RCD, voyage à l’intérieur du parti-État

À l’occasion de son 5e congrès organisé du 30 juillet au 2 août, le parti au pouvoir va souffler ses vingt bougies. Comment fonctionne-t-il ? Qui sont ses hommes clés ? Quelles en ont été les évolutions ? Immersion au coeur du système Ben Ali.

Publié le 28 juillet 2008 Lecture : 8 minutes.

Les dés sont jetés. À quinze mois de la prochaine présidentielle, la scène politique tunisienne s’apprête enfin à vivre sa campagne électorale. Zine el-Abidine Ben Ali, 71 ans, annoncera en effet, le 30 juillet, devant les quatre mille congressistes du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir), qu’il accepte de se porter candidat à un cinquième mandat à la tête de son parti et de l’État – deux structures qui se confondent en Tunisie depuis 1956 – pour la période 2009-2014. Selon les termes de l’actuelle Constitution, qui limite l’âge du futur président à 75 ans lors du dépôt de sa candidature, il devrait s’agir de son dernier quinquennat. Une période au cours de laquelle certains ne devraient pas manquer de se positionner avec habileté dans la course à sa successionÂÂÂ Avec cette annonce, le chef de l’État répondra ainsi au souhait de tous les comités de femmes, de jeunes, de professionnels ou de sportifs qui, depuis deux ans, le prient de briguer à nouveau ces deux fonctions.
Le RCD réunira son 5e congrès du 30 juillet au 2 août, dans l’immense centre des expositions du Kram, à mi-chemin entre le centre-ville de Tunis et le palais présidentiel de Carthage. L’événement sera célébré en grande pompe, car il fêtera le vingtième anniversaire de la création du parti, en 1988. Un parti aujourd’hui plus puissant que jamais : avec plus de 2,2 millions d’adhérents (soit un adulte sur quatre) et près de 8 700 cellules de base réparties sur l’ensemble du territoire tunisien, il compte presque deux fois plus de militants qu’au soir du 7 novembre 1987, date du « Changement » à la tête de l’État et de l’accession de Ben Ali à la présidence de la République.
Cette puissance, le RCD la doit à l’effet d’attraction qu’il exerce sur les citoyens et les chefs d’entreprise tunisiens. Ceux-ci y adhèrent en masse pour se rapprocher du sommet de l’État, mais aussi militer contre tous les courants extrémistes (gauchistes ou islamistes) ou, de façon plus matérielle, faciliter leur vie quotidienne. Le possesseur de la carte du parti peut se voir ouvrir des portes, grandes ou petites (accès au monde des affaires, à l’aide humanitaire distribuée par les cellules du parti, etc.) qui lui resteraient fermées s’il ne disposait pas du précieux sésame. « Pour ceux qui n’ont aucun piston, le RCD est devenu le meilleur ascenseur social du pays », explique ainsi l’un de ses cadres, qui souhaite garder l’anonymat*.

Coquille vide ou bloc uni ?
Si les contempteurs du RCD en fustigent les procédés, le système de parti unique et les moyens financiers (dont témoignerait son imposant siège de 17 étages qui trône au beau milieu de l’avenue Mohammed-V, à Tunis), force est toutefois de constater que cette formation est aussi une véritable machine de guerre qui travaille, inlassablement, à la conservation du pouvoir. Tout le pouvoirÂÂÂ « Du prix de la pomme de terre à la pénurie de beurre ou de riz, du plus petit incident à la moindre rumeur, rien ne nous échappe. L’information remonte. Elle est discutée dans les cellules, les comités, les fédérations, et jusqu’au siège du parti. Elle est analysée puis exploitée dans nos débats et dans les choix que nous faisons. S’il y a des débats au RCD, toute résolution adoptée devient celle de tous. Chez nous, il n’y a pas de courants officiels, comme à l’époque du Parti socialiste destourien (PSD). Nous constituons un bloc uni », explique un responsable. Le RCD ne serait donc pas la « coquille vide » que d’aucuns se plaisent à présenter comme le responsable de tous les maux qui touchent la démocratie tunisienne encore naissante. Elle serait, au contraire, « une coquille qui bouillonne de l’intérieur, mais pourvue d’une carapace opaque et solide comme un roc ».
Le RCD serait donc très différent du PSD (1964-1987), son ancêtre dirigé par le premier président de la République tunisienne, Habib Bourguiba. Héritier de la bataille pour l’indépendance et fort de la gloire de son principal animateur, le PSD avait fini par tout écraser. Parti unique de 1963 à 1981, il s’était enlisé, par la suite, dans l’adoption successive d’idées antinomiques, socialistes d’abord, libérales ensuite, saupoudrées d’une volonté d’ouverture démocratique à laquelle a répondu, plus tard, une intense répression autoritaire. Dirigé par un président charismatique, il n’a finalement pas su se sortir des luttes de clans internes qu’ont attisées d’abord les maladies de Bourguiba, dans les années 1970, puis ses sautes d’humeur, et enfin sa vieillesse, dans les années 1980. Le PSD est resté enfermé dans sa logorrhée stalinienne, son refus d’ouvrir le jeu politique aux voix discordantes et son aveuglement face à la montée du péril islamiste et à la contestation de la jeunesse. Quant à la répression policière et aux opérations de la milice du parti, elles n’ont fait qu’exacerber les tensions, jusqu’au sommet de l’État : le Premier ministre était à peine nommé qu’il ne pouvait exercer la moindre de ses prérogatives, à l’exception de celle consistant à sévir contre tous les opposants.

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« Plus ÂÂÂÂÂÂbenaliste » que moi, tu meurs ! »
Enfin, voulu par Bourguiba lui-même, un article de la Constitution permettait, à l’époque, au Premier ministre de succéder en toute légalité au président de la République, à condition que son incapacité à exercer pleinement ses fonctions ait été constatée. Contrairement à ses prédécesseurs, seul Ben Ali a eu le courage de lui dire qu’il n’avait plus les capacités requises pour être le maître absolu à CarthageÂÂÂ
Mais il faut véritablement attendre la mise à l’écart de Bourguiba pour que le PSD – devenu RCD en février 1988 – parvienne à faire son autocritique. Elle était alors devenue obligatoireÂÂÂ « La situation politique était dans l’impasse, la situation économique désastreuse et la situation sociale au bord de l’explosion. Les partisans de l’extrémisme religieux, de la violence et du terrorisme opéraient au grand jour. Le PSD, exsangue, malade de la sénilité de son président et de la vacance au sommet de l’État n’était plus qu’une machine essoufflée, qui avait perdu toute influence et toute crédibilité », peut-on lire aujourd’hui dans l’historique du parti au pouvoir, pour qui le PSD était aussi tombé dans « la paralysie » et connaissait un « dépérissement de ses valeurs morales, [un] déclin de son rayonnement », et souffrait de « l’opportunisme de ses militants ».
Dès sa création, le RCD se restructure de fond en comble, ses cadres se renouvellent, sa force de mobilisation se renforce par une démultiplication des « cellules de base », sa présence sur le plan intellectuel s’affirme (notamment par l’organisation de symposiums annuels et d’universités d’été régionales et nationales), et son action sociale – qui complète ou se substitue à celle du gouvernement – s’élargit (création de caravanes de la santé, d’aides scolaires et aux familles démunies). Bref, il devient un parti qui s’adresse aux masses populaires et non plus seulement aux élites, comme à l’époque de Bourguiba. Les femmes et les jeunes y trouvent une place plus grande et sont mieux accueillis. Toutes ces avancées sociales donnent naissance à un véritable culte de la personnalité de Ben Ali : tout émane du président et tout dépend de luiÂÂÂ
Reste que s’il consolide ses structures, le RCD a encore beaucoup à faire pour mettre la Tunisie sur la voie d’une démocratisation effective et irréversible. Au sein de l’administration comme du parti, la compétition se déroule davantage sur le champ de l’allégeance (« Plus ÂÂÂbenalisteÂÂÂ que moi, tu meurs ! ») que sur celui des compétences, davantage sur celui de la propagande que sur celui de la communication ou de la vérité. Ses membres ne font que céder aux décisions d’un président qui, faute d’opposition forte, grignote le pouvoir de sa propre formation, en donnant plus de places à ses adversairesÂÂÂ à condition qu’ils ne contestent pas sa légitimité. Dans la nouvelle Assemblée nationale qui sera élue en octobre 2009 et dans les nouveaux conseils municipaux qui sortiront des urnes lors des municipales de 2010, l’opposition aura ainsi droit à 25 % des sièges, contre 20 % aujourd’hui, et les femmes à 30 % des sièges (contre 22 % actuellement).
Les risques de sclérose ne sont pas à écarter non plus. Dans un discours-bilan prononcé le 15 juillet dernier, le premier vice-président du RCD, Hamed Karoui, a déploré le rôle de son comité central, qui, selon lui, n’a pas suffisamment apporté d’idées neuves ces cinq dernières années. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le chef de l’État a décidé qu’une soixantaine de jeunes de moins de 30 ans l’intégreront lors du 5e congrès. Karoui s’est en outre inquiété de la démultiplication des structures du parti, au détriment de ses organes centraux, qui s’en trouveraient, du même coup, affaiblis.
Pour qu’elle soit complète, l’ouverture démocratique devrait enfin s’accompagner d’une plus grande libéralisation de la presse (un vÂÂÂu souvent renouvelé par Ben Ali, mais non encore exaucé), d’une plus grande capacité à l’autocritique du RCD, et de sanctions publiques à l’encontre des auteurs de toute forme d’abus et d’injustices. Ainsi, le pays ne verrait pas son image « globalement positive » régulièrement ternie, comme ce fut encore le cas récemment à cause des événements du bassin minier de Gafsa. Au départ banale affaire de malversation dans le recrutement d’une entreprise publique de la région, l’affaire, relayée par Internet après plusieurs mois de mutisme et de mauvaise gestion du pouvoir, a fini par dégénérer en un conflit ouvert entre l’armée et la police d’un côté, des jeunes désÂÂÂuvrés et des familles désemparées, de l’autre.
Les six années qui se profilent dans le ciel tunisien s’annoncent donc décisives pour le pays. Elles devront notamment répondre aux défis du pouvoir d’achat et de l’emploi par de nombreuses réformes : quelque 100 000 jeunes vont effectivement arriver chaque année sur le marché du travail pendant cette période. Réussies, elles permettront d’assurer une transition démocratique en douceur et de léguer à l’Histoire une image du RCD bien plus avantageuse que celle laissée par le défunt PSDÂÂÂ Ratées, elles donneront sans doute l’impression d’un véritable gâchis.

* Simple militant de base ou cadre bien introduit dans le parti, toutes les personnes interrogées pour la réalisation de cet article ont requis l’anonymat. Les autorités du RCD ont par ailleurs été sollicitées dès le mois de juin pour des entretiens officielsÂÂÂ En vain.

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