Ces hommes qui ont le blues

L’émancipation des unes ne fait pas forcément le bonheur des autres.

Publié le 28 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Les Tunisiennes sont des femmes libres. Mais qu’en pensent les hommes et plus spécialement leurs maris ? Ils l’affirment haut et fort : ils sont fiers de leurs épouses. Et il va sans dire qu’ils prônent l’égalité des sexes. Mais, derrière le discours convenu, certains d’entre eux, sans dévoiler entièrement leur identité, ont bien voulu nous en dire un peu plus sur leur condition d’homme et de mari en Tunisie.
Pour Ahmed, 43 ans, médecin généraliste au Bardo, à Tunis, marié depuis dix ans et père de deux enfants, sa femme – chef de service dans une banque – est un modèle. « C’est une femme exceptionnelle, elle gère à la fois sa carrière et sa maison tout en suivant de très près la scolarité des enfants. » Et s’il lui arrive parfois d’être agacé par les heures supplémentaires qu’elle effectue le soir à la banque, Ahmed est très fier de son épouse. Son discours, empreint d’admiration, ne laisse transparaître aucun malaise, du moins en surface. Car, très vite, lorsqu’il s’agit d’évoquer sa vie familiale, l’enthousiasme d’Ahmed est nettement plus mesuré. « Bien sûr, il y a le revers de la médaille, lâche-t-il. Lorsque j’ai voulu un troisième enfant, ma femme a été catégorique : il n’en était pas question ! »
Les ambitions professionnelles de sa femme – qui désire accéder au poste de fondé de pouvoir – sont, pour elle, une priorité prenant le pas sur sa vie familiale. Même s’il en souffre, Ahmed n’ose pas en parler tant le sujet est sensible et presque tabou dans leur couple. Selon lui, pas de doute, la faute en incombe au planning familial, puisque, pendant des années, on a martelé aux femmes qu’il fallait limiter les naissances et se consacrer à leur travail. « Ma mère a eu six enfants, et aujourd’hui je dois supplier ma femme pour que nous ayons un troisième enfant », se désole Ahmed, qui continue néanmoins de soutenir sa femme dans la réalisation de ses ambitions.
Deuxième cas emblématique, celui d’Imed, 49 ans, avocat et mari comblé, du moins en apparence. Sa jeune femme, 35 ans, est à la tête d’une société offshore de confection de vêtements. « Avec nos deux salaires, on a enfin réalisé notre rêve : construire une villa dans la cité Nasr II à Tunis », précise-t-il. Mais l’amertume pointe : « Je suis le seul à en profiter. Ma femme n’est jamais là ! » À l’évidence, l’activité professionnelle de l’épouse d’Imed l’emporte sur sa vie privée. Milan, Paris, Alger elle multiplie les voyages pour prospecter de nouveaux marchés.
D’abord compréhensif, Imed avoue aujourd’hui être complètement dépassé par cette situation. Ses proches non plus ne cachent pas leur désarroi et ont du mal à comprendre les nombreux déplacements et le train de vie jugé excessif de la jeune femme qui, de surcroît, ne se décide pas à avoir un enfant. « Je ne trouve pas ma place d’homme et de mari au sein de mon couple », commente Imed. Et même s’il se dit « ouvert et tolérant », il pense en toute honnêteté que le principe de l’égalité des sexes ne lui convient pas. Il estime que les hommes tunisiens ont de plus en plus de mal à s’affirmer : « J’en connais même qui vont jusqu’à rester à la maison et à se faire entretenir par leur femme ». Et d’ajouter avec une pointe d’ironie : « Bientôt, il faudra leur [les femmes] demander la permission de sortir. »
Quand on l’interroge sur les droits de la femme, pas question pour ce fils d’enseignants de remettre en cause les acquis du Code du statut personnel et des différents textes qui ont suivi. Mais, pour Imed, comme pour beaucoup d’autres, il n’est pas facile d’abandonner les pouvoirs et les privilèges autrefois détenus par les hommes. Aujourd’hui, sans l’avouer ouvertement à sa femme et à son entourage, il se sent dévalorisé et diminué. « Je ne suis pas un macho, mais j’ai besoin d’un minimum d’autorité pour me sentir encore utile », avoue-t-il.
Il est aussi des situations extrêmes, comme celle de Lassaad, 39 ans, enseignant à l’université à Tunis, qui a décidé de tout sacrifier – par amour – et de suivre sa femme pour une nouvelle vie dans une nouvelle région. Et même s’il n’arrive toujours pas à trouver de poste universitaire à Sousse, il ne regrette pas son choix. Son épouse, à présent directrice d’un hôtel dans la région, subvient aux besoins du couple et des deux enfants. Le mari est catégorique : il assume parfaitement son rôle d’homme à la maison. Au début calme et serein, Lassaad se laisse pourtant submerger par l’émotion au cours de l’entretien. L’insoutenable, c’est le regard des autres : « Je ne supporte plus qu’ils me perçoivent comme un moins que rien. C’est la société qui aura raison de mon couple. » En cinquante ans, les femmes tunisiennes ont réussi à s’extraire du cocon familial dans lequel elles étaient cantonnées pour se hisser peu à peu à un niveau d’égalité avec les hommes. Une révolution qui n’est pas sans conséquences pour certains hommes qui, aujourd’hui, à leur tour, cherchent leur place dans la société.

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