Affaire Maurice Audin : la France amorce un virage mémoriel avec l’Algérie

Depuis le petit appartement dans lequel réside la veuve de Maurice Audin, le président français Emmanuel Macron a ouvert le 13 septembre une nouvelle page de l’histoire des relations franco-algériennes.

Maurice Audin, ici avec sa compagne, est mort durant la guerre d’Algérie le 11 juin 1957. © CC

Maurice Audin, ici avec sa compagne, est mort durant la guerre d’Algérie le 11 juin 1957. © CC

CRETOIS Jules

Publié le 13 septembre 2018 Lecture : 6 minutes.

La petite rue de Bagnolet, en banlieue parisienne, était envahie par les berlines de la présidence française et les caméras des télévisions le 13 septembre, aux alentours de 14 heures. C’est là que réside Josette Audin, âgée de 87 ans et veuve de Maurice Audin, ce mathématicien communiste et anticolonialiste assassiné par des parachutistes de l’armée française en 1957.

Dans un immeuble des plus classiques, dans un « petit appartement », selon les mots de Pierre Mansat, président de l’Association Maurice-Audin et ex-élu communiste interrogé par Jeune Afrique, le président français Emmanuel Macron est resté plus d’une heure en compagnie de Josette Audin, de sa fille Michèle et son fils Pierre Audin.

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Des historiens présents

Dans un geste historique, le président français a reconnu que Maurice Audin a bien été « torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile ». Jusqu’en 2014, la version française signifiait que le mathématicien avait trouvé la mort dans une tentative d’évasion. Le président français François Hollande avait reconnu que cette thèse n’était pas la bonne, sans pour autant se faire plus précis. « C’est à moi de vous demander pardon (…) On restaure un peu ce qui devait être fait (…) Vous n’avez jamais cédé pour faire reconnaître la vérité. La seule chose que je fais, c’est la reconnaître », a dit le chef d’État à Josette Audin.

En tête-à-tête durant une demi-heure, ils ont ensuite été rejoints par les députés Cédric Villani et Sébastien Jumel dans le salon de l’appartement, alors qu’une vingtaine de journalistes patientaient devant l’immeuble. Le premier est mathématicien. Il appartient à la majorité présidentielle et est également président du jury du prix de mathématiques Maurice-Audin et membre du groupe parlementaire d’amitié France-Algérie. Le deuxième est communiste. Depuis des décennies, son parti exigeait la vérité et accompagnait la veuve Audin dans son combat. Tous deux avaient tenu une conférence de presse commune sur l’affaire Audin en février 2018, relançant le débat sur le sujet.

 Une nouvelle page s’ouvre », a déclaré le président français

Étaient également conviés à assister aux discussions un journaliste de L’Humanité, quotidien de la gauche radicale française, très engagé sur l’affaire Audin ; mais aussi Pierre Mansat, ainsi que Me Claire Hocquet, avocate de la famille, Raphaëlle Branche et Sylvie Thenot, historiennes, et enfin, Benjamin Stora, historien français né à Constantine en 1950 et spécialiste connu de l’Algérie.

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Une déclaration soigneusement préparée

Ce dernier, qui avait accompagné Macron en Algérie lors de sa visite de travail en décembre 2017, a tenu à souligner l’importance du moment devant les caméras françaises : c’est « une nouvelle page » qui s’ouvre. Le président français innove en « dénonçant un système d’État », pointe l’historien et ancien militant révolutionnaire. En effet, la déclaration du président français publiée le 13 septembre s’apparente à un tournant.

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Emmanuel Macron reconnaît que la disparition d’Audin « a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement ». Ce système, poursuit la déclaration, « s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957. »

Pierre Mansat précise : « La déclaration a été longuement mûrie. Les historiens présents ce 13 septembre avec le président ont travaillé dessus. Des secteurs de l’armée et des anciens combattants ont été consultés en amont. Tout cela s’est avéré un vrai travail méticuleux. » C’est notamment Sylvain Faure, chargé du pôle « Discours et mémoire » à l’Élysée et l’un plus proches du président français, qui s’est chargé de la rédaction.

L’histoire de la violence coloniale s’est ainsi invitée ce 13 septembre jusque dans le petit écran des Français. Depuis Bagnolet, un envoyé spécial de la chaîne de télévision BFMTV détaille aux téléspectateurs la triste expression « corvée de bois ». Une formule utilisée pour désigner les exécutions sommaires de prisonniers algériens durant la guerre.

Entre Alger et Paris, le poids de l’histoire

L’histoire pèse toujours beaucoup sur les relations franco-algériennes. Ce n’est sans doute pas un hasard si Emmanuel Macron a tenu à être accompagné par Benjamin Stora pour rendre visite à Josette Audin et si la déclaration présidentielle, telle qu’envoyée à la presse, s’ouvre sur une citation sur la torture de l’historien Pierre Vidal-Naquet. Ce dernier est l’auteur d’un livre paru en 1958, L’Affaire Audin, dans lequel il affirmait que le jeune militant était mort sous la torture. Dès la nouvelle de la visite d’Emmanuel Macron à Josette Audin connue, le ministre algérien des Moudjahidine Tayeb Zitouni a d’ailleurs salué la décision du président français.

Et à la sortie de l’entrevue entre Emmanuel Macron et Josette Audin, le député Sébastien Jumel s’est réjoui devant les journalistes présents : « Voilà un événement qui fera date dans les relations entre la France et l’Algérie ! » Plusieurs présidents français s’étaient montrés particulièrement discrets au sujet de l’affaire Audin : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, qui n’avait pas pris la peine de répondre à un courrier de Josette Audin, ou plus lointain, François Mitterrand, qui était ministre de la Justice en 1957.

« Le but est bien sûr un travail commun avec Alger concernant les disparitions. Le travail mémoriel ne peut pas se faire sans dialogue et je pense que le président français prend cela en compte », assure Pierre Mansat. S’il a fallu attendre 2004 pour que Maurice Audin ait une place à son nom à Paris, il est en revanche honoré à Alger depuis des décennies.

Cette reconnaissance vise notamment à encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires », a indiqué Macron

La question des archives

En 2012, en visite à Alger, François Hollande avait reconnu la violence de la colonisation, et évoqué les massacres de Sétif, reconnus en 2005 durant la présidence de Jacques Chirac. Surtout, il avait appelé à une ouverture des archives de la Défense. Ce 13 septembre, Emmanuel Macron est revenu à la charge à ce chapitre : « Le travail de mémoire ne s’achève (…) pas avec cette déclaration. Cette reconnaissance vise notamment à encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires. Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’État qui concernent ce sujet ».

L’accès aux archives concernant la colonisation est un vieux débat. Par le passé, des promesses d’ouverture enthousiasmantes de prime abord se sont avérées décevantes. Pierre Mansat reconnaît la difficulté de s’orienter dans les archives : « Les archives sont un labyrinthe et pour s’y retrouver… Mieux vaut des professionnels. Le président français le sait et est conscient qu’il faudra encadrer leur ouverture pour la rendre effective. À nous aussi, société civile, d’être à la fois vigilants et actifs. »

Mais beaucoup veulent croire à un tournant réel de la part du chef de l’État français. Lors de sa visite en Algérie en décembre 2017, il s’était dit prêt à ce que Paris restitue les crânes d’insurgés algériens tués au XIXème siècle, conservés au Musée de l’Homme à Paris. Au grand dam de l’extrême droite et d’une partie de la droite, il avait aussi déclaré que la colonisation fut « un crime contre l’humanité ».

Dans la foulée de sa déclaration concernant Maurice Audin, le président français a d’ailleurs été vertement critiqué par Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, parti d’extrême droite : « Maurice Audin a caché des terroristes du FLN qui ont commis des attentats. Macron commet un acte de division, en pensant flatter les communistes. » Son père, Jean-Marie Le Pen, a combattu dans un régiment de parachutistes entre 1956 et 1957 en Algérie. La guerre d’Algérie n’est pas si lointaine…

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