Crimes sans châtiment ?

Publié le 29 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Hissein Habré, qui régna d’une main de fer sur le Tchad de 1982 à 1990, ne sera pas extradé vers la Belgique pour y répondre de violations graves des droits de l’homme. Et Abdoulaye Wade n’aura pas à trancher. Ainsi en a décidé la justice du Sénégal, où l’ex-dictateur s’est réfugié au lendemain de sa chute.
Le 25 novembre, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’extradition de l’ancien président tchadien formulée par la justice belge. La décision a secoué les organisations de défense des droits de l’homme et atterré les familles des victimes tchadiennes mobilisées depuis cinq ans pour obtenir réparation des souffrances subies sous l’ère Habré. Elle a ravi, en revanche, les amis de l’ex-homme fort de N’Djamena, tapis dans toutes les sphères de la vie politique et sociale de son pays d’accueil. Mais également les intellectuels et dignitaires religieux sénégalais récemment regroupés au sein d’un Comité de défense de Hissein Habré. « Je me réjouis de cette décision historique, a confié à J.A.I. un de ses avocats, Me Doudou Ndoye. Après la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, la justice sénégalaise vient de poser un second jalon pour réaffirmer qu’aucun chef d’État ne peut être jugé par un État étranger pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions. » Les autorités sénégalaises n’en espéraient pas tant. L’argumentation développée de bout en bout par le parquet, qui relève du ministère de la Justice, a triomphé. Le procureur général, Abdoulaye Gaye, s’est montré le plus farouche adversaire de la « livraison » de Habré à la justice belge.
Dans son mémoire, versé au dossier le 9 novembre et dont J.A.I. a obtenu copie, il s’est employé à démontrer qu’aucun fait matériel précis n’a été imputé à l’ex-président tchadien à titre personnel et que, « à les supposer établis, les faits articulés contre monsieur Habré seraient prescrits ». Comme si cette argumentation ne suffisait pas, le procureur général a demandé le report de la décision de la cour du 22 au 25 novembre. Et mis à profit ce délai supplémentaire pour introduire, le 23, une « note en cours de délibéré » dans laquelle il développe la thèse qui sera reprise par la chambre d’accusation pour se déclarer incompétente.
Vivement contestée par les organisations de défense des droits de l’homme et les avocats des plaignants, l’argumentation du juge consiste à défendre l’idée qu’un chef d’État étranger ne peut pas relever du droit interne d’un pays tiers. En clair, pour des actes posés lorsqu’il était à la tête du Tchad, Habré ne peut être poursuivi en vertu de la loi belge de compétence universelle. La cour d’appel de Dakar en déduit qu’elle est elle-même incompétente pour statuer sur une demande d’extradition sur la base de faits commis par un ex-chef d’État dans l’exercice de ses fonctions.
Habré ne pouvait rêver meilleur issue à son procès : s’en sortir sans un examen de fond, sans que les arguments de ses adversaires en faveur de l’extradition ne soient étudiés. Les nombreuses victimes n’ont aucune voie de recours. Aux termes de la loi n° 71-77 du 28 décembre 1971, les décisions rendues par la cour d’appel en matière d’extradition sont définitives et obligatoires.
La Belgique peut dire adieu au procès de Hissein Habré, après avoir adressé, le 22 septembre, une demande de vingt pages rigoureusement argumentée pour obtenir le transfert d’un « homme qui a violé les principes généraux reconnus par les nations civilisées ».
Reste-t-il un espoir de voir Hissein Habré traduit un jour devant un tribunal ? Au Sénégal, où il est parti pour passer le restant de ses jours, la Cour de cassation lui a accordé une impunité ad vitam aeternam. Dans son arrêt n° 14 du 20 mars 2001, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a décidé que la justice sénégalaise est incompétente pour juger l’ex-homme fort de N’Djamena.
Pressé de part et d’autre par les pro- et les anti-extradition, au point d’envisager de se décharger sur l’Union africaine (UA), le chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, ne sera plus sollicité sur une question éteinte par la justice. Le syndicat des chefs d’État africains, qui le conjurait de ne pas « créer un précédent dangereux », se frotte les mains. Mais pas pour longtemps, si l’on en croit les organisations de défense des droits de l’homme, déterminées à poursuivre leur combat. Une fois connu ce qu’il appelle « un désastre judiciaire », le président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Sidiki Kaba, nous a confié l’intention de son organisation de porter plainte contre le Sénégal auprès des Nations unies pour irrespect de ses engagements internationaux, notamment la Convention de l’ONU de 1984 contre la torture. Cette action n’en exclut pas d’autres que les organisations tchadiennes, belges et sénégalaises ne tarderont pas à engager auprès des instances régionales africaines, européennes et internationales pour s’opposer à l’impunité.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires