Le monde dans tous ses états
Pour satisfaire à un rite bien établi, les journalistes de Jeune Afrique ont choisi un livre qui les a marqués cette année. Résultat : beaucoup de valeurs sûres et quelques agréables pépites pour vos lectures de vacances.
Les grands oubliés
Si la guerre d’Algérie a donné lieu à de nombreux ouvrages, si celle d’Indochine a produit des films et des sagas romanesques, les conflits coloniaux dits « secondaires » sont les grands oubliés de cette histoire tourmentée qui fut celle de l’ex-« empire » français. Dans la lignée des livres de Jacques Tronchon sur l’insurrection malgache de 1947 et de Richard Joseph sur la répression des maquis camerounais, hélas trop peu diffusés, cette Guerre du Rif cosignée par un juriste et un journaliste est un événement. Minutieusement documenté, ce récit raconte le choc d’une brutalité inouïe entre les troupes du chef berbère Abdelkrim et les soldats espagnols du roi Alphonse XIII, qui furent massacrés par milliers. Puis entre le même Abdelkrim et l’armée française du maréchal Pétain, adepte de la politique de la terre brûlée. Au passage, l’image flatteuse d’un Lyautey furieusement tenté par l’usage des gaz contre les Rifains en prend un sacré coup. À lire, donc, au moment où les discours officiels tendent à réhabiliter le « bon colon », cette histoire sanglante d’une lutte sans merci pour la liberté. François Soudan
La Guerre du Rif. Maroc 1921-1926, de Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié, Tallandier, 366 pages, 25 euros.
Fresque sud-africaine
Dans un récit époustouflant aux allures de roman, l’écrivain de best-sellers Dominique Lapierre retrace la tumultueuse épopée sud-africaine. De l’arrivée en 1652 des premiers colons, venus planter des salades dans la région du Cap afin de ravitailler en produits frais les marins de la Compagnie des Indes, jusqu’aux premières élections démocratiques de 1994. À partir d’une riche documentation collectée pendant plus de trois années d’enquête et 250 interviews, Lapierre distille les informations sociologiques, ethnologiques et idéologiques nécessaires à la compréhension de l’histoire de la nation Arc-en-Ciel. Et parvient à donner chair à cette fresque incroyable en s’attachant autant aux personnages historiques qu’à de simples militants antiapartheid. Séverine Kodjo-Grandvaux
Un arc-en-ciel dans la nuit, de Dominique Lapierre, Robert Laffont, 364 pages, 21 euros.
L’ethnie repensée
Sous-titré Le cas du Fuuta Dyalöö guinéen du XVIe au XXe siècle, ce livre part de l’histoire de cet empire théocratique peul pour aboutir à une approche originale de la notion d’ethnie, qui a longtemps été appréhendée selon des critères culturels assez exclusifs. Partant de l’historicité de cette notion, Alpha-Mohamed Loppé Sow explique pourquoi et comment elle est passée d’une saine composante de l’identité à une brutale manifestation de la différence. Une approche historique, sociologique et politique qui tranche avec les habituels et nombreux clichés. Cheikh Yérim Seck
Ethnies et société islamique en Afrique, un paradoxe, d’Alpha-Mohamed Loppé Sow, L’Harmattan, 252 pages, 21,50 euros.
BD reporter en Birmanie
Septembre 2007, Birmanie. Les manifestations pacifiques des bonzes sont réprimées dans le sang. Le pays oublié fait brusquement la une. Hasard du calendrier, le meilleur reportage sur le Myanmar sort au même moment enÂÂ bande dessinée. Après les bijoux Pyongyang et Shenzen, récits de vie en Corée du Nord et en Chine, le BD reporter Guy Delisle crayonne une autre triste réalité. Dictature militaire, privations, ONG, multinationales, Aung San Suu KyiÂÂ Le dessinateur québécois, qui a passé dix-huit mois sur place, croque la vie quotidienne birmane en noir et blanc, sans chichis mais avec rigueur et humour. Et nous ouvre les portes de l’un des pays les plus fermés du monde. Cyril Petit
Chroniques birmanes, de Guy Delisle, Delcourt, 272 pages, 16,50 euros.
Locomotive chinoise
Des campagnes sinistrées du cÂÂur de la Chine aux bureaux climatisés des décideurs africains, des forêts menacées du Congo aux karaokés du Nigeria, le long des pipelines du Soudan et des chemins de fer de l’Angola, les journalistes français Serge Michel et Michel Beuret ont parcouru pendant plus d’un an quinze pays à la rencontre des « colons » chinois. Un constat : jamais l’Occident ne s’est autant intéressé à l’Afrique depuis que la Chine est partie à sa conquête. Lancée à pleine vitesse, la locomotive chinoise fait les yeux doux aux dirigeants du continent pour assouvir sa boulimie de matières premières. Pékin séduit les chefs d’État, même les dictateurs mis au ban des nations, en ressortant une dialectique tiers-mondiste, sans s’ingérer dans les affaires intérieures et en construisant routes et hôpitaux. Pascal Airault
La Chinafrique. Pékin à la conquête du continent noir, de Michel Beuret et Serge Michel, Grasset, 348 pages, 19,50 euros.
Le défi djihadiste
Professeur à Sciences-Po de Paris, observateur, sans doute le mieux averti, de la mouvance djihadiste, Gilles Kepel a consacré son dernier ouvrage à la confrontation de deux logiques qui se disputent « l’intelligence du monde ». L’une s’entêtant à implanter la démocratie au Moyen-Orient, l’autre s’obstinant à soumettre la planète à un règne du califat. Un conflit marqué par des images d’une violence inouïe, faites d’otages égorgés en direct, de corps en lambeaux de victimes d’attentats kamikazes, de prisonniers torturés à Guantánamo et humiliés à Abou Ghraib, d’exécution d’un ancien chef d’État filmée par des téléphones portables et largement diffusée sur la Toile. Un bon choix pour ceux qui cherchent à lire utile. Cherif Ouazani
Terreur et martyre. Relever le défi de la civilisation, de Gilles Kepel, Flammarion, 366 pages, 22,50 euros.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Trick Daddy, le rappeur qui ne veut pas être « afro-américain »
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- À Vertières, les esclaves d’Haïti font capituler les troupes de Napoléon
- Émigration clandestine : « Partir, c’est aussi un moyen de dire à sa famille qu’on...