Que fait Konaré ?

Publié le 28 juillet 2008 Lecture : 7 minutes.

Depuis qu’il est revenu, le 29 avril, à Bamako, l’ex-président de la Commission de l’Union africaine s’est astreint à une obligation de réserve et s’enferme dans un mutisme qui ne lui ressemble pas… Qui voit-il et comment juge-t-il la situation du pays qu’il a dirigé de 1992 à 2002 ?
Le 28 avril 2008, à l’issue de la cérémonie de passation de services avec son successeur, le Gabonais Jean Ping, à la tête de la Commission de l’Union africaine (UA), le professeur Alpha Oumar Konaré a quitté Addis-Abeba pour retourner dans son pays. Nul comité d’accueil pour son arrivée nocturne à l’aéroport international de Bamako-Sénou. Pas le moindre représentant du gouvernement malien ni un quelconque émissaire de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema, première force politique), parti qu’il avait fondé en 1991 pour encadrer son combat pour la démocratie dans son pays.
Ingratitude de ses anciens compagnons de lutte contre le régime militaire de Moussa Traoré ? Méprise de la part de son successeur à Koulouba, le président Amadou Toumani Touré ? Indifférence de l’opinion malienne à l’égard de celui qu’elle avait, à deux reprises (en 1992 et en 1997), choisi pour diriger la première décennie du Mali nouveau ? « Rien de tout cela, assure Madeira Diallo, secrétaire particulier d’Alpha Oumar Konaré depuis toujours. C’est sur l’insistance du président qu’aucune manifestation d’hommage ne lui a été rendue à son retour à Bamako. »
Cette discrétion s’est peu à peu transformée en un mutisme qui contraste avec la réputation du personnage, peu habitué à la réserve quand il s’agit de défendre ses principes démocratiques, ses valeurs panafricaines et ses obsessions intégrationnistes. Les médias qui ont tenté de recueillir son opinion à propos des grands dossiers de l’heure, qu’il s’agisse d’affaires maliennes ou de crises africaines, ont été gentiment éconduits.

Protection rapprochée
À Titibougou, dans la banlieue de Bamako, sur la route de Koulikoro, les visiteurs du superbe complexe résidentiel édifié sur les bords du Djoliba se comptent sur les doigts d’une main. L’ancien président du Mali et ex-président de la Commission de l’UA y passe le plus clair de son temps, en compagnie de ses petits-enfants, Alpha junior et Adam, fils et fille de son gendre Tiébilé Dramé, président du Parti pour la renaissance africaine (Parena, opposition).
Bénéficiant des privilèges accordés aux anciens présidents de la République, au même titre que Moussa Traoré – réhabilité par ATT après avoir été gracié en 2002, échappant ainsi à la peine capitale prononcée à son encontre pour crimes politiques et économiques -, AOK dispose d’une protection rapprochée, d’un personnel de maison et de plusieurs véhicules mis à sa disposition. En outre, sa résidence de Titibougou est sous la protection d’une compagnie de la garde nationale.
Hormis un voyage, en mai 2008, en Arabie saoudite, pour une omra (« petit pèlerinage ») en compagnie de son épouse, l’historienne Adam Ba, le professeur Alpha Oumar Konaré évite toute apparition ou déclaration publiques. Le 11 juillet, toutefois, il est sorti de son silence. Il a choisi le quotidien bamakois Les Échos, qu’il a fondé il y a près de vingt ans et qui est dirigé aujourd’hui par Alexis Kalembry, pour rendre public un communiqué réaffirmant que l’élection présidentielle, prévue en 2012, n’était nullement dans son agenda, contrairement à ce qu’affirmait un mystérieux Comité de soutien à Alpha (CSA) qui militerait pour une révision de la Constitution afin de permettre à l’ancien chef de l’État de briguer un nouveau mandat.
Personne n’avait entendu parler du CSA. Aucun nom n’y est accolé. L’énigme est totale. S’agit-il d’un ballon-sonde pour évaluer les chances de succès d’un retour d’Alpha aux affaires, comme ne cessent de le marteler ses adversaires ? Une manÂÂÂuvre du pouvoir pour mettre dans l’embarras le paisible retraité, comme le proclament les détracteurs d’ATT ?
Quelles qu’en soient les motivations, le démenti du 11 juillet confirme ce qu’Alpha nous annonçait le 1er février 2008, quelques heures après l’élection de son successeur à la présidence de la Commission de l’UA. « Quand on a fait son temps, on ne fait pas celui de ses petits-enfants », disait-il avec beaucoup de détermination dans le ton. « Cependant, avait-il poursuivi, si je suis prêt à devenir un ex-président, ce n’est pas demain que je deviendrai un ancien militant. » Autrement dit : pas question de retraite.
Un discours qui ne semble plus tenir la route trois mois après son retour à Bamako. Selon un de ses visiteurs, Alpha Oumar Konaré ne cache pas son amertume à l’égard des dirigeants africains. Après l’élection de son successeur, Jean Ping, le sommet de l’UA n’a pas jugé utile de rendre hommage au président de la Commission sortant. Pis, à l’initiative du Congolais Denis Sassou Nguesso, les chefs d’État ont longuement rendu hommage à Saïd Djinnit, commissaire à la Paix et à la Sécurité, qui quittait son poste en même temps que le président Konaré.

la suite après cette publicité

Aucun contact avec « ATT »
Autre source de rancoeur : les premières déclarations de son successeur. Dans une interview qu’il nous avait accordée (voir J.A. n° 2457 du 10 février), Jean Ping assurait qu’avec lui « la gestion des fonds alloués à la Commission sera plus transparente », laissant entendre que cela n’était pas le cas sous son prédécesseur. Quelques semaines plus tard, Ping récidivait en affirmant : « Moi, j’agis au lieu de parler ! »
Ces déclarations ont plombé l’ambiance durant la passation de services entre les deux hommes, le 28 avril. Ping tentera de rattraper sa « bourde » lors du sommet de Charm el-Cheikh, le 30 juin 2008, en évoquant rapidement l’action de son prédécesseur. S’il ne s’en est jamais plaint publiquement, Alpha ne s’est pas privé de fustiger des « chefs d’État qui ne l’aiment pas et lui reprochent de ne pas avoir fait comme eux : changer la Constitution et s’éterniser au pouvoir ».
Notre témoin assure qu’Alpha n’a pas sombré pour autant dans une quelconque misanthropie. « Son dynamisme et sa détermination sont intacts. Il n’est pas question pour lui de fuir le débat politique, qu’il s’agisse du Mali, de l’Afrique ou de l’actualité mondiale. » Pourquoi s’enferme-t-il alors dans le mutisme et s’abstient-il de toute activité publique ? Proche parmi les proches (un de ses rares voisins à Titibougou), Madeira Diallo confie que « le président Konaré ne veut surtout pas gêner ses successeurs, ATT à Koulouba, et Jean Ping à Addis-Abeba. S’il estime avoir conservé sa liberté de parole, il juge que le temps de réserve qu’il s’est accordé n’est pas achevé. » Une prudence qui ne ressemble pas au parcours du personnage.
Ancien patron de la Sécurité d’État, ex-ministre de la Défense et compagnon des premières luttes pour la démocratie au Mali, Soumeylou Boubeye Maïga explique ainsi l’attitude d’Alpha Oumar Konaré : « C’est la première fois qu’il se retrouve dans la position d’ancien chef de l’État. En 2002, après avoir quitté Koulouba, il avait été élu quelques mois plus tard président de la Commission de l’UA. Aujourd’hui, la situation est inédite. Son emploi du temps s’est considérablement allégé. Se voir contraint à la réserve quand on a un point de vue sur tout est sans doute une grande source de frustration. »
Un autre compagnon de lutte analyse lui aussi la posture d’Alpha. Contrairement à Soumeylou Boubeye Maïga, Ousmane Sy, ancien ministre de l’Administration territoriale et éminence grise de l’Adema, estime que l’ancien président doit faire face à un triptyque : le pouvoir, donc ATT, le parti (l’Adema) et, enfin, l’opinion.
« Il n’y a aucun contact direct ou indirect avec Koulouba depuis le retour d’Alpha », jure-t-on du côté de Titibougou. L’information peut paraître incongrue, mais Madeira Diallo assure qu’il n’y a eu aucun échange entre AOK et ATT ces derniers mois. Le premier dresserait un constat plutôt sévère de la gestion et de la gouvernance du second. Dans l’entourage d’ATT, on affirme que le retour de l’ancien président de la République ne gêne en rien son successeur, dont la seule priorité est de mener à bon port son Programme de développement économique et social (PDES) et d’achever son mandat en laissant le Mali en meilleure position qu’il ne l’a trouvé en 2002.
À l’Adema, le retour d’Alpha est diversement apprécié. De nombreux militants reprochent, à tort ou à raison, à leur ancien mentor de n’avoir soutenu que du bout des lèvres leur candidat, Soumaïla Cissé, en 2002, pour laisser Koulouba à ATT. Pis, ils sont convaincus que le sort de l’élection s’est joué à l’issue d’un deal entre AOK et ATT. Ces militants sont contre un retour d’AOK à la direction du parti et comptent manifester cette opposition à l’occasion du congrès du parti, prévu en octobre prochain.
Les figures historiques de l’Adema sont nettement plus nuancés. Ils estiment que l’apport d’AOK en termes de réseaux d’influence, de capacités de mobilisation et d’habilité politique serait d’une grande utilité dans la perspective de la reconquête de Koulouba.
AOK faiseur de rois en 2012 ? Telle est la conviction de l’opinion publique. À Bamako, on s’est mis à relire la Constitution pour déterminer si l’article limitant l’exercice du pouvoir présidentiel à deux mandats consécutifs s’appliquerait au cas où AOK déciderait de se lancer dans la course. En attendant que les juristes s’accordent, Alpha garde le silence et se met en réserve de la République.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires