Tentation autoritaire

L’arrestation de plusieurs personnalités de l’opposition accusées d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État » laisse craindre un durcissement du pouvoir en place.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 5 minutes.

Domitien Ndayizeye, ancien président du Burundi, a été arrêté le 21 août, à Bujumbura, la capitale, alors qu’il sortait du bâtiment du Sénat. Son nom vient s’ajouter à la liste déjà longue de personnalités interpellées dès le 31 juillet pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’État ». En clair, un complot visant le président Pierre Nkurunziza. Parmi les hommes politiques incarcérés se trouvent notamment Alphonse-Marie Kadege, ancien vice-président, membre de l’Union pour le progrès national (Uprona, ex-parti unique, opposition) ; Alain Mugabarabona, chef des Forces nationales de libération (FNL-Icanzo, ex-rébellion, opposition) ; Déo Niyonzima, secrétaire général du Parti pour la réconciliation des peuples (PRP, opposition). Des soupçons pesaient également sur l’ancien président Pierre Buyoya, mais ils ont été levés. Le journaliste Alexis Sinduhije, responsable d’une radio privée très écoutée, avait, pour sa part, été arrêté avant d’être relâché.
S’agit-il d’un véritable complot ou d’une machination orchestrée par le gouvernement pour museler une opposition trop critique à son goût, comme certains le prétendent ? L’affaire laisse en tout cas perplexe. Pourtant, Pierre Nkurunziza, investi il y a juste un an, le 26 août 2005, après la large victoire électorale de son mouvement – le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), ex-principal mouvement de la rébellion dite hutue -, semblait bien parti. Sur le plan politique, il avait réussi à mettre en place un gouvernement d’ouverture, avec un savant dosage ethnique entre Hutus et Tutsis, hommes et femmes et différents partis. Une façon de rassembler afin de reconstruire un pays ruiné par de longues années de guerre civile. Et, surtout, de parvenir à une réelle réconciliation interethnique.
Le parcours du CNDD-FDD avant son accession au pouvoir aura été exemplaire. Il a réussi non seulement à marginaliser le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu, jusqu’alors première force politique du pays), mais aussi à intégrer une bonne partie de ses propres combattants au sein de la nouvelle armée burundaise, qui n’est plus dominée par les Tutsis, au point qu’ils en sont devenus la principale composante. Mais l’état de grâce semble passé pour un gouvernement qui, dès son entrée en fonctions, avait annoncé une mesure ultrapopulaire : la gratuité de l’enseignement à l’école primaire. Ou, cette année, la gratuité des accouchements dans les hôpitaux publics – les femmes démunies sont retenues en otages après la délivrance jusqu’au paiement des frais. Ou encore, plus symbolique, en juillet, la majoration des salaires des fonctionnaires de 15 % (le salaire mensuel moyen est de 30 dollars).
Aujourd’hui, le pouvoir est confronté à des difficultés majeures. Sur le plan sécuritaire, tout reste à faire tant qu’il n’y aura pas d’accord entre le gouvernement et le dernier groupe rebelle à n’avoir pas déposé les armes : le Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération (Palipehutu-FNL). L’insécurité criante retarde le retour de plus de 400 000 Burundais réfugiés dans les pays voisins, en Tanzanie pour l’essentiel. Autres handicaps : le manque de ressources pour relancer l’économie. Et la perte de crédibilité des dirigeants suite à des affaires de corruption. Le cas le plus évoqué concerne la vente, fin juin, de l’avion présidentiel, un Falcon 50, afin d’en acheter un autre, plus « sécurisant ». Seulement voilà, l’opération se serait déroulée dans des conditions douteuses. Sinon, comment expliquer la cession de l’appareil à un acheteur pour 3 millions de dollars, au moment où un autre soumissionnaire en offrait 5 millions ? Beaucoup pensent qu’il y a anguille sous roche. Plusieurs personnalités, dont le président du CDD-FDD, Hussein Radjabu, que d’aucuns considèrent comme le vrai maître du pays et qui est à l’origine de l’idée de l’achat d’un nouvel aéronef, seraient impliquées dans ce scandale. Et, pour ne rien arranger, la Banque mondiale, qui devait accorder quelque 70 millions de dollars au Burundi en soutien à son budget, vient de se rétracter ou, du moins, de différer sa décision. Et elle pose ses conditions : audit international sur les modalités de vente du Falcon et publication des résultats. Par ailleurs, l’Union européenne a gelé certains projets lancés avec Bujumbura. Elle réclame une enquête sur la disparition d’une somme de 5 millions d’euros – et sa restitution – dans le cadre de projets de réhabilitation du pays. Autre reproche adressé au pouvoir : l’attribution des marchés publics d’une manière illégale. La démission du CNDD, il y a cinq mois, de Mathias Basabose, ancien directeur de campagne de Pierre Nkurunziza, après des révélations fracassantes de malversations dans les cercles du pouvoir, est venue enfoncer le clou.
Mais les autorités burundaises estiment qu’elles sont victimes d’une campagne de dénigrement de la part de la presse et de l’opposition. Et se laissent aller à certains dérapages, provoquant des vagues de protestations à travers le pays. Qu’à cela ne tienne. Ramadhani Karenga, ministre de l’Information, de la Communication, des Relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement et l’une des personnalités les plus en vue du pouvoir, a tenu à rappeler aux ambassadeurs accrédités à Bujumbura qu’ils doivent tenir compte du fait que le gouvernement auquel il appartient a été « démocratiquement élu ». Une attitude jugée « arrogante » par un membre de la mission de l’Organisation des Nations unies (ONU) au Burundi. Cette dernière et la Belgique se sont d’ailleurs déclarées préoccupées par la situation et appellent le régime à respecter l’État de droit. Le pouvoir burundais préfère mettre en avant son triomphe électoral de 2005 plutôt que de se lancer dans un dialogue avec ses opposants. Or, sur le terrain, l’opposition représente quand même une force non négligeable. D’où la nécessité, notent les observateurs, d’instaurer un dialogue politique. Mais ils trouvent des circonstances atténuantes à l’équipe au pouvoir : manque d’expérience, formation parfois sommaire des dirigeants, apprentissage de la gestion
L’affaire du complot complique un peu plus la situation. Comment expliquer une connivence entre Domitien Ndayizeye – membre du Frodebu – et Alphonse-Marie Kadege, de l’Uprona, alors que les deux hommes n’ont jamais été amis, leurs divergences ayant éclaté au grand jour pendant la transition, les contraignant ainsi à se séparer ? Le gouvernement affirme détenir les preuves de la réalité du complot. Mais il tarde à les révéler. Pendant ce temps, certaines des personnes arrêtées affirment que leurs aveux leur ont été extorqués sous la torture. S’il est aujourd’hui un soupçon fondé, c’est celui de voir les autorités de Bujumbura succomber à la tentation autoritaire.

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