Réconciliation : pari gagné ?

Aux termes de la Charte adoptée le 1er mars, les maquisards islamistes avaient jusqu’au 31 août pour déposer les armes en échange d’une « extinction des poursuites ». Bilan chiffré d’une politique du pardon.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 5 minutes.

Promulguée le 1er mars 2006, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale accorde un délai de six mois aux maquisards islamistes pour déposer les armes en échange de « l’extinction de poursuites judiciaires ». Ce délai expirant le 31 août, les semaines précédant cette échéance ont été marquées par une recrudescence des attentats et des actes de violence. Selon Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, le nombre de redditions durant cette période oscille entre 250 et 300. « Trop peu ! » affirment les détracteurs de la politique de pardon prônée par le président Abdelaziz Bouteflika. Ce à quoi ses partisans répliquent : « Cela représente près de 50 % des effectifs du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), principale organisation terroriste encore en activité. Ce qui est loin d’être négligeable. » Quant à l’observateur neutre, il retiendra que le nombre de redditions équivaut à celui des victimes de la violence islamiste depuis l’entrée en vigueur de la Charte. La rigueur impose toutefois une précision : plus de la moitié des « morts de la réconciliation » est constituée d’islamistes éliminés lors des multiples opérations de ratissage menées par les forces de sécurité contre les fiefs du GSPC en Kabylie, et dans les régions de Skikda et d’Annaba, à l’est du pays. Durant cette même période, les forces de l’ordre ont déploré la mort d’une centaine d’éléments, entre militaires, gendarmes et gardes communaux. Le nombre de civils tués demeure en constante baisse : moins de 10 % des pertes enregistrées les six derniers mois. « Moins de trente morts, cela est inférieur au nombre hebdomadaire de décès dus aux accidents de la circulation », lance, avec une pointe de cynisme, un commissaire de police.
La réconciliation nationale ne se limite pas seulement aux redditions de terroristes. C’est aussi l’élargissement d’islamistes incarcérés. Selon la presse locale, l’entrée en vigueur de la Charte a débouché sur la libération de plus de 2 200 détenus, condamnés ou en attente de jugement, pour des affaires liées à des activités terroristes. « Ce chiffre est fantaisiste, assure un officier supérieur chargé de la lutte antiterroriste. Le nombre exact de prisonniers élargis à ce jour [ces propos ont été recueillis le 26 juillet, NDLR] ne dépasse pas 850. » Certains parmi eux en ont-ils profité pour prendre la clé des champs, ou plutôt celle des maquis ? Notre interlocuteur est formel : « Nous n’avons enregistré aucun cas de ce type, même si la situation est différente de la période qui a suivi la Concorde civile. » Pour rappel, la Concorde civile, promulguée le 13 janvier 2000, est un processus similaire à la réconciliation nationale : une loi adoptée après un référendum, portant « grâce amnistiante » aux maquisards islamistes se rendant aux autorités. Toutefois, la Concorde civile avait fait suite à des tractations entamées trois ans auparavant, plus précisément en octobre 1997, entre les forces de l’ordre et l’Armée islamique du salut (AIS, branche militaire du front éponyme). Depuis, les maquisards s’étaient engagés dans un cessez-le-feu qui ne disait pas son nom. Ce qui n’est pas le cas pour la réconciliation nationale. « Les bénéficiaires de la Concorde civile, analyse notre interlocuteur, avaient profité d’une période de décompression au sein des organisations ayant renoncé à la violence. Aujourd’hui, la plupart des redditions se font à titre individuel, le plus souvent à l’insu des compagnons d’armes. Nous nous sommes retrouvés face à des cas où l’islamiste armé qui se rendait avait participé la veille à une attaque terroriste. C’est peut-être utile sur le plan du renseignement, mais désastreux pour une réintégration sociale rapide. » L’aspect psychologique est déterminant dans les situations de ce type. Faute d’encadrement, le gouvernement n’a pu mobiliser que 800 équipes de soutien psychologique. Insuffisant pour un conflit qui a fait, depuis 1992, plus de 150 000 morts, des millions d’orphelins et de handicapés à vie, et 6 146 disparus du fait des forces de l’ordre, selon un décompte établi par une organisation de défense des droits de l’homme.
La réconciliation nationale, c’est aussi une politique d’indemnisation pour les victimes de tous bords de la « tragédie nationale », formule officielle désignant les événements liés à l’insurrection islamiste. Chargée de cette question, une commission nationale a réceptionné plus de 40 000 dossiers et n’a pu en traiter que 5 000. « Notre tâche n’est pas simple, assure un magistrat membre de la commission. Nous ne nous contentons pas de recueillir les doléances des familles de victimes. Il faut nous assurer de la véracité de leurs propos, et les enquêtes ne sont pas des plus simples. » Mais Yazid Zerhouni se veut rassurant : « Les premiers virements du Trésor public sont programmés pour la première quinzaine du mois de septembre. La totalité des dossiers en cours devraient être traités avant le 31 décembre 2006. » Autre dimension sociale de la Charte : la réintégration des islamistes licenciés pour leur activité politique. Le ministre de l’Intérieur a assuré à la radio publique algérienne que quelque 840 fonctionnaires remerciés par l’administration ont retrouvé leur poste, sans préciser s’ils ont eu droit à des indemnités ou à des salaires rétroactifs.
La classe politique s’est très peu intéressée au bilan chiffré de la réconciliation nationale. Elle s’est passionnée pour un autre débat : faut-il proroger le délai au-delà du 31 août ? La première à poser la question fut Louisa Hanoune. La présidente du Parti des travailleurs (PT, trotskiste) a estimé, le 4 août, lors du Conseil national du PT, que les lenteurs constatées dans l’application de la Charte rendent cette échéance inappropriée : « La délicatesse de la situation nous impose de prendre tout notre temps. » Louisa Hanoune, « le seul homme politique de ce pays », selon la formule d’Ali Benhadj, chef de file des salafistes algériens, a été ouvertement soutenue par les islamistes d’El-Islah et du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, membres de l’Alliance présidentielle). Quant au FLN du Premier ministre Abdelaziz Belkhadem, il élude le débat par une pirouette. Lors du discours inaugural de son université d’été à Bejaïa, le 22 août, le chef du gouvernement a rappelé que la question du délai relève exclusivement des prérogatives du président de la République, affirmant au passage qu’« une politique de paix et de réconciliation ne peut être soumise à un délai. Nous dirons bienvenue à tous ceux qui voudront se repentir. Même s’ils le font après le 31 août. » Reste les principaux protagonistes de la réconciliation : les insurgés et les militaires. Les premiers continuent de souffler le chaud et le froid. Après avoir donné sa bénédiction à la réconciliation, à travers un communiqué publié sur Internet en mars 2006, Hassan Hattab, fondateur du GSPC et en retrait volontaire de sa direction depuis novembre 2003, s’est manifesté, le 20 août, toujours par le biais de la Toile, pour dénoncer « la traîtrise du pouvoir » et recommander aux « moudjahidine » de rejeter l’appel de Bouteflika. Une « ligne » relayée par une campagne d’affichage sauvage en Kabylie. Quant à l’état-major de l’armée, il poursuit avec méthode la lutte antiterroriste. L’échéance du 31 août ? « Ce n’est pas une obsession pour nous. Notre tâche nous oblige à nous concentrer sur les irréductibles, qui, eux aussi, n’en font pas une date particulière. »

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