Claude Ribbe

Claude Ribbe nous a rendu visite le 22 novembre. Dix jours auparavant, le Premier ministre français Dominique de Villepin le nommait à la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Fidèle à la tradition de sa famille politique, le gaullisme, lointain héritier du bonapartisme, Dominique de Villepin a signé en 2001 un hommage à Napoléon : Les Cent Jours ou l’esprit de sacrifice. L’ouvrage, qui narre les trois derniers mois du premier Empire, avait été récompensé par le Grand Prix de la fondation Napoléon…
« Quand j’ai su que j’allais être nommé à la Commission, je me suis empressé d’envoyer les épreuves de mon prochain livre à Dominique de Villepin. Je ne voulais pas qu’il y ait de malentendu entre nous. » Car après avoir signé des livres « positifs » sur le général Dumas et le chevalier de Saint-George, deux héros d’origine antillaise, Ribbe publie en décembre prochain ce qui est sans doute le plus dur pamphlet jamais écrit contre Napoléon Ier.

Après des années de recherche, l’historien a rassemblé, sous le titre Le Crime de Napoléon*, un ensemble de faits accablants dont l’empereur est responsable : rétablissement de l’esclavage, déportations, noyades et gazages massifs dans des bateaux-étouffoirs des Nègres de Saint-Domingue, interdiction des mariages mixtes en France, établissement de « listes de Noirs » en vue de leur expulsion du sol français… sans oublier les esclaves antillais livrés vivants aux chiens et, sur un autre continent, le massacre massif d’Égyptiens pour mater la Révolte du Caire, en 1798. Napoléon auteur de crimes contre l’humanité, à l’instar de Staline ou de Hitler, lequel s’incline d’ailleurs, en couverture du livre, devant le tombeau de l’empereur aux Invalides !
Les deux cent cinquante pages du Crime… sont souvent édifiantes, parfois écoeurantes, et ont l’immense qualité de se lire comme un roman, ce qui est rarement le cas des livres d’histoire, surtout lorsqu’ils sont polémiques. Et, toujours, au fil des pages, le lecteur se pose cette même question : pourquoi les historiens n’ont-ils pas fait ces révélations plus tôt ? Par ignorance ? « Je crois qu’il y a eu une volonté de ne pas évoquer ces sujets parce qu’ils ne cadraient pas avec la légende. »
Et l’historien de passer le relais au philosophe : « Finalement, on en revient toujours au même débat. Faut-il dire les choses ou bien les taire ? Prenons l’exemple des banlieues : on a caché la vérité à tout le monde, en donnant de l’importance à des problèmes secondaires, comme celui du port du voile. Et on est en train de reproduire la même erreur avec les banlieues d’outre-mer. À force de ne pas écrire la vraie histoire des Antilles, elles vont s’enflammer. » La France devrait-elle faire acte de repentance sur la question de l’esclavage ? « Non. Attention à ne pas confondre la mémoire, qui est d’ordre scientifique, et la repentance, qui est d’ordre moral. Ce que les Antillais demandent, c’est que l’on cesse d’écrire dans les manuels d’histoire de la République que 1802 fut une année de paix. Car, pendant que la métropole vivait une période de calme, Napoléon faisait assassiner les habitants de Saint-Domingue. »

Pessimiste, Claude Ribbe ? « Je pourrais l’être, quand je vois la manière dont Dieudonné a pollué le débat sur le fond, en parlant au nom des Antillais alors qu’il est breton et camerounais. Tout mélanger est stupide : sait-il que, pendant la Seconde Guerre mondiale, Haïti a offert à tous les Juifs qui le demandaient un passeport haïtien, ce qui a permis à un grand nombre d’entre eux d’entrer aux États-Unis ? Sait-il qu’en guise de réciprocité tous les Haïtiens peuvent entrer facilement en Israël ? Moi, je suis très hostile au communautarisme. « Les Noirs », ça ne veut rien dire. Ce n’est pas parce que Dieudonné est noir qu’il est habilité à parler de l’esclavage. Ou alors, c’est que la France est vraiment un pays raciste, au sens littéral du terme. »

* Éditions Privé, 250 pages, 18 euros.