Quand les puissants s’en mêlent

La grand-messe annuelle a fustigé l’inaction coupable de certains gouvernements, et a remis – enfin – au goût du jour le nécessaire travail de prévention et de formation.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Dix fois plus de séropositifs sous traitement en Afrique subsaharienne qu’il y a trois ans. Une décennie après l’apparition des trithérapies, au prix de nombreuses batailles commerciales, juridiques et politiques, les malades des pays en développement (PED) ont en effet accès, eux aussi, aux médicaments qui ont permis de stopper la spirale des décès au Nord.
Certes, les objectifs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui étaient de mettre 3 millions de personnes sous antirétroviraux (ARV) à la fin 2005, ne sont toujours pas atteints, un an après l’échéance du programme. Mais, comme le souligne Kevin de Cock, directeur du département VIH/sida à l’OMS, « ce programme a modifié pour toujours le paysage international du traitement du VIH ». Sans cette initiative, il n’y aurait pas aujourd’hui plus de 1 million de Subsahariens sous ARV.
Pas question toutefois d’estimer la bataille gagnée. Et c’est ce que se sont attelés à rappeler les 30 000 participants à la seizième Conférence internationale sur le sida, qui s’est tenue à Toronto, au Canada, du 13 au 18 août. En Afrique, 70 % des besoins ne sont pas encore couverts. Plus grave, la fourniture de médicaments n’est qu’un volet de la lutte contre le sida, qui doit être accompagnée d’une réelle volonté politique.
« Nous avons enfin compris que la santé est un préalable au développement, explique Michel Kazatchkine, ambassadeur de France en charge du sida et des maladies infectieuses. Désormais, la santé est à l’agenda du G8, parce qu’il s’agit d’un enjeu de stabilité politique. » Les personnages emblématiques de la conférence ne sont d’ailleurs plus des acteurs associatifs : Bill et Melinda Gates, d’une part, et Bill Clinton, d’autre part, tous armés de dollars, ont ravi la vedette aux militants des premières heures. Jusqu’ici engagés financièrement, ils prennent désormais pleinement part aux débats. Le couple Gates, dont la fondation dispose d’un budget de 76 milliards de dollars depuis la généreuse donation de Warren Buffett, a, quelques jours avant le début de la conférence, annoncé l’attribution de 500 millions de dollars sur cinq ans au Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Mais ils se sont également immiscés dans le débat sur la prévention, cher au cur de Melinda Gates. « Si vous vous opposez au préservatif, c’est que vous pensez qu’il y a quelque chose de plus important que la vie », a-t-elle ainsi déclaré, sans animosité ni colère, en ciblant sans doute directement le président George W. Bush, dont les financements bilatéraux privilégient quasi exclusivement les programmes de prévention prônant l’abstinence. Son époux Bill a exprimé son contentement « de constater, sur le terrain, que des progrès étaient réalisés grâce aux dollars du Fonds mondial ». Mais, a-t-il ajouté, « un meilleur travail de prévention est nécessaire ». Et de se prononcer en faveur du financement de la recherche sur les microbicides, ces gels que les femmes pourraient appliquer avant un rapport sexuel, qui tueraient le virus, et, avec lui, la question de l’acceptation ou non du préservatif. Une problématique d’autant plus cruciale en Afrique. « J’insiste, nous demandons au monde d’accélérer la recherche sur les nouveaux moyens de prévention, surtout pour les femmes. Une femme ne devrait pas avoir à demander la permission de son mari pour sauver sa vie », a-t-il alors lancé.
L’engagement des époux Gates a ramené le champ de la prévention au goût du jour, après de longues années d’absence au profit de la lutte pour l’accès aux traitements. Car, en effet, année après année, de nouvelles personnes sont contaminées : 4 millions pour la seule année 2005. Il s’agit donc bien d’un manque d’efficacité des politiques.
La lutte contre le sida devient chaque jour un peu plus politique, et aucun des acteurs d’importance ne tait dorénavant ses colères contre l’inaction des gouvernements.
L’Afrique du Sud a ainsi été particulièrement montrée du doigt. Il s’agit « du seul pays sur le continent dont le gouvernement continue à proférer des théories plus dignes de marginaux illuminés que d’un État préoccupé et capable de compassion », a déclaré Stephen Lewis, l’envoyé spécial des Nations unies, la voix chargée d’une émotion non feinte, en direction de Manto Tshabalala-Msimang, ministre de la Santé, qu’on a entendu plusieurs fois prôner un traitement à base de betterave, d’ail et de citron pour lutter contre le VIH. Et Lewis d’ajouter que le gouvernement de Thabo Mbeki restait « obtus, dilatoire et négligent dans la mise à disposition des traitements ». Pretoria a immédiatement, et « avec mépris », émis une réponse officielle, affirmant « fournir gratuitement des ARV à 134 000 personnes et ne pas comprendre le fondement de ses arguments ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur 5,5 millions de Sud-Africains séropositifs, 700 000 ont besoin d’ARV ; 600 à 800 d’entre eux meurent chaque jour des suites du VIH ; surtout, ce pays est celui comptant, en valeur absolue, le plus grand nombre de porteurs du virus. Les propos de Stephen Lewis ont d’ailleurs été repris par Mark Wainberg, scientifique canadien renommé et coprésident de la conférence, qui a, lui, exprimé son étonnement « qu’un gouvernement puisse rester au pouvoir malgré toutes les preuves de son incapacité phénoménale à assurer l’essentiel pour sa population ». Du jamais vu pour le gouvernement sud-africain, qui, s’il est très régulièrement critiqué par les militants des associations, a, cette fois, fait les frais d’une nouvelle catégorie d’activistes, née à Toronto : les puissants. En espérant que ces derniers n’oublient pas de venir en aide à ceux qui, sur le terrain, continuent la lutte de tous les jours.

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