Les bidonvilles résistent

Après quelques victoires sur le front du renouvellement urbain, le programme engagé pour lutter contre l’habitat insalubre marque le pas.

Publié le 28 juillet 2008 Lecture : 3 minutes.

Squilla, l’un des plus vieux bidonvilles de Casablanca. De ces baraques de fortune, de ces ruelles poussiéreuses et de ces toits en tôle sont partis la plupart des kamikazes responsables des attentats de Casa, le 16 mai 2003. Selon ses habitants, le quartier n’a guère changé depuis. Les mêmes problèmes. La même misère. La même insécurité. Pourtant, « Villes sans bidonvilles », l’ambitieux programme de 2 milliards d’euros visant l’éradication de tous les bidonvilles d’ici à 2010, y a laissé quelques traces.
« Mes voisins habitaient ici », raconte Fatna en pointant du doigt un tas de gravats rappelant l’emplacement d’une masure récemment rasée. « Ils sont partis il y a six mois pour habiter dans un appartement. Mais moi, je dois rester ici. » Son problème ? Avec son mari, ses 8 enfants et ses 4 petits-fils, la famille se compose de 14 personnes. Aux yeux de l’État, il s’agit d’un seul et même foyer. Pas question, donc, de leur accorder plus d’un appartement. « Il y a beaucoup de problèmes avec les familles composées, confirme Larbi Zahidi, membre du Resaq, un réseau d’associations de quartiers. Certaines personnes divorcées se sont même vu proposer de partager un logement avec leur ex-conjoint ! »Â Alors Fatna reste là, tandis que les bulldozers emportent régulièrement quelques baraques supplémentaires alentour.
Car telle est la nouvelle politique de l’État : il faut accepter de raser avant d’obtenir un nouveau logement. Deux options sont alors proposées : l’achat d’un appartement pour 140 000 ou 200 000 dirhams (subventionné à 50 %) ou celui d’un terrain de 80 m², à prix bradé, pour y construire une maison de trois étages, à se partager entre plusieurs familles. Dans ce cas, c’est aux futurs propriétaires d’assurer les travaux, en faisant appel à une société privée.
Pour favoriser l’accès au crédit, l’État a mis en place en 2004 le Fonds de garantie pour les revenus irréguliers et modestes (Fogarim). Près de 37 000 prêts ont été accordés depuis. Ce qui est encore très loin des 30 000 prêts escomptés par an. « Les banques rechignent à accorder ces crédits aux gens des bidonvilles, confie un banquier marocain. Ce sont souvent d’autres populations qui en profitent. »

La galère des habitants
Alors, il faut trouver des solutions alternatives. Certains habitants réussissent à trouver des fonds. D’abord parce que les bidonvilles ne sont pas l’apanage des pauvres. Beaucoup d’enseignants, de fonctionnaires, notamment des policiers, y vivent. Faute d’avoir pu trouver un meilleur logement, même s’ils ont un revenu moins modeste que celui de leurs voisins de fortuneÂÂ Certains ont recours à des mécanismes d’épargne informelle, empruntant à leur patron ou à des proches. D’autres s’associent avec un partenaire, qui finance la construction du logement et se réserve le rez-de-chaussée pour des activités commerciales. Une solution avantageuse pour tout le monde sur le papier, mais souvent source de conflits entre les parties.
L’intervention des organismes privés reste limitée, et, sur le terrain, les problèmes s’accumulent. « Je n’ai plus d’argent pour continuer les travaux, explique Mohamed. Mon ancien logement a été rasé et je dois à présent payer un loyer pour ma familleÂÂ Cela devient impossible. En plus, l’assainissement n’a été fait que sur une partie du terrain. » L’idée de laisser les travaux à la charge des futurs propriétaires, si elle est originale, montre en effet vite ses limites : des maisons de guingois, dont les finitions laissent à désirer. « À quoi cela va-t-il ressembler dans cinq ans ? » poursuit Mohamed, découragé. Sans compter que le nouveau lotissement manque cruellement d’équipements et de lieux de vie. Pas d’écoles. Pas d’épiceries. Le marché, autrefois au cÂÂur du bidonville, est à présent à plus de 10 minutes en taxiÂÂ « C’est un souci majeur, confie le membre d’une association chargée d’accompagner les populations dans leur nouvelle vie. On ne crée pas des villes, on crée du logement. On ne prend pas non plus en compte les problèmes des habitants des bidonvilles. Certains sont relogés très loin de leur lieu de travail et perdent leur emploi. »
Bien sûr, le programme a quand même atteint certains de ses objectifs. Huit agglomérations ont même été déclarées « villes sans bidonvilles », dont Meknès, Beni Mellal et Azrou. Mais ces réussites sont loin d’être la règle. L’inadéquation entre le rythme des démolitions et celui du transfert des habitants, la spéculation foncière, la corruption sont autant de freins aux opérations de renouvellement urbain. Reste enfin la question de l’accompagnement social. Sans lui, « Villes sans bidonvilles » risque simplement de déplacer les problèmes d’un quartier à un autre.

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