Hannibal et les Helvètes

À Genève, l’un des fils de Mouammar Kadhafi et son épouse sont accusés d’avoir maltraité deux de leurs domestiques maghrébins. À Tripoli, les autorités répliquent en déclenchant une crise diplomatique majeure.

Publié le 28 juillet 2008 Lecture : 3 minutes.

Suspension des livraisons de pétrole, réduction des liaisons aériennes, ordre de fermeture adressé aux entreprises suisses en Libye, gel des visas délivrés aux ressortissants de la Confédération helvétiqueÂÂ L’arrestation d’Hannibal Kadhafi, 32 ans, quatrième fils du Guide de la révolution libyenne, et d’Aline, son épouse d’origine libanaise, le 15 juillet à Genève, après que deux de leurs domestiques se sont plaints de mauvais traitements, a déclenché une grave crise diplomatique entre les deux pays.
Que s’est-il donc passé ? Le 5 juillet, Hannibal, Aline et leur fils de 4 ans débarquent à l’aéroport de Genève, puis s’installent dans la suite 345 de l’hôtel Président-Wilson, un des palaces de la ville. Enceinte de presque neuf mois, la jeune femme, manifestement peu rassurée par la qualité du système de santé libyen, s’apprête à accoucher dans un établissement réputé, la clinique Beaulieu. Deux domestiques accompagnent le couple : une Tunisienne de 35 ans et un Marocain. Ils sont logés dans des chambres attenantes.
À deux reprises, les 12 et 13 juillet, des employés du Wilson appellent la police : ils ont entendu du bruit et des cris provenant de la suite. Des fonctionnaires se présentent à l’entrée, mais les deux gardes du corps leur barrent le passage.
Le 15 juillet, nouvelle alerte. Un agent de sécurité de l’hôtel a reçu un appel au secours de la domestique tunisienne. Cette fois, les policiers bousculent la protection rapprochée et interpellent les époux. Menottes aux poignets, le fils Kadhafi est transféré au palais de justice, où il va passer deux nuits. Son épouse est conduite à l’hôpital universitaire de Genève. Les deux gardes du corps – non armés – sont également interpellés.
Le 17, le juge Michel-Alexandre Graber entend Hannibal. Acheminée en ambulance depuis l’hôpital, son épouse est, elle aussi, brièvement auditionnée. Le magistrat inculpe le couple de « lésions corporelles simples, contrainte et menaces ». Les gardes du corps sont poursuivis pour « opposition aux actes d’autorité ».
Le soir même, Hannibal et Aline Kadhafi quittent la Suisse après s’être acquittés d’une caution de 309 000 euros. Sur place, leur avocat rejette en bloc toutes les accusations et dénonce une mise en scène des domestiques.

« Comme une esclave »
Réfugiés dans un lieu tenu secret sous la protection de la police, les deux employés livrent leur version des faits à la presse. La jeune femme affirme avoir répondu, un mois plus tôt, à une offre d’emploi de dame de compagnie. « J’étais prisonnière, raconte-t-elle dans une longue interview au quotidien suisse Le Temps. Je ne mangeais pas, je ne dormais pas. Aline m’a traitée comme une esclave. Trois fois, elle m’a dit que si je parlais, elle me jetterait par la fenêtre. Je n’ai jamais douté qu’elle en était capable. »
Son collègue n’est pas en reste. Au service du couple depuis cinq ans, il affirme travailler « vingt-deux heures sur vingt-quatre ». « Je faisais tout, raconte-t-il, le dîner, le repassage, le ménageÂÂ Je sortais le chien et m’occupais de leur enfant. » À deux reprises, il aurait tenté de démissionner, mais cette imprudente initiative lui aurait valu un séjour dans une prison libyenne privée installée dans l’une des sociétés d’Hannibal.
Aïcha, la sÂÂur de ce dernier, ne décolère pas. « Cette inculpation, estime-t-elle, est un scénario minable concocté par des employés afin d’obtenir l’asile en Suisse. » Surtout, elle promet des représailles contre ce qu’elle considère comme un acte de « racisme et de haine » : «ÂÂil pour ÂÂil, dent pour dent. C’est celui qui a commencé qui a tort », menace-t-elle.
De fait, le jeudi 24 juillet, à Tripoli, le responsable suisse de la société ABB et un autre ressortissant suisse sont accusés par la justice libyenne d’infractions à la législation sur l’immigration et le séjour des étrangers. Les deux hommes seraient détenus dans des conditions « absolument dramatiques », selon le porte-parole du Département fédéral suisse des Affaires étrangères.
La mère du domestique marocain, qui s’était rendue en Libye pour voir son fils – interdit de sortie, avant d’être autorisé à partir pour Genève avec le couple Kadhafi -, a été arrêtée à l’aéroport de Tripoli, lors de son départ. Quant au frère du plaignant, également en visite, il se cache quelque part dans la JamahiriyaÂÂ

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