Le miroir aux alouettes

Des recruteurs peu scrupuleux attirent les jeunes talents d’Afrique en Europe. Sans se soucier ensuite de ceux qui restent sur le carreau.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Vanz a quitté son Cameroun natal il y a vingt et un mois. Il avait 16 ans. Jusqu’à son départ, il tapait dans le ballon avec les jeunes de son quartier dans un petit club de Douala, comme le font des millions d’adolescents africains. Par pur plaisir. Mais un jour, un agent dénicheur de talents est venu dire à ses parents qu’il allait devenir un grand champion et qu’il fallait absolument l’envoyer se former en Allemagne, dans un club de football professionnel. Pour acheter le billet d’avion (430 000 F CFA, soit 655 euros), il a fallu mettre toute la famille et le voisinage à contribution. Résultat ? Vanz est aujourd’hui « sans papiers ». Il vivote comme il peut à Paris et relate avec amertume son odyssée : « L’essai dans le club a duré quinze jours et ça n’a pas marché. Je me suis retrouvé dans la rue du jour au lendemain. On m’a juste donné un numéro de téléphone qui ne répondait jamais. Mon titre de séjour était périmé, et je n’avais pas de billet de retour. Comme je ne parlais pas un mot d’allemand, je me suis dit qu’en France je pourrai mieux me débrouiller. J’ai pris le train pour Paris sans payer le ticket. Le contrôleur m’a donné une contravention et il a continué son chemin. Je suis arrivé à Paris où je ne connaissais personne. J’ai dormi dans le métro. Je me suis nourri dans les magasins en cachette, et je ressortais très vite. Un jour, je suis allé jouer sur un stade, dans un quartier. Il y avait des Camerounais. Ce sont eux qui m’ont aidé. On m’a logé quelque temps. Un ami m’a fait connaître l’association Culture Foot Solidaire. Elle me donne des tickets de métro pour que je ne fraude pas tout le temps. Parfois aussi un peu d’argent pour survivre. Si seulement je pouvais rebondir ! Mais sans carte de séjour, c’est comme si on avait un pied dehors, un pied dedans : impossible de s’entraîner, personne ne vous accepte. Je voudrais rentrer au pays, mais je ne peux pas car mes parents ont une dette envers les voisins pour mon billet d’avion. Je sais qu’ils n’ont toujours pas réussi à rembourser. Ils comptent sur moi. J’ai honte. Pour l’instant, je suis hébergé. Je ne sais pas si ça va durer »
Que des jeunes gens africains soient enlevés à leur milieu par des agents véreux ou peu scrupuleux fait partie du quotidien dans ce monde du football, où sous les paillettes des grandes compétitions mondiales se cachent des dessous souvent sordides. Le cas de Vanz n’est pas isolé. Nul ne sait avec exactitude combien de mineurs se retrouvent sur le pavé en Europe, aux portes des clubs prestigieux qui les rejettent s’ils ne répondent pas à leur attente.
Au sein de l’association Culture Foot Solidaire, qu’il a créée en région parisienne, l’ancien joueur professionnel camerounais Jean-Claude Mbvoumin a déjà vu passer plus de six cents jeunes joueurs en détresse. Il a pris conscience du problème en 2001 et se bat depuis lors pour signer une convention avec l’État français. Il insiste sur la nécessité de réinsérer ces jeunes afin qu’ils ne tombent pas dans la délinquance.
Avec la multiplication des championnats continentaux ou mondiaux réservés aux moins de 17 et 20 ans, le foot est devenu une industrie d’exportation. Il réclame moins de joueurs confirmés mais davantage de jeunes talents. Ces derniers coûtent moins cher à l’achat et rapportent plus à la vente. Pour approvisionner les clubs européens, les nouveaux « négriers » vont puiser directement en Afrique dans le football de rue, les clubs de quartier ou encore les centres de formation informels, de plus en plus en vogue et dont la plupart n’ont qu’une vocation mercantile. Dans les milieux officiels, tout le monde ferme les yeux.
« Tous les coups sont permis, affirme Jean-Claude Mbvoumin. Un joueur adolescent arrive dans un club européen et personne ne se pose la question de savoir par quel mode de recrutement il est passé, encore moins comment il repartira si ça ne marche pas. Le football est un monde à part : il y règne la loi du silence. Les grands joueurs qui soutiennent notre action sont peu nombreux. Certains ont pris contact avec nous, tels que Cyrille Demoraud, le défenseur des Éléphants de Côte d’Ivoire, Eugène Ekobo, camerounais, milieu de terrain du Racing-Club de Strasbourg, et d’autres moins connus qui commencent à comprendre le sens de notre démarche et souhaitent qu’on aille plus loin. Nous avons aussi le soutien d’Aimé Jacquet, le directeur technique national de la Fédération française de foot [FFF]. »
Du côté des grosses pointures originaires d’Afrique, motus. « Ils ne sont pas toujours les mieux placés pour dénoncer ces pratiques, car on leur fait vite comprendre que s’ils revendiquent, on les mettra sur le banc de touche », regrette Mbvoumin. « Le marché européen du footballeur est pourtant fortement alimenté par les joueurs africains, et ceux-ci contribuent au rayonnement des clubs du Nord. On devrait être en mesure d’exiger plus d’équité en matière d’échanges. »
L’expatriation des talents africains au Nord pourrait en effet ramener des compétences et des financements pour restructurer le football en Afrique. Pour éviter les dérives, il faudrait donner aux clubs ainsi qu’aux écoles de football les moyens de mieux former les jeunes sur place et de les garder le plus longtemps possible à proximité de leur famille, à l’instar de ce que fait l’Académie Jean-Marc Guillou en Côte d’Ivoire et à Madagascar, ou encore l’Institut Diambars au Sénégal. Cela suppose que les pays africains obtiennent de la Fédération internationale de football association (Fifa) – qui en a les moyens – de meilleures retombées financières. Une association engagée dans le développement durable telle que l’est Culture Foot Solidaire souhaite fédérer les énergies, être une force de proposition et essayer de défendre au plus juste les intérêts des jeunes joueurs et de leurs familles. Tout un programme que l’association entend bien développer, via le projet de Maison du jeune footballeur qu’elle a créée à Douala et qui pourrait, si elle réussit son défi, servir de modèle.

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