Retour au bercail

Conformément aux engagements pris en juin dernier, Abuja a entamé le retrait de ses troupes de la péninsule de Bakassi.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Calabar, sud-est du Nigeria, le 21 août dernier. Des soldats de l’armée nigériane défilent au « Brigadier U. J. Esuene Stadium ». Sous le regard du chef de l’état Olusegun Obasanjo et de son invité, le président rwandais Paul Kagamé, le « défilé de la paix » marque le retrait du Nigeria de la péninsule de Bakassi. Quatorze ans après que le général Sani Abacha a lancé les troupes fédérales à l’assaut des principaux îlots de cette péninsule disputée au Cameroun depuis un demi-siècle. Quatorze ans de combats sporadiques, de trêves émaillées d’attaques surprises, d’échanges de prisonniers, de bataille judiciaire et de médiation internationale. « L’histoire retiendra que nous avons choisi la paix et non la guerre, l’harmonie et non le désaccord, l’unité et l’amour et non la destruction et le chaos », déclare Obasanjo. Dans un discours aux accents lyriques, qui se veut rassurant à l’égard des ressortissants nigérians vivant à Bakassi (25 000 à 250 000 personnes, selon les saisons de pêche), il évoque les mesures consécutives au retrait : une nouvelle localité, qui s’étendra sur trois circonscriptions de l’État de Crossriver, à l’est du Nigeria, a été retenue pour accueillir les déplacés. Elle conservera le nom symbolique de « collectivité locale de Bakassi ». Un Fonds spécial a été mis en place par l’État fédéral pour indemniser ceux qui devront abandonner leurs habitations, leurs exploitations agricoles et leurs activités de pêche dans des eaux territoriales désormais camerounaises.
Bien que prévu par les accords de Greentree, signés le 12 juin dernier aux États-Unis, ce retrait du Nigeria a pris de court les opinions publiques des deux pays. Depuis l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye le 10 octobre 2002, le Nigeria avait pourtant multiplié les manuvres dilatoires. Entre rendez-vous manqués et promesses non tenues, il s’efforçait de différer l’exécution de cette décision, qui accordait la péninsule au Cameroun. Ce soudain revirement suscite donc des interrogations. Mais aussi des critiques.
Un éditorialiste du quotidien de Lagos The Guardian n’a pas manqué de souligner « la rapidité anormale » avec laquelle le gouvernement nigérian, « qui a la réputation de passer outre les actes de la Cour suprême de son propre pays, s’est conformé aux accords de Greentree ». Quant à l’opinion nigériane, depuis l’arrêt de la CIJ, elle a toujours le sentiment de s’être fait dérober cette péninsule de marécages et de mangroves potentiellement riches en ressources halieutiques et pétrolières. Avec l’envolée des cours du baril de pétrole, la pilule est encore plus difficile à avaler.
Côté camerounais, il a fallu que l’ambassadeur du Royaume-Uni à Yaoundé, Syd Maddicott, assure dans le quotidien privé Mutations avoir « vu, de [ses] propres yeux, partir le dernier soldat nigérian » pour contribuer à rassurer une opinion majoritairement sceptique. Si l’union sacrée autour de Bakassi tient toujours, quelques critiques à propos de l’accord de Greentree se font quand même entendre : pourquoi avoir autorisé les troupes nigérianes à rester sur 22 % des zones occupées pendant deux ans encore, et accordé sept ans à l’administration pour se retirer, au lieu d’exiger leur désengagement total et définitif ? Une longue transition au cours de laquelle on prête au Nigeria l’intention d’optimiser l’exploitation des réserves pétrolières. Ce qui contrarie l’espoir de voir l’apport de Bakassi rehausser la production pétrolière camerounaise, ou tout au moins juguler sa baisse.
Des attentes qui pourraient être déçues, tant il est à craindre que l’importance des réserves pétrolières de la péninsule ne soit exagérée. Selon Jean-Pierre Favennec, de l’Institut français du pétrole, « pour connaître les réserves, il faut faire de l’exploration. Elle est coûteuse et ne se fait que lorsque les conditions sont stables. C’est pourquoi les réserves de Bakassi sont mal connues. »
La rétrocession de la péninsule au Cameroun s’est concrétisée sous la forte pression internationale. Abuja a cédé à l’insistance conjointe du secrétaire général de l’ONU et du département d’État américain. Bien des raisons expliquent l’intervention de Washington, dont la moindre n’est pas, selon Jean-Pierre Favennec, le souci de sécuriser les approvisionnements américains en pétrole. Les réserves du golfe de Guinée sont estimées à 24 milliards de barils d’un brut de bonne qualité et d’accès facile. Et cette zone s’inscrit, très logiquement, dans la stratégie énergétique américaine.
Reste qu’un hasard de calendrier a favorisé le retrait nigérian. Kofi Annan à l’ONU et le président Obasanjo sont tous les deux en fin de mandat. Ils aimeraient bien porter la résolution de ce conflit au crédit de leur bilan. Et, pourquoi pas, l’ériger en modèle pour les litiges frontaliers de cette nature. Mais la résolution politique n’a pas tout réglé sur le terrain. Eu égard à la prolifération des milices, groupes armés nigérians et autres partis indépendantistes qui échappent au contrôle d’Abuja. Et qui semblent déterminés à obtenir leur part de la potentielle rente pétrolière.

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