Mitterrand l’Africain

À chaque fois que ses fonctions l’amènent à rencontrer le chef de l’État, Michel Roussin s’étonne de son lien profond, presque sentimental, avec l’Afrique subsaharienne.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 2 minutes.

Le président me convoque pour parler de l’Afrique. J’ai préparé cet entretien comme je l’aurais fait pour un grand oral. Face à lui, troublé, je me surprends à découvrir le décor de son bureau, à essayer d’identifier les personnages dont les photographies ornent la cheminée sans y parvenir ! Le président m’interroge, comme je m’y attends, avec cet air détaché et un peu hautain qui le caractérise. Certains sujets le préoccupent comme la Centrafrique, le Togo, déjà le Rwanda. [] Ensuite, après mes courtes réponses, c’est lui qui parle. Je lui demande s’il me permet de prendre des notes. On s’apercevra par la suite, lors de la parution de Verbatim, qu’il n’était pas un farouche partisan de cette pratique, mais il m’y autorise, comprenant sans doute que je suis un débutant. Il commence par une évocation détaillée de sa vie de ministre de la France d’outre-mer, m’explique que cela a été un moment important : « C’est de cette époque, de ces voyages qui duraient alors plusieurs semaines, que je tiens mon attachement pour l’Afrique. Je crois, voyez-vous, qu’il y a une vraie relation magique entre la France et l’Afrique. » []
Après le récit passionnant du président sur ses voyages en avion, mais surtout en train, à travers le continent noir, j’imagine le livre formidable qu’il pourrait écrire. Pendant qu’il raconte, il ne cesse d’observer ; mon bloc-notes semble l’intriguer. Juste avant de partir, alors que je le remercie, il me dit avec un petit sourire : « Vous savez, Monsieur Roussin, maintenant que vous êtes ministre, vous pourrez changer de bloc lorsque vous prendrez des notes. » Il ne lui a pas échappé que j’utilise encore des feuilles aux armoiries de la mairie de Paris, avec la nef rouge et bleu. L’entretien se termine sur ce trait d’humour très mitterrandien.
En juillet 1994, j’accompagne le président Mitterrand en Afrique du Sud. Son ancien directeur de cabinet, Gilles Ménage, patron d’EDF, conduit un programme d’électrification des townships.
Nous partons donc, au moment du coucher du soleil, célébrer avec le président Mandela et le président Mitterrand l’arrivée de l’électricité dans les ruelles au cours d’une balade sous les loupiotes, acclamés par les habitants.
Là, il faut rentrer dans une habitation pour voir l’éclairage fonctionner. Le président Mitterrand me fait signe de le suivre ; je m’échappe du dispositif de sécurité pour le rejoindre et pénétrer à l’intérieur d’un abri rudimentaire : deux conteneurs transformés en logement. Il y a là une vieille femme accroupie, une jeune mère, deux petits enfants qui jouent ; on découvre un lit pour seul mobilier, quelques récipients pour la cuisine. Alors la jeune mère qui nous reçoit élève le plus jeune de ses enfants à la hauteur du visage de Mandela, qui le prend dans ses bras et lui parle dans sa langue, sous la petite ampoule fragile diffusant enfin la lumière. Scène émouvante, presque biblique ! François Mitterrand me dit à cet instant : « N’oubliez jamais cette image »

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