[Tribune] Il faut innover en matière de lutte antidrogue en Afrique de l’Ouest

Les lois actuellement en vigueur en Afrique de l’Ouest ne permettent pas une lutte antidrogue réellement efficace. C’est l’avis de Pedro Pires, ancien président du Cap-Vert et membre de la Commission ouest-africaine sur les drogues, et de Ruth Dreyfuss, ex-présidente de la Confédération suisse et présidente de la Commission globale de politiques en matières de drogues.

Une saisie de cocaïne à Agadez (illustration). © Francois Mori/AP/SIPA

Une saisie de cocaïne à Agadez (illustration). © Francois Mori/AP/SIPA

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  • Pedro Pires

    Pedro Pires est ancien président du Cap-Vert, membre de la Commission ouest-africaine sur les drogues.

Publié le 19 septembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Les lois actuelles sur les drogues en Afrique de l’Ouest sont loin de produire les résultats escomptés : les trafiquants font transiter par les côtes et le Sahara la cocaïne acheminée vers l’Europe, et la consommation locale ne cesse d’augmenter. Les réponses publiques fondées sur la prohibition sont non seulement un échec mais empirent, sans doute, la situation.

Le très regretté Kofi Annan, notre ami et collègue dans le plaidoyer pour de meilleures politiques en la matière, l’a bien résumé lorsqu’il a dit : « Les drogues ont détruit de nombreuses vies, mais les mauvaises politiques publiques en ont détruit bien plus. »

Si les « petits pays » peuvent montrer le chemin, ce n’est que grâce à des efforts concertés que l’Afrique de l’Ouest pourra faire la différence

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Cela ne peut plus durer. Nous devons moderniser les outils légaux pour mettre en œuvre des politiques qui permettent effectivement d’améliorer la santé et la sécurité des populations, et nous n’avons pas besoin d’attendre que les « grands pays » fassent le premier pas. Nous savons tous deux, par notre expérience d’anciens chefs d’État, que les « petits pays » peuvent faire la différence.

La Suisse a été l’un des premiers à innover dans l’offre de traitements et en matière de réduction des risques. Lorsqu’elle faisait face, dans les années 1980, à une épidémie de VIH, elle a autorisé la distribution d’équipements stériles et ouvert des salles de consommation supervisée. En près de trente ans, il n’y a pas eu un seul cas d’overdose dans ces lieux, et la politique suisse en la matière est aujourd’hui considérée comme un succès.

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L’archipel du Cap-Vert, de par sa situation géographique, attire les organisations criminelles, qui y transbordent de la cocaïne en provenance des Amériques et en route pour l’Europe. Le Cap-Vert a donc mis en place une police judiciaire qui porte l’accent sur des méthodes d’investigation avancées.

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Depuis 2011, elle a démantelé des réseaux de trafiquants et empêché des dizaines de millions de dollars de cocaïne d’arriver sur le continent. Les lois contre le blanchiment ont également été renforcées en 2009. Le gouvernement est décidé à contrecarrer les organisations criminelles aussi tôt que possible, pour les empêcher de se consolider.

Si les « petits pays » peuvent montrer le chemin, ce n’est que grâce à des efforts concertés que l’Afrique de l’Ouest pourra faire la différence. Le 11 septembre, à Dakar, la Commission ouest-africaine sur les drogues a présenté une loi type pour la sous-région, dont différents États peuvent s’inspirer pour réformer leur législation. Ce texte recommande la dépénalisation de la consommation et de la possession pour usage personnel.

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Elle suggère également de protéger les médecins afin qu’ils puissent prescrire, en cas de besoin, morphine et méthadone sans craindre d’être poursuivis en justice. Enfin, elle conseille de renoncer aux peines disproportionnées pour des délits mineurs et de permettre aux juges de tenir compte de circonstances atténuantes. Dans certains pays de la région, la consommation de drogues est punie plus sévèrement que le viol, et le trafic, même à petite échelle, plus sévèrement que le meurtre, sans que cela ait d’effets dissuasifs.

Une harmonisation des législations donnerait toutefois plus d’efficacité aux actions publiques

La région connaît aussi des bonnes pratiques pouvant servir d’exemples. Au Sénégal, le gouvernement soutient la réduction des risques, et les personnes dépendantes à l’héroïne peuvent bénéficier d’un traitement de substitution à la méthadone dans une clinique de Dakar.

Au Ghana, le Parlement débat d’une loi qui renoncerait à punir ceux qui sont arrêtés pour la première fois en possession de substances illicites. Au Burkina Faso, le dialogue entre les autorités et les organisations de la société civile actives dans le domaine est institutionnalisé.

Une harmonisation des législations donnerait toutefois plus d’efficacité aux actions publiques. La loi type constitue un outil pour développer une telle approche, positive en matière de santé et de sécurité, et qui permet une meilleure allocation des ressources de l’État tout en renforçant la confiance de la population envers les autorités. Nous appelons tous les pays à s’engager dans cette voie.

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