociale en proposant notamment un suivi des missions, des formations complémentaires et un véritable accompagnement des intérimaires. Il envisage de créer dix postes à temps plein et vise un chiffre d’affaires de 400 000 euros pour sa première année d’activité. Parallèlement, Mamadou Beye est président de l’association « Objectif Profession et Intégration », dont le but est de réinsérer des personnes fragilisées tenues à l’écart du marché de l’emploi.

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