[Tribune] Pourquoi le FMI se trompe de diagnostic au sujet de la dette africaine

Pour l’économiste Kako Nubukpo, la crise des finances publiques en Afrique révèle d’abord la difficile éclosion d’un État moderne, aux prises avec les douloureux arbitrages constitutifs de la recherche de l’intérêt général dans un contexte de faiblesse de la base productive.

Vue du logo du Fonds monétaire international. © Itsuo Inouye/AP/SIPA

Vue du logo du Fonds monétaire international. © Itsuo Inouye/AP/SIPA

  • Kako Nubukpo

    Économiste, commissaire chargé de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’Uemoa

Publié le 25 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Dans la dernière interview qu’elle a accordée au journal Jeune Afrique, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, déplore le risque de surendettement des États africains, quelques années seulement après la mise en œuvre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), qui a permis un effacement substantiel de la dette du continent.

Une telle récurrence dans le processus d’endettement de l’Afrique devrait conduire à rechercher les tendances lourdes expliquant cette « malédiction », en dehors des contingences conjoncturelles. Le premier facteur explicatif est le taux de pression fiscale (rapport entre les recettes fiscales et la richesse créée au cours d’une année) en Afrique subsaharienne, qui est structurellement bas : il tourne autour de 20 % du PIB, alors qu’il se situe au-dessus de 40 % dans la zone euro.

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Matraquage fiscal

Or, ce sont les ressources fiscales qui constituent l’essentiel des recettes des États, leur permettant de financer les dépenses publiques. Donc, qui dit taux de pression fiscale élevé dit a priori bonne couverture des dépenses publiques par les recettes correspondantes. Encore faudrait-il en face être en mesure d’offrir des services publics de qualité.

La double difficulté des États africains réside, d’une part, dans le fait que les agents et/ou activités imposables sont relativement faibles (on parle de l’étroitesse de l’assiette fiscale) alors même que les taux de prélèvement sont relativement élevés et, d’autre part, dans la faible performance des administrations fiscales dans la collecte des impôts (le rendement fiscal).

Résultat des courses, la classe moyenne africaine éprouve, à juste titre, le sentiment d’un matraquage fiscal, car elle est la seule à payer les impôts, dans un contexte de transition fiscale – qui voit la diminution de la fiscalité de porte (les douanes) au profit de la fiscalité directe – et de forte évasion fiscale, issue de la place disproportionnée d’un secteur informel peu ou mal fiscalisé dans l’activité économique.

>>> À LIRE – Afrique subsaharienne : le FMI s’inquiète du poids de la dette publique sur le développement

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Face à ce constat, les institutions de Bretton Woods tiennent un discours pour le moins ambigu : la Société financière internationale (IFC), organisme chargé du secteur privé au sein du Groupe de la Banque mondiale, semble applaudir la baisse de la fiscalité sur les entreprises, synonyme d’attractivité, qu’elle récompense annuellement par une hausse dans le classement « Doing Business », indice que les gouvernements africains surveillent comme de bons élèves disciplinés et érigent en alpha et oméga de la réussite de leurs politiques économiques et fiscales.

Dans le même temps, le FMI recommande fortement aux mêmes États de réduire, sinon d’annuler, les exonérations fiscales consenties aux entreprises, notamment étrangères, exonérations saluées par la Banque mondiale ! On jugera de ce paradoxe inextricable.

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Les États africains sont donc pris en étau entre l’impérative obtention de ressources fiscales, incontournables pour assumer leurs fonctions régaliennes et la nécessité d’exhiber à la face du monde une fiscalité souple, favorable aux investissements directs étrangers.

Démographie croissante

Le second facteur explicatif de l’endettement structurel africain est la forte demande sociale d’une population dont la taille double en moyenne tous les vingt-cinq ans. L’Afrique dispose d’une population jeune, en demande de santé, d’éducation, de formation et d’emploi. La transition démographique y est faible, et les besoins légitimes de cette population sont énormes.

Face à cette demande croissante du minimum vital, les ressources des États restent désespérément insuffisantes. Et c’est là que le bât blesse. En effet, au lieu d’accompagner la dynamique de demande des économies du continent, les institutions de Bretton Woods, au motif de la mauvaise gouvernance des États africains, ont préféré infliger à ces derniers une sérieuse cure d’austérité budgétaire à partir du début des années 1980 – dans le cadre des Programmes d’ajustements structurels –, dont l’échec a paradoxalement justifié sa continuation jusqu’à l’heure actuelle, nonobstant les innovations sémantiques dont le FMI, seul, a le secret.

Dans un contexte de récession, l’austérité budgétaire engendre une amplification de la récession économique et, partant, une baisse des recettes fiscales se soldant par une hausse de l’endettement

La crise des finances publiques en Afrique révèle d’abord la difficile éclosion d’un État moderne, aux prises avec les douloureux arbitrages constitutifs de la recherche de l’intérêt général dans un contexte de faiblesse de la base productive (persistance de l’insertion primaire au sein de l’économie-monde). Elle traduit ensuite les contradictions internes des partenaires au développement, pris eux-mêmes au piège de leurs lignes idéologiques respectives.

Cette crise dénote enfin, et c’est le plus grave, l’erreur persistante de diagnostic du FMI, déjà palpable au moment de la crise grecque en 2010-2012, erreur au demeurant reconnue par l’économiste en chef de cette institution, à l’époque, Olivier Blanchard, qui a admis avoir sous-estimé le niveau du multiplicateur budgétaire grec. Dans un contexte de récession, l’austérité budgétaire engendre une amplification de la récession économique et, partant, une baisse des recettes fiscales se soldant par une hausse de l’endettement.

Mme Lagarde ne devrait pas s’étonner du processus de réendettement récurrent des États africains aux prises avec un défi démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Elle et l’institution qu’elle a l’honneur de diriger se trompent de diagnostic : au lieu de tenter désespérément de réduire la demande pour la faire correspondre à la faible offre intérieure africaine, elles devraient au contraire contribuer à libérer la demande africaine, l’utiliser comme tracteur de la croissance, créatrice d’investissements productifs et d’emplois nombreux pour les jeunes.

Cela a déjà été tenté dans l’histoire du pays qui abrite le siège du FMI, les États-Unis d’Amérique, pour sortir le monde de la grande crise des années 1920 et 1930, on l’appela le New Deal. À la décharge de Mme Lagarde, Franklin D. Roosevelt n’était pas africain…

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