A l’épreuve des jeunes

Les chefs d’Etat qui se réuniront à Bamako les 3 et 4 décembre se pencheront sur la jeunesse du continent. Entendront-ils son désespoir et ses appels au secours ?

Publié le 28 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Une affiche sur fond jaune. Au premier plan, un jeune homme en costume-cravate travaille sur un ordinateur. Au-dessus, un vieillard en boubou s’exclame en le regardant : « Une raison de plus d’être fier de mon fils. » La campagne publicitaire est signée « Western Union », la société de transfert d’argent.
Les chefs d’État qui séjourneront à Bamako les 3 et 4 décembre pour le XXIIIe Sommet Afrique-France ne pourront certainement pas manquer les dizaines de placards qui vantent ainsi les mérites de ceux qui, partis loin du Mali, envoient de coquettes sommes à leurs familles. Ni ignorer le phénomène quand ils se pencheront sur le thème retenu pour leurs travaux : « la jeunesse africaine, sa vitalité, sa créativité et ses aspirations ». Les jeunes leur lancent un cri de désespoir : « Formez-nous et donnez-nous du travail si vous ne voulez pas qu’on parte ou qu’on aille mourir sur les barbelés de Melilla et Ceuta. » À la veille de l’ouverture du Sommet, auquel participera pour la première fois le commissaire européen au Développement Louis Michel, les événements tragiques du mois d’octobre dans ces enclaves espagnoles situées en territoire marocain occupent encore les esprits. Tout autant des dirigeants, qui tirent la sonnette d’alarme sur la fuite de leurs cerveaux, que des jeunes Africains. Ces derniers assistent impuissants à une mondialisation qui leur promet le bonheur sans qu’ils n’en voient jamais la couleur. « Ils rêvent de l’étranger toute la journée », constate un enseignant. Alors que les nantis, l’Europe, par exemple, s’attache à fermer leurs frontières. L’espace Schengen devient un eldorado d’autant plus attirant qu’il leur est inaccessible.
Dans leur « grain », le groupe d’amis qu’ils retrouvent tous les soirs dans leur quartier de Wololofobougou à Bamako, Moustapha, Philippe, Abib et Seydou chantent leur rap en anglais, en français ou en bambara. Jeans amples, casquettes de baseball, ils évoquent leur aîné franco-tchadien MC Solaar, parlent avec un accent plus proche de celui des banlieues parisiennes que de celui de Tombouctou, supportent l’Olympique de Marseille ou Manchester United, stigmatisent Nicolas Sarkozy qui les traite de « racaille » alors que « les mecs des banlieues françaises, ça pourrait être nous ». Ils aiment Jacques Chirac parce qu’il a instauré une taxe sur les billets d’avion pour développer l’Afrique, mais n’oublient pas qu’il a, un jour, parlé du « bruit et de l’odeur » des Africains. Et se disputent sur la politique ivoirienne. Bref, tous les soirs, ces jeunes Africains issus, comme ils le disent, de la mondialisation, rêvent d’un ailleurs idéal.
« Nous avons un vrai problème d’identité, explique Adam Maïga, 18 ans, ancienne présidente du Parlement malien des enfants. Le monde est en train de s’uniformiser à l’occidentale, et nous, on est perdus. » Elle a beau porter fièrement un joli boubou bleu, Adam, aujourd’hui en deuxième année d’informatique à Bamako, partira l’an prochain à Paris, pour étudier la communication ou la sociologie. « Les conditions d’études ne sont pas les mêmes. En France, je pourrai passer des heures dans les bibliothèques. Ici, il n’y a même pas de livres. » John Kenfack, 19 ans, camerounais, qui fait médecine : « Je veux faire ma spécialité en France. Là-bas, j’aurai les moyens d’exercer correctement mon métier. » Les études à l’étranger représentent souvent une nécessité pour les plus brillants puisque les universités offrent peu de diplômes de troisième cycle.
Les chefs d’État ne pourront se passer de dresser le triste constat qui s’impose sur le continent : la plupart des pays n’ont pas réussi à assurer l’éducation, même primaire, de leur jeunesse. Avec un taux moyen d’alphabétisation de 60 % en 2004, l’Afrique subsaharienne est à la traîne des pays en développement, dont la moyenne atteint 76 %. Certes, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. Tandis qu’à peine 20 % des 15-24 ans sont alphabétisés au Niger et au Burkina, 50 % des jeunes Sénégalais, 71 % des Angolais et 80 % des Kényans savent lire (chiffres « Éducation pour tous 2006 »).
Devant cet échec, les jeunes de moins de 25 ans, qui représentent aujourd’hui 60 % de la population totale en Afrique subsaharienne, accusent leurs dirigeants. « Ceux qui sont aux commandes ne doivent pas oublier qu’après eux d’autres personnes vont devoir se débrouiller avec les moyens qu’ils mettent en place aujourd’hui », affirme Adam Maïga. « La gestion des affaires au quotidien, ce n’est pas suffisant », se plaint un autre.
En participant à l’organisation du Forum de la jeunesse, début novembre, en prélude au sommet des chefs d’État, Moustaf Barry a pu constater à quel point la jeunesse africaine était motivée et ingénieuse. « Ils ont des tonnes d’idées. Ils connaissent leurs problèmes. Mais ils ne sont pas encadrés. » À la fois laissés à eux-mêmes, et en même temps bridés par les pouvoirs publics, ils naviguent à vue. Comme le souligne le rapport du Fonds des Nations unies pour la population 2005 (Fnuap), de nombreux programmes nationaux ou internationaux « sont centrés sur la santé des enfants et l’éducation primaire, mais les besoins des adolescents retiennent rarement l’attention. Les lacunes qui en résultent dans les politiques les privent souvent d’un appui qui leur serait fort nécessaire ». Au Mali, on a mis en place un Parlement des enfants ; au Kenya, un Conseil de la jeunesse, qui a l’oreille des autorités. Mais le fossé entre les générations est trop important pour qu’ils soient réellement écoutés.
Les questions qui troublent les jeunes restent souvent sans réponse de la part des adultes : les maladies sexuellement transmissibles, le mariage, la religion, la place des filles dans une société qui, officiellement, les met en avant, alors qu’en réalité elle les confine encore aux tâches ménagères et les laisse toujours dépendre des hommes pour survivre. Rien de tel à la télé, où les séries vantent amourettes et mariages de passion, avec des héroïnes indépendantes qui décident de leur vie sans contraintes.
Malgré les espoirs que fait naître la mondialisation, les jeunes ont l’impression de n’être pas nés à la bonne époque. Ils ont certes accès à une culture que les générations qui les ont précédés ignoraient. « Mon père avait quarante-cinq frères et soeurs, son père était chef de village et ne voulait pas qu’il aille à l’école, reconnaît John Kenfack. Il a fait ses études de médecine en cachette. Moi, c’est le mien qui me pousse à étudier. » Mais les idéaux se sont envolés. « L’ancienne génération croyait en l’avenir et y travaillait. Aujourd’hui, on ne croit plus en rien, l’individualisme prend le pas sur la communauté, la morale disparaît », explique un étudiant sénégalais.
Le thème du Sommet Afrique-France, c’est « du folklore », estime un jeune malien. « Une fois qu’ils seront repartis, on sera toujours au chômage. Les millions dépensés pour accueillir des chefs d’État seraient plus utiles à la formation de professeurs. » Des déclarations et des discours, il y en a déjà eu beaucoup, juge pour sa part Marie Tamoifo, la Camerounaise chargée de s’exprimer, au nom de tous les jeunes, devant le panel de dirigeants (voir p. 44). « On veut des actes qui nous redonnent confiance en notre continent ». Sera-t-elle entendue ?

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