Un nouveau monde

Renforcement du Hezbollah, encouragement à l’accélération du programme nucléaire iranien, retour de la Syrie au premier plan : Israël et son allié américain ont perdu la guerre et beaucoup de poids dans la région.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 6 minutes.

Qui a gagné et qui a perdu ? Il semblerait que l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah sorte avec un regain de confiance de la guerre au Liban, alors que les États-Unis et Israël se retrouvent politiquement affaiblis, moralement atteints et fortement vulnérables à des opérations de guérilla. La guerre menée par Israël au Liban n’était pas une « guerre juste ». La capture, le 12 juillet, de deux soldats israéliens – que le Hezbollah espérait échanger contre des prisonniers libanais détenus dans les prisons israéliennes depuis près de trente ans – ne peut justifier la destruction du Liban. Brutale, gratuite et totalement disproportionnée, cette guerre a été planifiée avec Washington. Elle était destinée à anéantir le Hezbollah et à mettre en place à Beyrouth un gouvernement soumis à Israël et aux États-Unis. Mais elle était également destinée à affaiblir les parrains du Hezbollah, l’Iran et la Syrie, et peut-être à les menacer à leur tour d’une attaque. Elle a eu le résultat exactement inverse.
Une conséquence immédiate a été une augmentation du prestige du Hezbollah et de son chef charismatique, Hassan Nasrallah. Bien que ses combattants doivent bientôt évacuer la zone frontière – parallèlement au retrait d’Israël et à une arrivée progressive de l’armée libanaise et d’une Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) renforcée -, il est hautement improbable que le Hezbollah, en tant que mouvement politique armé, soit démantelé ou même désarmé – du moins pas dans un avenir immédiat. Israël s’y est cassé les dents, et ni le gouvernement libanais ni qui que ce soit d’autre n’a la volonté ni les moyens de s’y essayer. Les adversaires intérieurs du Hezbollah chercheront à lui imputer la responsabilité d’avoir provoqué une destruction massive de l’infrastructure du Liban et la mort de plus d’un millier de civils. Un million de réfugiés regagnent actuellement dans des conditions déplorables leurs villes et leurs villages ravagés. Principal représentant d’une communauté de 1,4 million de personnes, le Hezbollah devra nécessairement jouer un rôle majeur dans la reconstruction du Sud-Liban, de la vallée de la Beqaa et de la banlieue sud de Beyrouth dévastés par les bombardements israéliens. Loin de se détourner du Hezbollah, comme le réclament Israël et les États-Unis, la communauté chiite peut désormais revendiquer une participation plus importante aux affaires du pays. Il faudra peut-être adapter les institutions libanaises aux nouvelles réalités du pouvoir.
Par ailleurs, avant la guerre au Liban, l’Iran pouvait douter du bien-fondé de la fabrication d’une bombe nucléaire. Aujourd’hui, il doit sûrement être impatient d’acquérir la capacité de dissuasion que peuvent apporter les armes nucléaires. Après ce qui s’est passé au Liban, il est difficile de voir comment, ou par qui, le programme nucléaire iranien pourrait être suspendu ou, mieux, définitivement arrêté. Les journaux des États-Unis continuent à spéculer sur une frappe américaine qui détruirait les installations iraniennes, mais la plupart des experts excluent une aventure aussi risquée. Le président George Bush est peut-être ignorant et entêté, mais il n’est pas complètement fou. La guerre a également eu pour conséquence de sortir la Syrie de son isolement. La plupart des responsables politiques et des observateurs américains et européens – et même le ministre israélien de la Défense Amir Peretz – ont souligné la nécessité de faire participer la Syrie à tout accord permanent sur les conflits de la région.
La guerre a mis en exergue les deux conditions sine qua non d’une paix durable au Liban : la restitution du Golan à la Syrie et la reconnaissance du fait que la Syrie a un intérêt légitime à empêcher une puissance étrangère hostile de prendre pied au Liban, car cela représenterait une menace intolérable pour sa sécurité nationale. Le président Bush et le président Jacques Chirac ont, pour des raisons différentes, essayé d’exclure totalement la Syrie des affaires libanaises. La ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, leur a emboîté le pas : « La Syrie, a-t-elle affirmé, doit comprendre que le Liban a désormais rompu les ponts avec elle. » Ce sont de vains espoirs, contredits par la situation sur le terrain. C’est Israël qui ne doit plus désormais se mêler des affaires libanaises. En Israël, la classe politique est à la recherche d’un bouc émissaire sur lequel rejeter la responsabilité d’une guerre qui a sérieusement entamé sa réputation d’invincibilité militaire, ainsi que sa capacité de dissuasion. Israël a goûté à la situation dans laquelle se trouvent les Américains en Irak. Il y a d’autres conséquences, qui sont loin d’être négligeables et qui peut-être échappent encore à l’opinion publique israélienne. À quoi bon ce Mur de séparation d’un coût énorme, qui a été déclaré illégal par la Cour internationale de justice et qui rend la vie impossible aux Palestiniens, si les roquettes peuvent passer par-dessus ?
« L’unilatéralisme » du Premier ministre Ehoud Olmert – hérité d’Ariel Sharon, mais qu’il espérait poursuivre – est une autre victime du conflit. Le retrait unilatéral de Gaza, avec le maintien impitoyable du siège par Israël, a eu pour résultat les tirs de roquettes sur les villes israéliennes du Néguev. Les tentatives de destruction du gouvernement du Hamas démocratiquement élu ont eu pour résultat une forme de guerre. Bien que quelque deux cents Palestiniens aient été tués ces six dernières semaines, il n’y a aucun signe que le Hamas soit disposé à se rendre. Dans le même temps, le prétendu « plan de convergence » d’Olmert – la mainmise sur la Cisjordanie sans mot dire et sans négociations avec les Palestiniens – paraît moribond. Le gouvernement Olmert est-il condamné ? La débâcle bénéficiera-t-elle à la droite ou à la gauche ? Le chef d’état-major, le général Dan Haloutz, sera-t-il contraint de partir, comme le demandent plusieurs commentateurs ? En trente-quatre jours de guerre, son armée n’a pas réussi à arrêter les tirs de roquettes du Hezbollah, et son aviation tant vantée s’est rendue coupable de crimes de guerre.
Il n’y a jusqu’à présent aucun signe qu’Israël soit disposé à se confronter aux véritables questions posées par cette guerre. Continuera-t-il de se retirer du Liban, ou bien le persuadera-t-on de négocier avec les Palestiniens et la Syrie sur la base du principe terre contre paix de la résolution 242 de 1967 du Conseil de sécurité ? Cherchera-t-il à rétablir sa supériorité militaire absolue sur l’ensemble arabe de la région ou acceptera-t-il une forme d’équilibre du pouvoir – ou au moins d’équilibre de la dissuasion ? La réponse à ces questions dira si Israël pourra vivre en paix et en sécurité dans la région, ou bien s’il devra affronter une insurrection plus ou moins permanente.
Les puissances occidentales n’ont pas fait bonne figure dans la crise. La haine et le mépris pour l’Amérique sont plus forts que jamais. En retardant le cessez-le-feu pendant plus d’un mois pour permettre à Israël de « finir le travail », les États-Unis ont porté un coup mortel au Conseil de sécurité de l’ONU, au grand désespoir du secrétaire général, Kofi Annan. Rarement un leader mondial s’est ridiculisé autant que l’a fait le président George W. Bush en prétendant que les crises qui vont de l’Afghanistan à l’Irak et du Liban à Gaza sont un affrontement entre « le terrorisme et la liberté ». Sa conception de la liberté n’a semé que la mort. L’utilisation répétée du terme d’« islamo-fascisme » – emprunté aux likoudniks de Washington – a scandalisé le monde musulman. En Égypte, cinquante parlementaires exigent des excuses ! Il n’est malheureusement pas le leader capable de concevoir et de mettre en uvre le vaste et courageux plan de paix dont la région a si désespérément besoin. Quant à la Grande-Bretagne, en faisant cause commune avec les États-Unis et Israël, son Premier ministre Tony Blair s’est couvert de honte, lui et son pays. Sur le front intérieur, sa politique semble faire courir le risque d’attentats d’une partie fanatisée de la population musulmane. La France s’est nettement mieux comportée. Bien qu’elle se soit, dans un premier temps, alignée sur les États-Unis, elle a corrigé le tir pour tenir compte des objections libanaises. C’est ce qui a permis de négocier le compromis final avec les États-Unis, et de faire adopter la résolution 1701. À son initiative, un plan est en route pour le renforcement de la Finul.
Quant à la durée de la trêve actuelle, toute la question est de savoir si l’opinion, à Washington et en Israël, est prête à accepter et à assimiler les leçons géopolitiques de la guerre.

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