Quand le PJD donne une leçon de démocratie…

Avec Abdelilah Benkirane, le Parti de la justice et du développement s’est donné un nouveau chef. Un coup de théâtre… et un coup de pied de l’âne, à l’heure où les leaders des autres partis politiques ont bien du mal à passer la main.

Publié le 28 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

Au lendemain du congrès du Parti de la justice et du développement (PJD), Mohammed VI a téléphoné à Abdelilah Benkirane pour le féliciter, puis lui a adressé une longue lettre. Plus qu’un banal geste de courtoisie, l’initiative royale vaut, étant donné les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les assises, adoubement du nouveau secrétaire général et, pour la formation islamiste, un brevet de bonne conduite démocratique.
Le sixième congrès du PJD s’est tenu à Rabat les 19 et 20 juillet. Tout le Maroc y était représenté avec 1 628 délégués, dont 15 % de femmes. On n’en attendait pas grand-chose : l’islamisme légaliste a sa place dans le royaume, mais rien que sa place. Lors des élections législatives du 7 septembre 2007, le PJD était arrivé en deuxième position avec 46 députés ; il était même le premier parti en nombre de voix, mais semblait condamné pour longtemps à une sage opposition. Et voilà qu’il crée la surprise – et l’événement – à la dernière minute de son congrès, en désignant, contre toute attente, un nouveau leader.

Un islamiste débonnaire
Le Dr Saad Eddine Othmani, 52 ans, qui n’avait fait qu’un mandat de quatre ans, comptait en effet rempiler. À l’élection des 111 membres du Conseil national (CN, le Parlement du parti), il dépassait nettement Benkirane avec 165 voix (75 % de suffrages exprimés), contre 120. Le renversement s’est produit lors de l’élection à bulletins secrets du secrétaire général : 684 membres du CN choisissent Benkirane et 495 Othmani. (Un troisième candidat, Abdallah Baha, n’a eu que 14 voix.) Rien n’avait permis de présager le retrait du « Docteur », ni avant le congrès, ni pendant les deux jours de délibérations. Le futur secrétaire général, qui anime le quotidien At-Tajdid, n’avait pas fait non plus le moindre geste ou la moindre déclaration qui laisseraient percer ses intentions. Pour autant, le coup de théâtre n’est nullement un coup d’État. L’opération a été menée de main de maître dans le respect scrupuleux des règles démocratiques. Bravo l’artiste !
Abdelilah Benkirane, 54 ans, professeur de physique à la retraite, dirige une école privée à Rabat. Son itinéraire est inséparable de l’islamisme marocain et de ses avatars. Il y milite depuis les années 1970, s’est éloigné à temps de la Chabiba Islamiya, qui avait commencé à succomber à la tentation de la violence (avec l’assassinat de Omar Benjelloun en décembre 1975) et a été au coeur des longues tractations avec Driss Basri, le ministre de l’Intérieur de Hassan II, qui ont abouti à la légalisation par étapes du mouvement islamiste puis, en 1998, à la création du PJD. En même temps que les vertus du réalisme, Benkirane a assurément acquis un savoir-faire politique que tout le monde lui reconnaît volontiers. Il est même « leur » meilleur homme politique, entend-on souvent. Contact aisé, sens de la communication, il cherche à séduire et incarne l’islamisme à visage débonnaire. Bon orateur, aimant le débat, ses prestations à la télévision ne passent pas inaperçues.
Depuis toujours, Abdelilah Benkirane apparaissait en fait comme le chef naturel du PJD. Et c’est sans doute sa réputation d’« homme du Makhzen » qui l’avait écarté de la première place. La rivalité de Mustapha Ramid, qui adoptait en contrepoint des positions dures et allait jusqu’à réclamer l’application intégrale de la charia, ne l’a pas servi. Entre la modération réaliste de l’un et l’intransigeance agressive de l’autre, le PJD a choisi le brave docteur Othmani, dont la pondération était gage de compromis et de cohésion.
Au-delà de l’ajustement, voire de la normalisation, à la tête du PJD, l’élection d’un nouveau leader a des retombées sur l’ensemble de la classe politique. Comme l’écrit Abdelmounaïm Dilami dans As-Sabah, la formation islamiste a administré une belle leçon aux autres partis. Qu’ils soient de gauche, de droite ou d’ailleurs, ceux-ci ignorent le changement des générations, et leurs chefs éprouvent généralement quelque mal à passer la main. Les tentatives de renouveler le leadership provoquent immanquablement des crises insurmontables. La dernière en date s’est produite à l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Son premier secrétaire, Mohamed Elyazghi, 73 ans, a été poussé vers la sortie en décembre dernier. En juin, le congrès, qui devait lui trouver un successeur, n’est même pas parvenu à adopter le mode de scrutin pour le désigner et a dû suspendre ses travaux jusqu’à la fin de l’année, sans prendre de décision.

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Porte-drapeau des jeunes Turcs
Quels changements implique l’élection d’un nouveau leader pour le PJD ? Avec Abdelilah Benkirane, on assiste à un retour du MUR, le Mouvement pour l’unicité et la réforme, qui regroupe les « idéologues » de l’islamisme légaliste. Depuis les attentats terroristes de mai 2003, cette association, qui est la matrice et le vivier du parti, était condamnée à la discrétion au profit des hommes comme Othmani, réputés plus accommodants. Sans remettre en cause la ligne du PJD, les critiques formulées au cours du 6e congrès reprochent à la direction de « ne pas faire assez de politique ». En clair, elle ménage trop le pouvoir, lui fait trop de concessions sans obtenir de contrepartie. Un comportement d’autant plus dommageable, comme l’a confié l’un des responsables du parti au quotidien de Londres Asharq Al-Awsat, que l’on constate actuellement « une dévalorisation de la politique par le palais au profit des technocrates ». L’émergence sur la scène politique de Fouad Ali El Himma, l’« ami du roi », et de son Mouvement de tous les démocrates (MTD), est perçue, non sans raison, par les militants islamistes comme une menace ciblée contre leur parti. Et ils ne se sont pas privés de la dénoncer au cours de leur congrès. À cet égard, l’ascension d’Abdelilah Benkirane se veut un sursaut du PJD, qui a davantage confiance en lui-même et entend mieux utiliser les opportunités au Parlement et dans le pays.
À en croire le politologue Mohamed Tozy, Abdelilah Benkirane n’est pas seulement le porte-parole du MUR. Il est le porte-drapeau d’un autre courant moins connu qui a le vent en poupe : celui des Jeunes Turcs, ou des « jeunes idéologues », qui se recrutent en particulier au sein de l’université. Parmi eux, Abdelaziz Rebbah, président de la Jeunesse du parti et qui était conseiller auprès du Premier ministre Driss Jettou, ou encore Mustapha Khalfi, politologue spécialiste de la littérature anglo-saxonne sur l’islamisme.
Un détail : tous deux ont joué un rôle discret mais efficace dans la mobilisation qui, à la dernière heure du congrès, a propulsé Abdelilah Benkirane au sommet du PJD.

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