La Coupe du monde à marche forcée

Alors que son économie traverse un trou d’air depuis le début de l’année, le pays maintient le cap. Et mise plus que jamais sur l’organisation du Mondial pour accélérer son développement.

Publié le 28 juillet 2008 Lecture : 7 minutes.

Dans moins de deux ans, le premier coup de sifflet de la Coupe du monde de football retentira. L’Afrique du Sud doit se préparer à accueillir 400 000 touristes venus assister à l’événement le plus médiatisé de la planète. 400 000 visiteurs, soit autant de chambres d’hôtel et de places dans les stades, sans oublier la mise à disposition de moyens de transport pour déplacer la foule dans les neuf villes hôtes et à travers le pays. Il faut aussi compter les kilowattheures d’électricité qui seront nécessaires, les milliers de kilomètres de tuyaux pour acheminer l’énergie vers les centrales, les restaurants pris d’assaut ou encore les milliers d’écrans plats à installer dans les bars et les stadesÂÂ Le gouvernement sud-africain estime à 4,5 milliards d’euros les dépenses directement liées aux trente et un jours que durera l’événement (du 11 juin au 11 juillet 2010). Le coût des travaux engagés pour sa préparation pourrait dépasser 40 milliards d’euros. Plus que les montants annoncés par Pékin pour les jeux Olympiques 2008, un total de 29 milliards d’euros.
Mais depuis le début de l’année, l’économie sud-africaine traverse une zone de fortes turbulences. L’inflation devrait atteindre 8,2 % en 2008 et la croissance est prévue à 3,9 %, contre 5,1 % en 2007. Le pays subit de plein fouet la hausse des matières premières, et son ascension a été stoppée net avec la crise de l’électricité. Héritées de l’apartheid, les politiques publiques ont été extrêmement prudentes. Trop peut-être, compte tenu du retard accumulé dans les infrastructures : elles ne sont pas à la hauteur des ambitions, ne supportent plus la croissance accélérée. La mauvaise maintenance des installations électriques éclate au grand jour, les routes sont surchargées et ralentissent l’activité. « L’économie du pays est en train de craquer aux coutures ! » souligne Yves de Renaud, chef de la mission économique française à Johannesburg. Début juillet, juste deux ans avant l’échéance, des rumeurs insistantes circulaient à travers le pays : l’Australie et le Brésil auraient approché la Fédération internationale de football (Fifa) et seraient prêts à organiser le Mondial 2010 si l’Afrique du Sud était défaillante. Elles ont été aussitôt démenties par la Fifa.

Forte hausse des investissements étrangers
En réalité, le ralentissement de la croissance et même l’émergence récente de graves troubles sociaux n’ont pas entamé la confiance des investisseurs étrangers et des entreprises internationales, qui se pressent aux appels d’offres pour décrocher les derniers marchés. En témoigne notamment le cumul des investissements directs étrangers (IDE) dans le pays, passé de 44 milliards de dollars en 2000 à plus de 77 milliards en 2006 (+ 75 %). Réputé pour sa politique économique prudente – il affiche notamment un taux d’endettement extérieur très faible (27,9 % en 2008) -, le pays rassure. « Tout le monde veut investir en Afrique du Sud ! » s’exclame Sophie Ferrand-Hazard, qui dirige la Chambre de commerce franco – sud-­africaine. La Coface, société d’assurance-crédit pour les groupes commerciaux, souligne que « le système bancaire du pays reste solide et la Bourse de Johannesburg, stable ». L’échéance de 2010 constituerait même une véritable aubaine pour le pays : « La Coupe du monde va permettre de construire de nouveaux aéroports, des routes et des nouveaux moyens de transport, explique Yves de Renaud. C’est ce qu’il faut pour relancer l’économie. »
Si la Grande-Bretagne a décroché quelques marchés importants, c’est surtout l’Allemagne qui est la grande gagnante des matchs qui se sont joués sur les grands contrats. Déjà premier partenaire économique de l’Afrique du Sud, l’hôte de la dernière Coupe du monde de football a largement confirmé son avance. En un an, le commerce entre les deux pays a augmenté de 32 %, pour atteindre un total de 31 milliards d’euros l’année dernière. Lors de sa visite à Johannesburg en octobre 2007, la chancelière Angela Merkel a scellé une coopération économique établie entre les leaders économiques des deux pays pour favoriser les échanges relatifs au prochain Mondial. Parmi les contrats déjà signés figurent ceux de l’équipementier sportif Adidas, qui sera le principal sponsor de l’événement, et de la société d’architecture GMP, qui a dessiné les toits des trois stades principaux du pays. Mais la coopération n’est pas uniquement économique. Ainsi, la Fondation Hanns-Seidl pour le développement et la formation professionnelle a invité des membres de la police sud-africaine en Allemagne en vue de l’aider à améliorer le système de sécurité d’ici à 2010. Et la banque de développement allemande KfW va financer une version sud-africaine du programme écologique « Green Goal », conçu pendant la précédente Coupe du monde. Un coût de 50 millions d’euros.
Bien qu’elle ne soit pas un partenaire historique du pays – à l’exception de quelques grands groupes tels qu’Areva ou Alstom -, la France n’est pas en reste. « Le voyage de Nicolas Sarkozy en février a ouvert les yeux aux entrepreneurs français, poursuit Sophie Ferrand-Hazard. La France a toujours vu l’Afrique du Sud avec ses clichés de l’Afrique francophone, mais une fois que les entreprises sont là, les partenaires se rendent vite compte des opportunités. » Le pays, qui connaît de lourds problèmes de maintenance de ses infrastructures et manque de main-d’oeuvre qualifiée, utilise le savoir-faire français dans ce domaine. Bouygues et la RATP ont d’ailleurs remporté l’un des plus beaux contrats en jeu : les deux entreprises françaises participent à la construction du Gautrain, un train qui desservira l’aéroport de Johannesburg et la ville voisine de Pretoria. Un projet estimé à 1,2 milliard d’euros, dont 550 millions pour la partie française, qui constitue également le plus grand partenariat public-privé d’Afrique. Les travaux s’accélèrent, et Yves de Renaud note que l’échéance de 2010 a été décisive : « On pourra toujours dire que l’ambition de ce projet est antérieure à la Coupe du monde. Il n’empêche qu’il doit être inauguré juste avant le coup d’envoi. »

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Priorité aux PME et au Black Economic Empowerment
Bombela, le consortium auquel appartiennent Bouygues et la RATP, a décroché l’appel d’offres grâce à une coopération appuyée avec les milieux d’affaires noirs. La participation du groupe sud-africain de rails Loliwe atteint 25,6 %, contre les 15 % requis par l’appel d’offres dans le cadre du Black Economic Empowerment (BEE).
Car tous les projets financés par l’État sud-africain doivent afficher un partenariat important avec des sociétés sud-africaines. L’un des objectifs du gouvernement est en effet que les PME ne soient pas à la traîne du dynamisme économique engendré par les grands travaux. Igoda Projects, par exemple. Cette petite entreprise d’installation électrique n’emploie que vingt-trois personnes, mais son statut « 100 % black » lui a permis de participer au projet d’éclairage du stade de Durban. Les investisseurs privés locaux tentent également de trouver leur place dans la course, et beaucoup se sont tournés vers l’hôtellerie. Ainsi, Moses Tembe Investments, une société qui fait figure de réussite dans la politique BEE. Elle a pris en charge à hauteur de 250 000 euros d’investissements la construction d’un complexe quatre étoiles, et se trouve à la tête de l’un des plus grands chantiers hôteliers du pays, avec centre commercial et centre de conférences internationales sur la corniche de Durban. La ville côtière est en plein développement et a besoin de telles infrastructures. Une fois encore, la Coupe du monde a permis d’accélérer les travaux. « Tout doit être prêt à temps », affirme Themba Ngcobo, responsable du projet pour Moses Tembe Investments. Plein de détermination, il se reprend : « Il ne doit pas l’être, il le sera. »

Un cadeau empoisonné
L’Afrique du Sud n’a pas le droit à l’erreur. À cette échelle, un afflux aussi rapide de capitaux pourrait être tout aussi dévastateur si leur utilisation n’est pas envisagée à long terme. « Les investissements doivent dépasser le cadre de la Coupe du monde », martèle régulièrement le président Thabo Mbeki. L’affaire est déjà entendue pour le Gautrain : il permettra à terme de désengorger les autoroutes de la capitale économique, qui drainent plus de 300 000 véhicules chaque jour. En revanche, sera-t-il rentable d’entretenir dix stades aux normes internationales si l’Afrique du Sud n’abrite aucun grand championnat capable de les remplir ? Quels emplois peuvent-ils engendrer ? L’État a offert les équipements aux municipalités hôtes, qui s’engagent ensuite à les exploiter et à les entretenir. Un cadeau empoisonné pour certaines villes : abriter un stade de cette importance est rarement viable.
La ville du Cap a donc décidé de lancer un appel d’offres pour la gestion de son stade, l’un des plus grands du pays (68 000 places assises, environ 300 millions d’euros pour le construire). L’entreprise Stade de France, leader mondial dans ce domaine, est sur les rangs. Ce sera la première fois que la société investit en Afrique du Sud, et le pari est ambitieux : le contrat, s’il est remporté fin août, sera signé pour trente ans. Bertrand Scholler, le directeur du projet, confie qu’il s’engage non sans crainte : « Le pays a un fort potentiel, mais il y a encore beaucoup d’incertitudes. L’instabilité politique, le problème du chômage, le sida et les récentes violences xénophobes traduisent un certain malaise social. » Et pourtant, en visite à la mi-juillet au Cap pour finaliser le dossier, Bertrand Scholler ne peut dissimuler son enthousiasme : « En même temps, l’Afrique du Sud, c’est un pari excitant. Comme dans toutes les choses exceptionnelles, on peut perdre beaucoup, mais on peut aussi gagner énormément ! » La partie de poker est engagée.

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