Les dessous d’un accord

L’accord politique signé le 20 août à Lomé ouvre la voie de la normalisation entre pouvoir et opposition. Prochaine étape : la nomination d’un gouvernement d’union nationale, en attendant les législatives prévues pour 2007.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 7 minutes.

Les Togolais attendaient depuis une quinzaine d’années le règlement d’une crise politique qui avait fini par mettre leur pays à genoux. Il aura fallu un an au jeune président Faure Gnassingbé pour relancer le « dialogue intertogolais » et moins d’un mois à son homologue burkinabè, Blaise Compaoré, nommé médiateur, pour faire avaliser par le pouvoir et l’opposition un « accord politique global ». Le 20 août, à l’hôtel du 2 Février de Lomé, le document tant espéré, long de treize pages a été signé lors d’une cérémonie solennelle.
Le 25 juillet, après d’intenses tractations diplomatiques (voir J.A. n° 2377), la classe politique togolaise était tombée d’accord pour désigner Blaise Compaoré comme « facilitateur ». Après la mort de Gnassingbé Eyadéma, avec qui il entretenait des rapports houleux, le chef de l’État burkinabè n’avait pas attendu longtemps pour se rapprocher du fils, voire le prendre sous son aile. L’opposition togolaise ne voyait donc pas d’un bon il sa proximité avec le pouvoir, mais ne pouvait, sous la pression de l’Union européenne (UE), favorable à la médiation Compaoré, que se contenter d’imposer avec précision la feuille de route du médiateur. Il devait réunir un consensus sur la composition de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), le mode de scrutin et les conditions d’éligibilité. Des « points de désaccord » pendants, soulevés par l’Union des forces du changement (UFC) de Gilchrist Olympio et la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) de Léopold Gnininvi, pour se retirer des premiers pourparlers initiés au Togo du 21 avril au 6 juillet.
Avant d’entamer sa mission, le chef de l’État burkinabè prend langue avec ses pairs et les institutions intéressées au dossier, s’assure du soutien des uns et des autres, multiplie les coups de téléphone avec son homologue togolais, Faure Gnassingbé. Puis arrête une méthodologie en trois phases (écoute des parties, synthèse de leurs positions, plénière pour l’adoption de l’accord final) présentée aux différents protagonistes.
À partir du 8 août, il reçoit une à une à Ouagadougou des délégations du gouvernement, du Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir), des cinq partis d’opposition (UFC, CDPA, CAR, CPP et PDR) ainsi que de deux associations de la société civile (GF2D et RFAMPT) impliquées dans le dialogue politique. Il écoute les prétentions de chacun, mais fixe déjà des lignes rouges. Nul ne sera autorisé à contester, par exemple, l’élection de Faure Gnassingbé d’avril 2005.
Pour rapprocher les positions au cours de ce premier round, il se fait peu diplomate. Comme en témoigne un membre de la délégation de l’UFC : « Le militaire a quelque fois pris le dessus sur l’homme politique. Il est arrivé que Blaise Compaoré nous dise, sans prendre de gants : Sur ce point, vous ne pouvez pas obtenir ce que vous demandez. Soyez réalistes et faites-nous gagner du temps. » »
Après avoir obtenu quelques concessions de la part de l’opposition, le facilitateur reçoit Faure Gnassingbé le 15 août, le tient au courant des avancées et des points de blocage, puis le convainc de la nécessité d’accepter la formation d’un gouvernement d’union nationale et de réviser les conditions d’éligibilité. Le président togolais marche, mais formule une réserve : c’est le futur gouvernement qui aura le soin de réexaminer les préalables – fixés par la Constitution – à une candidature à la présidentielle.
Une première esquisse de l’accord élaborée par Compaoré est remise aux différentes parties réunies pour la première fois en plénière le 16 août. Pour l’heure, le facilitateur évite soigneusement d’engager les discussions.
Dès le lendemain, invité aux festivités du 46e anniversaire de l’indépendance du Gabon, il s’envole pour Libreville. Alors que son ministre des Affaires étrangères, Youssouf Ouédraogo, recueille les premières observations sur le projet d’accord politique, il met à profit son déplacement en Afrique centrale pour demander à Omar Bongo Ondimba d’intercéder auprès des opposants togolais qui, tel le plus illustre d’entre eux, Gilchrist Olympio, sont de fréquents visiteurs du palais du Bord de mer (voir encadré).
Le 18 au matin, Compaoré s’enferme avec les quarante-cinq délégués – chaque partie a été représentée par cinq personnes – dans l’immense salle principale du Centre de conférences international qui surplombe Ouaga 2000. Il se fait assister par quatre de ses collaborateurs : Youssouf Ouédraogo, Jean de Dieu Somda, le ministre délégué à la Coopération régionale, ainsi que ses conseillers Minata Samaté et Sadio Lamine Sow.
Alors que l’accord prend forme, un délégué de l’UFC lâche : « Le texte de l’accord nous satisfait pleinement. Sa dernière version recoupe toutes nos préoccupations. » Pensant subitement avoir trop donné, la partie gouvernementale se rebiffe. Le chef de la délégation du RPT, Fambaré Ouattara Natchaba, tente de revenir sur des concessions faites par le pouvoir togolais, notamment sur les conditions d’éligibilité. Compaoré recadre le débat, et les derniers réglages sont effectués au cours de la nuit par Youssouf Ouédraogo, omniprésent dans les couloirs de l’hôtel Sofitel de Ouaga 2000 où étaient logées toutes les délégations. Des coups de fil de son patron à Faure Gnassingbé et à d’autres de ses homologues font le reste. Le 19 août, « l’accord politique global » est paraphé, puis signé le lendemain à Lomé, en présence du facilitateur.
Riche d’une partie principale détaillée et de trois annexes, le document consacre des avancées majeures. L’opposition a fini par lâcher du lest sur la composition et le fonctionnement de la Ceni. Outre le principe de la formation d’un gouvernement d’union nationale « ouvert aux partis politiques et aux organisations de la société civile », le texte prévoit ainsi une commission de 19 membres (5 représentants de la mouvance présidentielle, 2 issus de chacun des cinq partis d’opposition, 2 de la société civile et 2 observateurs de l’administration) qui va gérer les élections à venir sur la base du consensus (et non par vote, comme le souhaitait l’UFC).
En échange, le pouvoir a concédé la révision des conditions d’éligibilité et quelques garanties sur le déroulement des scrutins : l’obligation de résidence au Togo est supprimée, tout comme l’interdiction de la double nationalité auparavant exigée des candidats à la députation. Sont également accordés la réduction du montant de la caution pour les futures élections, la présence d’observateurs internationaux à tous les stades des législatives prévues pour 2007, l’accès des partis aux médias et financements publics, la création d’une commission d’enquête sur les violences politiques et la mise en place d’un comité de suivi de l’accord.
Porteur d’espoir, « l’accord politique global » n’en laisse pas moins entières des questions de fond (seules des déclarations d’intention ont été faites sur l’armée) et réserve au gouvernement d’union nationale le soin de régler des questions délicates qui risquent de faire rebondir la crise. C’est à lui qu’il revient ainsi « d’opter » entre le scrutin proportionnel de liste aujourd’hui en vigueur – plus conforme aux intérêts électoraux du pouvoir – et le scrutin uninominal majoritaire à deux tours exigé par l’opposition. D’étudier des propositions de révision constitutionnelle touchant le régime politique, la nomination et les prérogatives du Premier ministre, les conditions d’éligibilité du président de la République, la durée et la limitation des mandats présidentiels, l’institution d’un Sénat et la réforme du Conseil constitutionnel. Prendre les dispositions pour garantir des « élections justes, libres et transparentes ».
Vaste chantier pour une équipe dont la simple formation risque de créer des difficultés. Blaise Compaoré l’a compris, qui s’est abstenu d’évoquer la répartition des postes.
Pour le seul choix du Premier ministre, plusieurs personnalités ont commencé à s’affronter avant que les délégations quittent Ouagadougou. Titulaire du poste depuis le 8 juin 2005, Edem Kodjo, leader de la Convergence patriotique panafricaine (CPP, une petite formation de l’opposition dite modérée), estime qu’il doit y rester, pour avoir cru avant les autres au dialogue politique et contribué à son approfondissement. Introduit dans beaucoup de palais africains (dont celui du « Guide » libyen Mouammar Kadhafi, proche du facilitateur), il active ses réseaux pour demeurer à la primature.
Face à lui, Yawovi Agboyibo, leader du Comité d’action pour le renouveau (CAR), estime que son heure est arrivée. N’a-t-il pas piloté les négociations sur « 80 % » des points de l’accord que le gouvernement d’union nationale devra mettre en uvre ? Ayant présidé, du 21 avril au 6 juillet, le « dialogue intertogolais » qui a débouché sur un « accord politique de base », il s’est à l’occasion beaucoup rapproché de Faure Gnassingbé et de ses principaux collaborateurs. Et estime être bien placé pour appliquer la feuille de route.
L’UFC, principale formation d’opposition, ne l’entend pas de cette oreille. Elle estime que le poste lui revient naturellement, compte tenu de sa place sur l’échiquier politique. Deux de ses ténors se livrent d’ores et déjà à une sourde rivalité pour l’occuper : l’un des vice-présidents, Patrick Lawson, et Eric Armerding, le conseiller spécial d’Olympio qui a conduit la délégation du parti à Ouagadougou et signé l’accord.
Après l’étape du choix du Premier ministre, il restera à déterminer la clé de répartition des postes ministériels. Des jeux d’appareil et des luttes de positionnement qui se feront sous les yeux d’une population blasée, appauvrie par plus d’une décennie de crise politique et de boycottage du pays par la communauté financière internationale. La mise en uvre de « l’accord politique global » constitue d’ailleurs un test crucial pour l’État togolais : elle conditionne la reprise totale de sa coopération avec l’UE, rompue en 1993 pour cause de « déficit démocratique ».

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