Affaire Mahé : la thèse du crime gratuit

L’assassinat d’un coupeur de routes présumé, dans l’ouest du pays, par des éléments de l’armée française prend une nouvelle tournure. Loin des projecteurs.

Publié le 29 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

L’émotion médiatique et les postures ministérielles dissipées, l’affaire Firmin Mahé – du nom de cet Ivoirien de 30 ans assassiné de sang-froid par trois militaires français le 13 mai 2005 en pleine « zone de confiance » – suit désormais un autre cours, judiciaire et discret, loin des projecteurs. Jeudi 10 novembre, à la caserne 34, rue de Chaligny dans le 12e arrondissement de Paris, une première réunion a ainsi eu lieu entre la juge d’instruction du tribunal aux armées françaises Brigitte Raynaud, assistée d’un procureur du tribunal civil, et une délégation venue d’Abidjan conduite par le juge Ange Kessi, commissaire du gouvernement. Ce dernier était accompagné d’un procureur et d’un juge d’instruction, ainsi que d’un avocat camerounais installé à Paris et constitué par la famille de Firmin Mahé, Me Fabien Ndoumou. Sur la table des discussions : les premiers rapports d’enquête internes à l’armée française sur ce meurtre et notamment les aveux des assassins – lesquels auraient fait état de tortures infligées à Mahé avant sa mort par étouffement.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, les trois militaires coupables (l’adjudant-chef Rogel et deux hommes du rang) n’ont toujours pas été mis en examen – une mesure qui devrait intervenir dans les prochains jours, mais qui ne touchera pas (tout au moins dans l’immédiat) les trois officiers supérieurs responsables d’avoir « couvert » l’incident au point d’avaliser un rapport truqué. Les généraux Poncet et de Malaussène ainsi que le colonel Burgaud, tous trois blâmés par la ministre Michèle Alliot-Marie, conservent leurs nouvelles affectations. Parallèlement à ces inculpations, une partie essentielle va se jouer à Abidjan. Contrairement à ce que l’on a cru en effet, le corps de Firmin Mahé n’a pas disparu au fond d’une fosse commune de Man : il a été exhumé et se trouverait actuellement dans la capitale ivoirienne, entre les mains de l’armée française. Une expertise médico-légale, essentielle pour déterminer les causes exactes de la mort et déceler les traces de tortures préalables, aura lieu au cours des semaines à venir, ainsi qu’une reconstitution des faits. « J’examinerai son déroulement et ses conclusions, prévient Me Ndoumou. Et si je n’en suis pas satisfait, j’exigerai une contre-expertise internationale. » L’avocat camerounais va également demander à l’État français d’indemniser à la fois la famille de Firmin Mahé – laquelle s’est constituée partie civile sous la houlette d’un notable du village de Dah, Prince Dié -, sa compagne Judith et la communauté guérée à laquelle il appartenait. Enfin, Fabien Ndoumou compte bien profiter de l’occasion pour « réhabiliter la mémoire » du défunt. Une tâche difficile, tant la thèse du Mahé assassin récidiviste et violeur en série semble arranger tout le monde, y compris bien sûr l’armée française, qui voit là une sorte de circonstance atténuante au comportement inqualifiable de ses trois brebis galeuses.
« Firmin Mahé n’était ni un meurtrier ni un coupeur de routes », affirme l’avocat. Selon ses proches – et notamment son frère, Jacques Dahou, avec qui il vivait -, ce plombier-électricien père d’un garçon de 2 ans était un simple membre de la milice d’autodéfense de son village, comme il en existe tant dans l’Ouest ivoirien, mais rien de plus. « J’ai demandé une enquête de moralité, poursuit Me Ndoumou, et j’attends que l’état-major de l’opération Licorne me démontre, preuves à l’appui, son pedigree de criminel ; tous les médias ont repris cette version sans la moindre vérification. Auraient-ils procédé de cette manière s’il s’agissait d’un citoyen français ? » Outre le fait que, même dans le cas où Mahé était un délinquant, le contingent français n’avait aucun droit de l’interpeller – Licorne est une force d’interposition, non de maintien de l’ordre, et il n’entre pas dans ses prérogatives de se substituer à la police ivoirienne -, la thèse défendue par Me Ndoumou ouvre une autre perspective : celle du crime gratuit, commis hors de tout cadre menaçant, à l’encontre d’un individu ramassé au hasard au bord de la route. Un acte sordide auquel la « solution finale » utilisée – l’asphyxie à l’aide d’un sac en plastique – ajouterait une touche, assez effarante, de sadisme.

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